Début avril, la France a rendu un hommage national au poète martiniquais Aimé Césaire. Conformément à sa volonté, le corps de cet intellectuel, chantre de la négritude et de la décolonisation, décédé le 18 avril 2008 à l’âge de 94 ans, est resté dans son île natale. Mais une plaque à sa mémoire a été apposée au Panthéon, à Paris. Une fresque monumentale a été installée au cœur de la nef, composée de portraits évocateurs des quatre périodes de sa vie. S’agit-il d’un hommage à l’auteur du Discours sur le colonialisme ou d’une réparation aux cultures d’Outre-mer ?
Entretien avec l’historien Oruno D. Lara, fondateur et directeur du Centre de recherches Caraïbes-Amériques à l’université Paris X.
RFI : A sa mort, en 2008, tout le monde a rendu hommage au chantre de la négritude et de la décolonisation. Qu’est-ce que l’entrée symbolique d’Aimé Césaire au Panthéon apporte de plus ?
O.D.L. : Quand on dit « chantre de la décolonisation », je ne suis pas du tout d’accord. Pour moi, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, et La Réunion sont encore des colonies – quel est le taux de chômage dans ces départements d’Outre-mer ? En réalité, c’est l’hommage du gouvernement français à Aimé Césaire. On veut faire de lui la figure de la décolonisation, mais il n’a rien décolonisé. Il a obéi à de Gaulle, à Malraux, il a toujours dit oui. Aujourd’hui, en France, dans l’hexagone, il n’y a aucune chaire universitaire d’histoire de Martinique, de la Guadeloupe ou de la Guyane. Voilà la vérité.
RFI : En quoi consiste le génie d’Aimé Césaire ?
O.D.L. : Il faut replacer Césaire dans l’histoire de la Martinique, où il existe trois catégories de personnes : les colons békés qui sont encore en Martinique ; « les nègres libres » avant 1848 – c’est le cas de Césaire et de sa famille ; et puis ceux qui ont été libérés en 1848, et leurs descendants. Césaire appartenait à une famille aisée, ce que lui a permis d’entrer à l’Ecole normale supérieure, de faire de brillantes études et de devenir professeur. Ce n’est pas un génie, c’est un homme devenu maire de Fort-de-France alors qu’il ne connaissait rien en politique. Il a accepté de jouer le rôle que lui a fait jouer le Parti communiste martiniquais. Il s’est retrouvé député à Paris en 1945 où il a été complètement roulé dans la farine – c’est lui-même qui m’a parlé de cela – par Jacques Soustelle, ministre des Colonies dans le gouvernement provisoire de Gaulle, puis par Gaston Monnerville, chargé de préparer le statut de l’Outre-mer français. Césaire est devenu le rapporteur de cette loi du 19 mars 1946 érigeant la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion en départements. Il a été pris dans cette ambivalence.
RFI : Son héritage est-il galvaudé ou récupéré ?
O.D.L. : De son vivant, Césaire était interdit d’antenne à la radio et à la télévision française. Il a été longtemps l’ennemi public numéro 1. Personne ne voulait l’entendre. Sitôt mort, tout le monde l’écoute. Finalement, un nègre mort est un bon nègre. Il aurait été vivant maintenant, personne ne l’aurait écouté, et surtout pas le président Sarkozy.
RFI : Articles, livres, manifestations… Depuis trois ans, on a l’impression que tout a été dit sur l’homme, l’écrivain et l’homme politique Aimé Césaire. Reste-t-il encore une partie de sa vie ou de son œuvre ignorée ou mal connue ?
O.D.L. : Il y a beaucoup de choses que nous devons encore découvrir sur Césaire. D’abord, sa propre vie, le personnage lui-même, qu’on ne connaît pas du tout, par exemple qu’il battait sa femme. Si vous allez en Martinique, le maire du Marin pourrait vous dire beaucoup de choses sur cette question, mais personne n’en parle. Toute l’histoire autour de la loi du 19 mars 1946, dont il était le rapporteur, personne ne sait comment cela s’est concrètement fait. Il a été piégé par le ministre des Colonies, Jacques Soustelle. Aimé Césaire m’avait dit qui il ne pouvait pas en parler. Ce sont des choses que les Martiniquais ignorent.
Par Siegfried Forster / MFI