Bondamanjak

Agapes exotiques à l’Elysée


Par Pierre-Yves CHICOT

Le désir d’inscrire son nom dans l’histoire en lettres pâles peut donner lieu à des
initiatives dont on ne comprend ni les contours, ni le sens, ni une profondeur qu’on a
peine à trouver car elle n’existe pas.
Ainsi en va-t-il de l’appel de Fort-de-France, cette déclaration, dont on a l’étrange
impression que sa rédaction s’est déroulée sur un bout de table, arrivant comme un
cheveu sur la soupe, donc impréparé, à l’occasion d’une rencontre internationale, qui,
pour le coup, à une histoire de vaillants hommes et de femmes.

En effet, la conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l’Union
Européenne est née à Gourbeyre, en Guadeloupe, au début des années 90 lorsque des
politiques de Guadeloupe, Guyane et Martinique parviennent, avec leurs homologues
espagnols et portugais, par leur ténacité, à faire inscrire dans le droit primaire de
l’Union Européenne l’idée politique d’une Europe qui n’est pas en Europe.


C’est alors la normativisation de l’identité géographique et socio-culturelle des Açores,
de Madère, des Canaries, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La
Réunion, consignée dans le Traité de Maastricht et reprise jusqu’à aujourd’hui dans le
Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne.
L’appel de Fort-de-France verse dans l’incrédibilité en l’ignorant, et veut faire croire
qu’il y a une originalité politique qui n’en est pas une, tout en tentant de faire oublier
la déclaration de Basse-Terre et de Cayenne dont la profonde substance n’est
absolument pas épuisée, voire même à peine entamée.

Lors du dîner de l’Elysée, à l’initiative du chef de l’Etat qu’on a voulu interpréter
comme la réponse à l’appel de Fort-de-France, on apprendra à contre-courant de
l’enthousiasme béat de certains exécutifs, très rares d’ailleurs, que le triptyque de ces
agapes, plus récréatives que studieuses, dicté par l’État (la collectivité territoriale
supérieure dira-t-on en droit public) est le suivant :

Pire, ce qui étonne c’est que l’auteur du « syndrome du poulailler » lauréat du prix
Goncourt en 1992 ne se hisse pas au rang d’un « vaillant coq » qui a réussi à faire
respecter une littérature française d’expression antillaise enseignées dans de nombre
de facultés de lettres du Monde.
Certes, ce qu’il appelle « le système outre-mer » présente encore à bien des égards des
formes de renoncements à la domination coloniale qui est le socle historique des
relations entre la France hexagonale et les créations de France extra-hexagonale. Mais
tout autant, nos civilisations, dans les pays français d’Amérique par exemple, ont fait
éclore le courage. Ce courage qui peut être d’une amplitude telle, qu’il a fait voler en
éclat le système inique de la servitude qui glorifie l’imbécile asymétrie épidermique.
Que gloire soit rendue aux nègres marrons qui ont été imités par les fellaghas en Algérie
ou les résistants français contre l’occupation allemande. On y voit là, l’universalité « de
la résistance à l’oppression comme un droit naturel » et comme issue de la culture que
nous appellerons volontiers « marronienne ».

Ne faisons pas injure à toutes les formes de résistances créées dans nos histoires
respectives, facteurs d’émancipation, qui se prolongent encore, et qui ont vu, voient
des poules et des coqs, voler très haut dans les firmaments du monde.

Ne nous laissons pas aller aux larmoiements, « vertus » de faibles, en désignant l’autre
et l’environnement normatif qu’il a créé comme l’unique source de nos malheurs et
d’une prétendue incapacité ontologique à faire mieux ou autant que les autres.
En nous immergeant dans la plainte, montrant toujours de l’index le blanc, à l’origine
de nos malheurs, nous sommes frappés de cécité face à la méchanceté qui peut régner
entre nous, dévitalisant constamment la solidarité, au profit de l’envie et de la jalousie
qui gangrènent plus vélocement encore les petites sociétés telles que les nôtres.
L’appel de Fort-de-France participe de ce rituel macabre qui fait obstacle à l’émergence
de la culture de la responsabilité politique.
La culture de la responsabilité
Peut être classé au rang d’oxymore, le fait que parallèlement à la réclamation d’un
interventionnisme étatique plus aigu dans les territoires de droit commun
apparaissent de nouveaux acteurs politiques régionalistes, autonomistes ou
indépendantistes, en Guyane, en Martinique et à La Réunion.
En Guadeloupe, ce sont principalement des leaders syndicaux de culture marxiste-
léniniste qui proclament cet évangile d’apparente revendication de responsabilités,
tout en sommant inlassablement l’État, à se convertir à nouveau, à la doctrine surannée
des compétences régaliennes par nature.

Au final, il n’y a pas de contradiction dans la mesure où l’expression de cette nouvelle
sociologie électorale consiste à utiliser ces acteurs politiques pour défier l’État, en
pensant que ce dernier va accourir par peur qu’on l’abandonne. Il n’en est rien. Il n’en
sera rien, car l’État précisément, dans son droit de la décentralisation, vieux de 40 ans
aujourd’hui, inocule par vague successive sa philosophie politique de « liberté et
responsabilité locales ».
La dernière stratégie électorale concomitante, source d’un assourdissant électrochoc,
vise à faire du vote ultra-nationaliste un moyen de faire entendre la nostalgie de l’État-
providence, à la fois belle-mère et beau-père, mais qui dans le même laps de temps fait
écho à cette belle pensée de Paul Valéry : « si l’Etat est fort, il nous écrase, s’il est faible
nous périssons ».

La culture de la responsabilité est ancrée dans chaque citoyen de ses pays de la France
extra-hexagonale qui font des difficultés, une force, une opportunité, pour créer à
l’image du Gwo-ka, du Kasé ko et du Bèlè. Bref des musiques qui sont arrivées au
monde naguère, nous innervant immatériellement et nous signifiant aujourd’hui
encore que nous ne sommes pas moins que quiconque et qu’à l’image des anges nous
savons aussi voler.


Pierre-Yves CHICOT
Maître de conférences de droit public
Habilité à Diriger les Recherches
Avocat au Barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélémy