Par Yves-Léopold Monthieux.
Je sais que le dernier ouvrage que je lui ai en partie consacré n’a pas plu à Alfred Marie-Jeanne. Mais ce n’était pas l’objectif. Je sais que la louange est le seul langage utilisé par les essayistes martiniquais et accepté par nos hommes politiques. J’ai toujours pris le risque de déranger les uns et les autres, me tenant à l’écart de leur nomenclature.
C’est le prix de la vérité et de la liberté d’écrire. Je n’ai donc rien à enlever des analyses publiées en janvier 2015, lesquelles ne se trouvent que légèrement décalées dans la forme après le succès inattendu du GRAN SANBLE POU BA PEYI A AN CHANS à l’élection de la CTM. Cependant je souscris entièrement à la déclaration de Yan Monplaisir, prononcée après la décision des juges de reporter le procès d’Alfred Marie-Jeanne.
« Je trouve, dit-il, particulièrement injuste que ce soit cet homme là qui soit mis dans une telle situation ». Il aurait pu ajouter comme son ami Pierre Petit, dans Antilla du 26 février dernier : « Avec Marie-Jeanne c’est toujours un coup de gueule, et trois coups de cœur… ». Cette réaction modérée m’a paru parfaitement convenir à la situation.
Yan Monplaisir n’a pas dit que le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique est innocent.
Il n’a pas dit que la justice s’acharne sur le président Marie-Jeanne. Il n’a pas dit non plus que ses adversaires ne sont pas dans leur bon droit. Il a dit que l’homme que tout le monde connaît pour sa droiture, sa probité et sa pratique désintéressée de la politique ne méritait pas d’être dans la situation où il se trouve aujourd’hui. En effet, cet homme pourrait voir s’arrêter sa carrière politique sur la pire des affaires, celle mettant en cause son rapport à l’argent public.
J’ai été étonné par les arguments de victimisation choisis par les avocats d’Alfred Marie-Jeanne. Ils n’ont fait que relayer les propos impulsifs de ce dernier qui, eux aussi, sont regrettables. Ils ont choisi de privilégier le spectacle et l’outrance au détriment des arguments de droit. J’ai connu ce genre de défense dans mon métier, qui a rarement été glorieux. L’adresse faite aux magistrats et les cris de victoire – quelle victoire ? – du genre « ou Kayé » proférés sous le porche du palais de justice ne me paraissent pas relever d’une stratégie de défense digne et surtout utile.
Ces comportements sont plutôt susceptibles d’encayer davantage leur client. N’était-ce pas les mêmes qui avaient convaincu Alfred Marie-Jeanne de se constituer partie civile- affaire qu’il a perdue – contre les auteurs de la lettre anonyme. Mais il est toujours possible, en matière judiciaire, que des prévenus en viennent à changer de monture au milieu du gué.
Reste que nous sommes en présence d’un combat douteux, expression que j’emprunte à Césaire, entendue au soir de l’assassinat de Jalta sur la Savane. Je ne doute pas de la justice de mon pays, dite coloniale un jour et saisie avec confiance le lendemain, laquelle, en tout état de cause, est estimée par tous les citoyens de la Caraïbe comme la meilleure de la Région.
Aussi, le combat mené contre l’ancien président de la région n’est pas sans fondement juridique, je dis qu’il est douteux. Douteux en raison du moment où il intervient, 6 ans après les faits ; douteux par la nouvelle orientation qui lui est donnée, la volonté d’éliminer un adversaire politique porté par l’opinion ; douteux parce les initiatives nouvelles sont corroborées par des déclarations surprenantes de personnalités politiques, du genre « mieux vaut tard que jamais » ; douteux parce que cela se passe sous des airs de revanche ; douteux parce qu’il intervient seulement à la veille du procès ; douteux en raison de la violence des propos qui nourrissent ce combat ; douteux parce que la nouvelle phase judiciaire commence dans l’anonymat de requérants lambda, à l’image d’autres lettres anonymes de sinistre mémoire ; douteux parce que confié à un jeune avocat alors que des ténors sont dans l’ombre ; douteux parce qu’on n’a pas l’impression d’être en face d’un besoin irrépressible de justice. DOUTEUX…, je ne dis pas autre chose.
De même que j’ai dénoncé les défis lancés à la justice, de même que j’estime que jusqu’à plus ample informé il n’y a rien à redire de la décision des juges de donner suite à la demande de report, je dis que le combat mené contre Marie-Jeanne est un combat douteux. A un conseiller de l’assemblée qui me demandait pourquoi, selon moi, la région ne s’était pas constituée partie civile. Je lui ai répondu qu’en politique les vainqueurs sont toujours magnanimes et les vaincus, revanchards. Une fois la victoire acquise, le vainqueur se désintéresse des suites des affaires judiciaires survenues pendant la campagne électorale. C’est l’inverse pour les vaincus. L’affaire du Green Parrot a duré assez longtemps pour permettre d’être magnanime, puis rancunier.
5 mars 2016
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