Un petit clin d’œil de borgne à George #Pau-#Langevin…
Par FRÉDÉRIC LEWINO ET GWENDOLINE DOS SANTOS.
Le 29 novembre 1781, #Collingwood, le commandant du navire négrier britannique Zong, est salement embêté car dans la cale de son navire la « marchandise » est en train de se gâter. Ces bachi-bouzouks de trafiquants arabes lui ont refilé des esclaves malades, souffrant de dysenterie, de fièvre, de diarrhée et même de la variole. Chaque matin, l’équipage doit balancer par-dessus bord plusieurs dizaines de cadavres. Chaque nègre mort correspond à une perte sèche de 35 livres sterling environ, le prix de vente d’un esclave en Jamaïque, la destination du Zong. James Gregson, l’affréteur du navire, sera furieux contre le capitaine Luke Collingwood. Sans compter que le capitaine aussi est intéressé au bénéfice. Mais n’a-t-il pas pris un grand risque en entassant quatre cent quarante Africains à bord du Zong, soit 2,8 fois plus qu’il aurait dû le faire?
L’équipage n’est pas très vaillant, lui non plus. Déjà sept marins sont morts de maladie depuis le départ de São Tomé, le 6 septembre 1781. Le capitaine, un ancien chirurgien, est donc très inquiet. Une soixantaine d’esclaves déjà perdus, ça suffit ! Il n’y a plus qu’une chose à faire : balancer à la flotte tous les esclaves malades avant qu’ils ne meurent à bord et ne contaminent les autres. C’est parfaitement légal ! Il ferait beau voir qu’on interdise à un honnête commerçant de disposer de sa marchandise à son gré. Non seulement c’est permis, mais c’est aussi encouragé puisque tout esclave noyé pour sauver le reste de la cargaison donne droit à une indemnisation versée par les assureurs. Incroyable, mais vrai ! Chaque esclave sacrifié permet de recevoir 30 livres, alors qu’un esclave mort de maladie ou même déposé vivant sur une île ne donne droit à aucun remboursement. Collingwood, qui a commencé sa carrière chez Lakshmi Mittal, n’hésite pas.
À l’eau, les esclaves malades
Il ordonne à son équipage de jeter à l’eau les esclaves malades. Il n’y a que le quartier-maître James Kelsall pour s’insurger contre cette solution radicale. Les autres appliquent la consigne. Ils attachent les malades deux par deux au moyen de lourdes chaînes avant de les jeter pardessus bord. Le 29 novembre, premier jour du massacre, cinquante-quatre esclaves sont sacrifiés. Ils hurlent, se débattent, s’agrippent les uns aux autres, mais rien à faire, le capitaine et les marins sont sans pitié. Ils ne voient pas des hommes, mais des marchandises avariées et la perte de leur profit. La loi est de leur côté. Ces imbéciles de nègres feraient mieux de leur faciliter la tâche pour le bien de l’entreprise commune… Le lendemain, même horreur : quarante-deux autres « ballots humains » sont noyés. Et encore vingt-six, le 1er décembre. Ce jour-là, dix esclaves effrayés par l’inhumanité des Anglais préfèrent encore en finir immédiatement avec la vie. Ils sautent à l’eau. C’est donc un suicide qui ne donne pas droit à une indemnité ! Les salauds ! S’ils étaient employés par l’industrie française, on comprendrait encore leur désespoir, mais là…
Après une traversée de 112 jours (donc deux fois plus longue que la moyenne observée habituellement), le Zong finit par jeter l’ancre en Jamaïque, le 28 décembre, avec 208 Africains survivants. Soit une perte de 53 %. Petite justice, Collingwood, très malade, meurt trois jours après le débarquement. Dès que le navire est de retour à Liverpool, les copropriétaires du Zong déclarent leurs pertes aux assureurs pour toucher l’indemnité correspondant aux 122 esclaves sacrifiés. Dans son journal, Collingwood avait justifié le massacre par la maladie et le manque d’eau à bord, ce que dément le quartier-maître. Du coup, les syndicats des assureurs de Liverpool soupçonnent une escroquerie à l’assurance et font un procès qui s’ouvre le 6 mars 1783. Lors d’un premier jugement, le tribunal donne raison aux propriétaires. Appel des assureurs.
« Les Noirs sont des marchandises »
Lors du procès en appel, plusieurs anti-esclavagistes célèbres, tel Granville Sharp, entrent dans la danse, révulsés par le sort des #Africains arrachés à leur terre natale. Mais le procureur général d’Angleterre et du pays de Galles les prend de haut : « Quelle est cette revendication que des êtres humains ont été jetés par-dessus bord ? Ceci est un cas de biens et de marchandises. Les Noirs sont des #marchandises et des biens appartenant à un propriétaire, c’est une folie d’accuser ces hommes honorables ayant agi correctement de meurtre. Ils ont agi selon la nécessité et de la manière la plus appropriée. Feu le capitaine Collingwood a agi dans l’intérêt de son navire et pour protéger son équipage.
Remettre en question l’expérience d’un capitaine qui a longuement navigué et qui est fortement estimé est une folie, tout spécialement quand on parle d’esclaves. Le cas jugé est le même que si du bois avait été jeté par-dessus bord. » Dans un coin de la salle, le patron du Medef, Pierre Gattaz, applaudit.
En fin de compte, Lord Mansfield, qui préside la Cour de justice, refuse l’indemnisation, estimant que le manque d’eau à bord découlait d’une mauvaise gestion du navire par le capitaine. Du reste, cette excuse est d’autant plus inepte qu’en arrivant en Jamaïque le Zong dispose encore de 1 900 litres d’eau douce. Il reproche également au capitaine d’avoir surchargé son navire. Mais le procès du Zong n’est que celui d’une indemnisation de marchandises. À aucun moment il n’est question d’accuser de meurtre Collingwood et son équipage. Au moins fait-il connaître à l’opinion publique anglaise la cruauté du commerce des esclaves. Cette prise de conscience conduira le Parlement britannique à voter la loi interdisant la traite atlantique (The Slave Trade Act) le 23 février 1807, ratifiée par le roi le 25 mars.