C’est la reprise quasiment de la même argumentation utilisée pendant la campagne des régionales 2010 et à laquelle nous avions répondu dans Justice (n° 11 du 18 mars 2010) et sur le net.
Il est clair qu’il y a une bonne et une mauvaise dette. La crise de la dette en Europe, par exemple, résulte du sauvetage par les Etats du capitalisme financier de la déroute en 2008/2009 du fait de la spéculation des banques et autres fonds spéculatifs.
Un poids de la Région dans l’économie limité
Il faut rappeler d’abord le rôle réel de la Région dans l’économie. Il faut répéter encore au professeur que les dépenses de la Région (338 millions d’euros en 2010) ne représentent que 4,3 % du PIB (Richesse globale martiniquaise = 7,79 milliards d’euros en 2010) alors que celles de l’Etat (2,9 milliards d’euros) pèsent 37,2 % du même Produit Intérieur Brut.
Certes, les Collectivités locales comptent pour 80 % des investissements publics et ceux l’Etat pour 12 % de ces derniers. Mais les investissements publics ne représentent que 23 % de l’investissement total1. Le reste, c’est le secteur privé, à savoir les entreprises, les ménages, institutions financières, etc 2. La Région peut contribuer à l’investissement mais son rôle reste secondaire.
Il faut donc faire preuve de lucidité : l’Etat, l’Europe, le secteur privé, les banques sont les acteurs principaux de l’économie dans le cadre colonial départemental et sont plus comptables que la Région des résultats au positif comme au négatif
Des recettes fiscales futures engendrées par l’emprunt ?
Les principales recettes fiscales de la Région, à savoir la taxe sur les carburants et la taxe additionnelle à l’octroi de mer, sont assises essentiellement sur la consommation et l’importation et non sur la production intérieure. On l’a vu en 2009 lorsque l’économie a été en récession et que l’importation a chuté entraînant la baisse des recettes de l’octroi de mer et de la taxe spéciale sur les carburants. La Région ne perçoit pas la TVA, ni l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés plus sensibles à l’activité. Jean Crusol continue à ne pas comprendre que la Région ce n’est pas l’Etat et n’a pas l’autonomie, notamment fiscale. Ce que le professeur ne dit pas, c’est que la dette se traduit immanquablement par la hausse des impôts. A Fort-de-France par exemple chaque foyalais en 2010 paie 223 € par an au titre du remboursement de la dette. La Région Martinique sous l’ancienne majorité n’a pas bougé ses taux d’imposition depuis 1998. Sa taxe sur les carburants est la plus faible des DOM et de France, si bien que le gazole est 14 centimes au litre moins cher au 1er décembre 2011 en Martinique qu’en France. Sa pression fiscale globale (recettes fiscales totales/potentiel fiscal total en €/habt) en 2009 (soit 0,95) était inférieure à la moyenne française (soit 1) alors qu’à la Guadeloupe elle est supérieure (soit 1,09), comme en Guyane(1,11)3. Il faut être sérieux.
La chute du tourisme ?
Elle est due à des facteurs nombreux qui ne sont pas liés pour l’essentiel à la politique régionale : vieillissement progressif du produit touristique datant des années 1980/1990, concurrence des destinations à bas coût, évènements dévalorisant l’image (cyclone Dean, tremblement de terre, chlordécone, épidémie de dengue en 2007-2008), crise sociale de février 2009, etc. Les comptes économiques 2010 enregistrent certes un regain d’activité dans le tourisme. Le nombre de touristes est en progression de 6,7 % sur 2009 et ils ont dépensé 15,2 % de plus. Mais cela ne représente encore que 3,6 % du PIB martiniquais. Avec 620 000 visiteurs en 2010, la Martinique ne retrouve pas le niveau d’avant 2008 (631 000 touristes) et encore moins le million de 1999. La Martinique est 10ème destination caribéenne en 2010. Un peu de modestie.
Croissance négative en 2008 (- 0,3 %) ?
Les comptes économiques du Cerom4 l’attribuent principalement au recul de la consommation des ménages, elle-même due à la politique du gouvernement. Et aussi au fléchissement de l’investissement privé.
Meilleurs résultats en Guadeloupe ?
En Guadeloupe en 2008, même si la croissance a été de 1,1% contre – 0,3 % en Martinique, se manifestaient aussi des « premiers signes de crise », comme l’écrit l’INSEE, en raison de la baisse de la consommation et de l’investissement. Le chômage augmentait de + 4 %. Le taux de chômage était sensiblement le même dans les deux pays : 22,4 % en Martinique et 22 % en Guadeloupe au milieu de l’année 2008. Sur la décennie précédant l’année 2008, la moyenne de la croissance de la richesse est de 4,6 % en Martinique contre 3,1 % en Guadeloupe5. Et les deux pays sont entrés en crise sociale début 2009. Le grippage de leur pseudo-croissance depuis 2007 était le signe de l’épuisement du modèle de développement départemental, comme Sarkozy lui-même a du l’admettre.
Indiquons que, même si cet indicateur est critiquable, le PIB par habitant en 2008 était de 19 607 € en Martinique contre 17 882 € en Guadeloupe, 14 204 € en Guyane et 16 434 € (2006) à la Réunion6. Alors ?
Reprise de la marche en avant ?
Jean Crusol conclut son algarade en affirmant qu’avec la nouvelle majorité autour de Serge Letchimy « la marche en avant a repris » et que « les premiers résultats sont au rendez-vous ». La machine à truquer les chiffres est donc remise en route : « (…) Le montant de l’emploi total s’est accru significativement Les statistiques officielles constatent que le taux de croissance de la Martinique a atteint 4,6 % en 2011, soit le taux le plus élevé des DOM et un taux trois fois plus élevé qu’au niveau national. Et nous, la nouvelle équipe, ne sommes aux manettes que depuis moins de deux ans ! », triomphe -t-il.
Accroissement de l’emploi total ?
L’emploi total a certes augmenté en 2010 de 2 800 personnes selon l’enquête emploi 2010 de l’INSEE dont Jean-François Lafontaine, le Directeur de cabinet du président de la Région, fait état régulièrement. Cette enquête, faut-il le préciser, a été réalisée au 2ème trimestre 2010 (mars à juin) et donc ses résultats ne peuvent nullement être imputés à une quelconque action de la nouvelle majorité régionale comme le prétendent J-F Lafontaine et Jean Crusol7. Mais cette hausse, de surcroît, concerne les non salariés, le secteur informel et les formes particulières d’emploi, c’est-à dire les emplois précaires (intérim, stages, emplois aidés, etc), expliquait M Georges Para soi-même alors Directeur de l’INSEE-Martinique le 13 décembre 20108.
Par contre, selon le rapport récent de Pôle emploi9, l’emploi salarié privé a reculé de 1 250 en 2010 après 3 300 unités en 2009. Le nombre de salariés du privé est de 75 390 en 2010. Et 350 établissements ont fermé leurs portes cette année-là. Avec un nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A de 41 904 en octobre 2011, en augmentation de 7,1 % sur un an, le chômage officiel est à « son plus haut niveau sur les 10 dernières années en 2011 », souligne pôle emploi.
Un taux de croissance de 4,6 % en 2011 ?
Rectifions d’abord qu’il s’agit du rebond de croissance de 4,6 % en 2010 et non 2011 après la récession historique de – 6,5 % en 2009. Le taux de croissance de 2011 n’est pas encore connu. La nouvelle équipe régionale est arrivée en mars 2010 et peut difficilement s’attribuer les résultats (positifs ou négatifs) de l’année 2010. L’économie réagit avec un temps de retard. L’INSEE attribue ce « retour de la croissance en 2010 » au principal au « rattrapage » de la consommation en 2010, une consommation basée sur le réamorçage de l’importation : « Ce rebond est pour partie dû à un report des consommations envisagées en 2009 sur l’année 2010 », explique l’INSEE10. C’est pour une part aussi l’effet de la prime de vie chère arrachée en mars 2009 par les travailleurs qui, malheureusement, s’est reportée sur l’importation renouant avec le cercle vicieux consommation-importation en l’absence de changement des structures économiques. Il en est de même en ce qui concerne la reconstitution des stocks des entreprises en 2010 après leur effondrement suite à la crise de 2009.
En réalité, en euros constants 2007 (hors inflation), le PIB est toujours inférieur en 2010 (7,79 milliards d’euros) au niveau de 2007 (7,90 mds €). Si la prétendue croissance est la plus élevée des DOM en Martinique et trois fois supérieure à celle de la France, c’est que la chute de la croissance en 2009 avait été la plus sévère de l’ensemble français (France : moins 2,6 % en 2009 ; Guadeloupe : moins 4,8 % en 2009 par exemple) et le rebond y est logiquement le plus élevé.
En 2011, selon l’IEDOM, l’activité au 3ème trimestre reste « atone » (sans vigueur). Le chômage continue d’augmenter. Le marasme paraît continuer.
Et la crise ? Quelle réponse martiniquaise ?
Nous attendons que la nouvelle équipe régionale dotée de technocrates nombreux nous dise la véritable part du Conseil régional dans l’évolution des indicateurs macroéconomiques mesurant l’activité économique de la Martinique.
En tous cas, la sollicitation voire la manipulation des chiffres à des fins bassement politiciennes ne peut honorer quelqu’un qui se réclame si hautement de la Science économique pure. Tous les coups ne sont pas permis.
Le véritable débat aurait du porter sur la manière dont la Martinique doit faire face à l’aggravation de la crise en France et en Europe en 2012, au lieu d’en rester à des règlements de comptes budgétaires à des fins de calculs électoraux (législatives).
Michel Branchi (27/12 :2011)