Tribune libre.
Ces phrases toutes faites, cela fait des années qu’on les entend, elles ponctuent quasi-systématiquement nos fins de conversation, comme autant de truismes auxquels nous devons nécessairement l’adhésion. Et si elles étaient en réalité des poisons injectés chaque jour pour mieux tuer notre estime de nous mêmes, nous déresponsabiliser dans la mesure où elles enterrent dans l’oeuf notre volonté de faire changer les choses autour de nous, dans notre entourage, dans notre pays ? Cette capacité importante à croire en nous, à nous estimer capables. Ainsi nous pourrions redécouvrir notre pouvoir d’influence, d’action, et nous pourrions poser des actes constructifs pour le futur.
Phrase 1. A l’échelle individuelle :
« Il (ou Elle) a toujours été comme ça, on ne peut pas le changer »
Nous avons tous la capacité de nous améliorer. Non on ne change pas le caractère des personnes, leur tempérament mais on peut modifier leur manière de s’adresser à vous, les influencer dans leur manière d’interpréter, de projeter sur vous des intentions que vous n’avez pas,. d’interpréter les évènements; vous pouvez les aider à modifier certaines de leurs attitudes et croyances, surtout quand on comprend ce qui les pousse à agir. pour peu que l’on prenne le temps de dialoguer avec elles.
on peut leur faire comprendre les conséquences de leurs actions sur leur entourage, que leur attitude peut blesser par exemple ou que cette manière de faire ou d’agir n’est pas appropriée ou pourrait être améliorée.
Dire cette phrase c’est nier non seulement la capacité des personnes à s’améliorer mais aussi votre propre pouvoir d’influence dans une transformation possible. Vous avez le pouvoir de les influencer pour les faire progresser. Ne rien dire sous le prétexte que la personne ne changera pas, c’est surtout de la lâcheté, c’est renoncer par avance pour ne pas vous en donner la peine. Cette phrase laconique tout le temps prononcée est une manière (inconsciente ? ) de se déresponsabiliser quand à l’influence positive que l’on peut avoir sur les siens.
Phrase 2. A l’échelle locale
« Je jette des ordures dans la rue parce que ça donne du travail aux employés municipaux ».
Les employés municipaux, que vous jetiez ou pas des ordures conserveront leur emploi; Ils feront autre chose que de rammasser vos cochonneries. S’ils perdent leur emploi, ce n’est pas à cause de l’absence d’ordures. dans les rues.
Par contre à coup sûr, vous allez polluer l’île; Polluer l’espace dans lequel on vit c’est aussi stupide que de transformer sa maison en poubelle en pensant que ça va occuper votre compagne ou vos enfants de faire du ménage. Prendre conscience de notre responsabilité environnementale dans notre magnifique territoire, c’est mettre en place une politique de développement durable, c’est à dire penser aux nouvelles générations, leur permettre d’hériter d’une Martinique en bon état et non pas leur laisser une poubelle à dépolluer. Une politique résponsable, ce serait par exemple mettre les pollueurs dans l’obligation de dépolluer. Etre responsable c’est assumer ses actes et les conséquences de ses actes. Les rues ne sont pas des poubelles. Adopter ce comportement c’est nier notre responsabilité dans la pollution de l’île. Le plastique prend 100 à 1000 ans pour se décomposer. le verre 4000 ans.
Phrase 3. A l’échelle régionale.
« Il ne faut pas informer les gens, ils vont paniquer »
Quand cela est possible, la prévision en amont permet la prévention. On ne peut pas prédire un tremblement de terre (prévision) mais on peut s’y préparer en amont (prévention). On peut par contre prévoir certaines catastrophes comme les cyclones. :Avertir de la potentialité, ou du danger, c’est une étape nécessaire pour les citoyens. Les martiniquais pourraient par exemple ne pas paniquer et prendre des mesures de protection pour leurs familles et leurs biens. La phrase suppose que tout le monde a un comportement irrationnel. . Or si les gens sont avertis, ils peuvent faire aussi de façon à se protéger : contre un risque, une épidémie ou autres. Et ceci est nécessaire pour limiter le nombre de victimes. La phrase est dangereuse et insultante car elle suppose que tout le monde dans l’île agit inconsidérément. La phrase enferme les martiniquais dans un comportement de personnes incapables de garder leur sang-froid (« ils vont paniquer ») incapables de faire de la prévention. Avertir permet de limiter les victimes des catastrophes. Voilà pourquoi le nuage de Fukushima a pu passer sur les Antilles sans que les martiniquais ne soient correctement informés et les mamans promenaient leurs bébés dans les poussettes dehors parce que les autorités n’avaient pas informé correctement la population. En cas de tsunami, avertir permettraient aux personnes de ne pas par exemple se rendre sur les littoraux…. Là ce sont les pouvoirs publics qui se déresponsabilisent en faisant porter la responsabilité sur un prétendu comportement inapproprié des martiniquais. « Comme ils vont mal réagir, pas la peine de communiquer et de prendre des mesures pour les protéger »..
Phrase 4 : « On ne va pas refaire le monde »
ar nos actes, par notre inaction parfois, on agit sur le monde ; la phrase suppose que les personnes sont déresponsabilisées; On ne peut refaire le monde car il est hors de notre portée, on se positionne comme incapables, inaptes. C’est une phrase erronée, car même quand s’en croit incapable. on modèle le monde, justement en ne faisant rien. En ne faisant rien on contribue à le conserver en l’état sans y apporter d’améliorations. Par notre caractère, nos actions, nos échanges, paroles, parce que nous faisons et ne faisons pas, nous transformons le monde.. J’apprend à mes élèves qu’ils peuvent avoir une action sur leur quartier, leur commune, sur leur île, sur leur pays, alors « on ne peut pas refaire le monde » est une phrase qui déresponsabilise et qui nie le pouvoir individuel de chacun. Aimé Césaire, Frantz Fanon pour citer des personnalités martiniquaises qui ont largement contribué à influencer le monde. Or ce sont des martiniquais. Oui on peut définitivement par nos actes, nos paroles, refaire le monde, le repenser, le transformer.
Certes nous ne sommes pas tous des Aimé Césaire et des Frantz Fanon, ni des Edouard Glissant, ni même des Raphaël Confiant, mais chacun à sa manière, peut modifier les relations dans son immeuble, son quartier, son île en faisant, en agissant. L’employé qui dans sa manière de penser change l’ambiance de l’entreprise, l’artisan qui permet de maintenir une tradition , l’artiste qui fait passer des valeurs, le journaliste courageux, qui révèle une affaire, l’instituteur qui forme ses élèves, le professeur qui explique, une personnalité politique sincère qui veut vraiment faire avancer son pays… .. Dans tous les cas nous sommes tous des acteurs de notre propre destin et ce serait utile pour notre territoire que chacun redécouvre son pouvoir personnel. Ces phrases nient notre rôle, notre pouvoir individuel En ces périodes électorales, vous êtes nombreux à ne pas voter, ne pas voter est un acte, voter peut être un acte encore plus fort, pour s’exprimer pour dire son adhésion ou son refus. Mais dans tous les cas, nier que l’on puisse avoir un rôle dans sa société est une erreur.
En refusant ce genre de phrases, nous pourrions découvrir que nous avons le pouvoir d’agir, nous martinquais. Nous avons l’île que nous méritons, par nos actions et nos inactions, l’île reflète ce que nous sommes; Si nous agissons pour qu’elle soit mieux organisée, plus belle, plus accueillante, elle le sera.
Marie-Line Mouriesse