Un évènement pompeux rendu à la gloire du Tribunal Colonial de Saint-Pierre qui s’inscrit parfaitement dans l’effacement des mémoires et la théorie de l’oubli …
Le 19 mai 2023, sera une date historique à la Martinique, qui atteint là, par le biais des avocats à la tête desquels on retrouve le roi du Bénin (roi ou prince on ne sait plus), qui se dit « fils spirituel » du très valeureux Garcin Malsa, le bâtonnier Georges Emmanuel Germany.
A l’initiative du bâtonnier, sera posée une plaque sur l’ancien site du Tribunal de Saint-Pierre d’avant la catastrophe. Si l’intention est bonne, on aurait pu s’arrêter là. Mais il s’avère que l’orgueil démesuré de l’homme prend le dessus.
En grande pompe, les avocats de Martinique, accompagnés de juges de la Cour d’Appel et du tribunal de Grande Instance, se déplaceront jusqu’à Saint-Pierre pour cet évènement, qui aurait pu, sinon aurait dû, se faire en toute discrétion.
Pourquoi ? parce que c’est ce même tribunal, raciste et esclavagiste, qui a contribué à spolier, voler les libres de couleur et les affranchis de leurs terres avec la complicité des magistrats, curateurs et colons, tous liés ensemble, lorsqu’au décès des malheureux propriétaires, on ne leur reconnaissait aucune famille, puisque l’esclave en tant qu’être humain n’existait pas.
C’est d’ailleurs ce qu’a noté Françoise Thésée, dans son livre « le général Donzelot à la Martinique » : »le procureur du tribunal de Saint-Pierre couvrait toutes les déprédations de Sorin (Béké de Saint-Martin nommé curateur aux successions vacantes à Saint-Pierre). »
Et pour mettre un peu d’ordre dans ce système judiciaire corrompu, le commissaire de justice Delamardelle est envoyé en Martinique le 22 mars 1820 et il constate « les abus les plus révoltants », concernant les successions vacantes notamment, appartenant toutes à des affranchis.
Plus tard, ayant constaté la complicité qui liait magistrats blancs et colons békés, Delamardelle choisit alors de monter une commission composée « d’hommes de couleur », mais renonça sous une trop forte pression.
C’est aussi ce même tribunal de Saint-Pierre auquel fièrement le bâtonnier Georges Emmanuel Germany veut rendre pompeusement hommage qui condamna les insurgés de 1822, en demandant que soient présents tous les esclavagisés des environs, Carbet, Saint-Pierre, Prêcheur afin qu’ils suivent cette condamnation abjecte. L’exécution eut lieu le 19 novembre 1822, de 8h30 à 11H à Saint-Pierre.
Le verdict du Tribunal de Saint-Pierre fut suivi à la lettre : 66 de ces courageux guerriers furent conduits à l’échafaud, 37 furent fouettés et marqués au fer rouge, 22 furent menés au pied de la potence, nus avec juste un caleçon, et les 7 autres qui restaient furent enchainés à une sorte de fauteuil eurent le poigné tranché à la hache, et la tête coupé au coutelas.
C’est aussi ce Tribunal de Saint-Pierre qui se fit complice des békés pour vider Saint-Pierre et Fort Royal de ses plus riches « hommes de couleur » qui leur faisait de l’ombre parce qu’ayant pour beaucoup une fortune considérable dans le commerce ou les professions libérales.
Une affaire traitée à la va-vite par le procureur général par intérim Richard de Lucy, avant que n’arrive le futur procureur.
C’est le prétexte de l’affaire Bissette, Volny, Fabien, où Bissette fut condamné aux galères et marqué au fer rouge. Le verdict fut la remise d’un passeport à 148 « hommes de couleur libre » les plus riches de la colonie, et l’injonction de quitter la Martinique immédiatement en y abandonnant leurs biens et toute leur fortune qui bien entendu furent récupérés par les blancs. Certains avaient même des enfants faisant leurs études en France.
Les conséquences de cet ignoble complot furent désastreuses.
Expédiés, ruinés, vers l’Afrique, la France et l’Amérique, il s’en suivi une véritable épuration ethnique qui vida la Martinique de 1500 « hommes et femmes » de couleur les plus riches et leurs biens livrés aux enchères et acquis par les békés…
Voilà comment ce système judiciaire, et notamment le Tribunal de Saint-Pierre œuvrait pour le compte des colons blancs, malgré une ordonnance de 1828, qui renouvelait d’anciennes dispositions qui défendaient aux magistrats d’acquérir des biens donnés par les colons et de contracter mariage avec des femmes békées.
Cette ordonnance n’a pas même été inscrite au Bulletin des lois, parce qu’on a livré les hautes fonctions de la magistrature aux blancs « créoles », les békés donc, exclusivement, toujours ! Et ce sont eux qui se rendaient témoignage entre eux, dans les notes envoyées au ministère…
175 ans après l’abolition de l’esclavage, au lieu d’une plaque posée en toute discrétion à l’emplacement de l’ancien tribunal dans cette ville chargée d’histoire, une manifestation qui ressemble plus à un hommage pompeux rendu à la gloire du Tribunal de Saint-Pierre aura lieu le 19 Mai 2023 à Saint-Pierre !