Par Amand Nicolas – Historien.
Cela fait 55 ans que le 22 mai, l’évènement le plus important de notre histoire, est sorti de l’ombre, du trou noir de l’oubli .
Déjà en 1945 les communistes martiniquais et, notamment, Gabriel Henry, secrétaire fédéral, avaient souligné l’importance de ce soulèvement populaire. Mais ils n’en avaient pas vu toute la signification et n’en avaient pas tiré toutes les conséquences pour le combat anticolonialiste.
Mais suite à des recherches approfondies, notamment dans les archives officielles, j’ai découvert une documentation qui m’a permis de conclure qu’il s’agissait non pas d’une « turbulence » passagère, mais de la Révolution antiesclavagiste qui a balayé le honteux régime qui opprimait nos ancêtres.
Aussi, début 1960, j’ai prononcé à Fort-de-France une Conférence pour faire part des analyses et des conclusions que je tirais de la véritable histoire du 22 mai. Elle allait bouleverser les idées reçues et éclairer l’évènement d’une lumière nouvelle : l’abolition de l’esclavage à la Martinique n’avait pas été octroyée par ladite Métropole, mais avait été imposée par le soulèvement général de nos ancêtres esclaves qui avaient eux-mêmes brisé leurs chaines, avant que ne soit connu ici l’existence d’un décret d’abolition (celui du 27 avril 1848, signé de Victor Schœlcher).
Comme chacun sait, ces révélations et ces analyses ont fait leur chemin.
Cette conférence en 1960 fit l’objet d’une édition en brochure : « La Révolution antiesclavagiste du 22 mai 1848 en Martinique » qui, au fil des ans, fut étoffée dans de nouvelles éditions (il y en a eut au total 4 soit environ 12.000 exemplaires de brochures) apporteront des éléments nouveaux et complémentaires.
Elle rétablissait la vérité historique en soulignant certes le rôle de Schœlcher, mais en démontrant que l’acte final décisif d’abolition n’avait été le cadeau d’une « généreuse mère patrie » , mais imposé par la lutte des esclaves eux-mêmes qui formaient alors près des ¾ de la population martiniquaise et qui s’appuyaient sur la solidarité et le soutien des forces antiesclavagistes de progrès de France ; d’Angleterre et d’ailleurs et, en particulier sur l’action des révolutionnaires français de 1848 avec Schœlcher à leur tête.
L’idée était véritablement révolutionnaire, elle secoua les milieux officiels qui pendant pus d’un siècle avaient tout fait pour dénaturer puis enterrer le 22 mai .
Ceux-ci firent profil bas. Il ne fallait pas donner trop de publicité à ce rétablissement de la vérité historique, à savoir le rôle décisif d’un peuple d’esclaves luttant patiemment et de plus en plus résolument pour briser les chaînes de l’esclavage .
Dans les milieux « schoelcheristes » , il y eu chez certains quelques grincements de dents, car cela ébranlait le culte d’un grand abolitionniste à qui on attribuait le mérite d’avoir été le principal acteur de la lutte contre l’esclavage .
Aujourd’hui encore, il y a des gens, certains sournoisement, d’autres frappés de dépit, qui s’évertuent à minimiser le 22 mai puisqu’on ne peut nier l’évidence.
Il fallut donc, pendant plus de 20 ans, mener bataille pour la reconnaissance du 22 mai. L’historien martiniquais, Armand Nicolas, alors Secrétaire Général du Parti Communiste Martiniquais, entraîna son Parti qui, accompagné de quelques anticolonialistes et démocrates, fut seul dans le mouvement (chaque année, manifestations commémoratives, articles de journaux, tract, brochures, causeries dans les bourgs et campagnes).
La bataille s’amplifia pour gagner d’autres Partis de gauche, des Centrales syndicales et de larges couches de l’opinion publique qui prenaient conscience de l’importance du 22 mai et de la nécessité de rétablir la vérité historique.
A partir des années 1970, le MIM joua un rôle important.
Si bien, qu’en 1983, après l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République et la formation d’un gouvernement de gauche, les groupes communistes et socialistes du Parlement français présentèrent et firent adopter à l’unanimité un projet de loi qui faisait du 22 mai la date officielle de l’abolition de l’esclavage à la Martinique, date chômée et payée, reconnaissance majeure du combat séculaire des esclaves noirs.
Et depuis, dans toute la Martinique, chaque année, les martiniquais, dans leur grande majorité commémorent avec ferveur et enthousiasme la fête nationale martiniquaise, la date de naissance de notre peuple, de notre nation.
Ainsi la bataille fut gagnée. Elle apporta une contribution appréciable à la prise de conscience de notre peuple. Mais aujourd’hui, il faut le défendre contre les révisionnistes honteux, les négationnistes qui essaient d’accréditer l’idée que le 22 mai est un évènement mineur, un geste limité de colère et non pas le soulèvement d’un peuple.
Il y a les indifférents, les aveugles accrochés à un culte dépassé. Il y a ceux qui veulent empêcher que le 22 mai continue à peser dans la formation de la conscience anticolonialiste de notre peuple.
Par exemple RFO Paris et d’autres Télés « françaises » continuent chaque année à proclamer que le 22 mai .
Et ceci malgré diverses protestations. Pour ma part, j’ai à plusieurs reprises écrit des lettres de protestations aux responsables des chaînes parisiennes de Radiotélévisions qui ne respectent même pas la loi républicaine qui reconnaissait le rôle décisif du 22 mai dans l’abolition .
Non, le 22 mai 1848, ce n’est pas Schœlcher qu’on célébrait ici, mais ce sont nos ancêtres qui versaient leur sang et levaient leurs armes, pour la liberté, contre les esclavagistes.
C’est dire que le combat n’est pas fini. Qu’il faut, en célébrant le 22 mai, ne pas tomber dans une sorte de folklore festif, mais souligner toujours la portée révolutionnaire de l’évènement dont la célébration doit aider à élever la conscience de notre peuple en l’appelant à poursuivre sans répit le combat contre le néocolonialisme, contre le capitalisme de la « pwofitasyon », pour que la Martinique soit vraiment « Ta nou ».
Armand Nicolas – Historien