Le 24 octobre 1956, Aimé Césaire, député de la Martinique, adressait à Maurice Thorez, secrétaire-général du Parti Communiste Français à l’époque, sa démission du PCF et de son groupe parlementaire, car il considère « qu’il n’y aura jamais de variante africaine, ou malgache, ou antillaise du communisme« .
Il crée deux ans plus tard avec quelques compagnons parmi lesquels Pierre Aliker, Aristide Maugée et Georges Marie-Anne, le Parti progressiste martiniquais (P.P.M.).
Dans une interview à Khalid Chraibi, en avril 1965 à Paris, à l’occasion de la création, au théâtre de l’Odéon de Paris, de sa pièce « La Tragédie du Roi Christophe », dans une mise en scène de Jean Marie Serreau, Aimé Césaire déclare à propos de l’indépendance : » Mais toute la dignité de l’homme vient de ce qu’il préfère la liberté difficile à l’esclavage et la soumission faciles. C’est de cela que les pays nouvellement indépendants doivent prendre conscience, c’est de cela que le Roi Christophe a pris conscience… Sekou Touré a très bien exprimé cela en répondant au Général de Gaulle : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage. » «
Lors du IIIe Congrès du parti les 12 et 13 août 1967, le P.P.M. adopta le mot d’ordre d’autonomie.
Dans un discours prononcé le 9 novembre 1968 Aimé Césaire exprime clairement sa position en faveur du scrutin à la proportionnelle : « Au niveau de la délimitation par l’intermédiaire d’une assemblée élue au suffrage universel et selon les règles de la proportionnelle , et cela pour éviter la division entre un pays artificiel et un pays réel, et au niveau de l’exécution par l’institution d’un exécutif élu par l’assemblée régionale« .
Lors de la « Convention du Morne-Rouge », les 16, 17 et 18 août 1971, les partis et organisations autonomistes de la Réunion, de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique, réunis en convention, réclament dans une déclaration finale l’autonomie pour les 4 départements d’outre-mer.
Le 24 février 1973 dans la cour de la mairie de Fort-de-France, Aimé Césaire prononce un an après l’échec de la Convention autonomiste du Morne-Rouge, le célèbre “Discours des trois voies et des cinq libertés”.
Serge Letchimy explique sur son blog : « Compte tenu de ce revers une nouvelle stratégie s’impose. Aimé Césaire constate que le mot d’ordre d’autonomie n’obtient pas l’adhésion majoritaire. Il considère qu’il faut l’adapter aux exigences du temps présent et œuvrer pour promouvoir le développement économique.«
Ce “ Discours des trois voies et des cinq libertés ” marqua le début de la troisième et dernière étape de l’évolution politique : après l’engagement départementaliste (1946-1956), la lutte pour l’autonomie (1956-1973), il voulut réaliser la modernisation économique de l’île.
Dès le mois de juillet 1973, après sa réélection de justesse comme député, Aimé Césaire rejetait « le mot d’ordre d’indépendance comme inadéquat, irréaliste, irresponsable, dangereux même » lors de son discours au Vème Congrès du parti.
Le mot d’ordre d’autonomie a été réaffirmé lors du VIIIème Congrès du P.P.M. en juillet 1980.: “L’autonomie pour la nation martiniquaise, étape de l’histoire du peuple martiniquais en lutte depuis trois siècles pour son émancipation définitive”.
Dans son discours lors de ce Congrès, Aimé Césaire explique ce mot d’ordre.
Pour lui l’indépendance n’est pas un but, mais un moyen de l’émancipation de l’Homme Martiniquais.
Aimé Césaire a soutenu aux élections présidentielles de 1981 le candidat François Mitterrand qui a, lors de sa campagne, fait « 110 propositions pour la France » parmi lesquelles :
–la proposition n° 47 : « La représentation proportionnelle sera instituée pour les élections à l’Assemblée nationale, aux assemblées régionales et aux conseils municipaux pour les communes de 9 000 habitants et plus. Chaque liste comportera au moins 30 % de femmes.«
–la proposition n° 58 : « Pour les peuples de l’outre-mer français qui réclament un véritable changement, ouverture d’une ère de concertation et de dialogue à partir de la reconnaissance de leur identité et de leurs droits à réaliser leurs aspirations. Entre autres, dans les départements d’outre-mer, institution d’un conseil départemental, élu à la proportionnelle et responsable de la vie locale de chaque département avec consultation obligatoire avant tout accord international touchant à la région du monde où ils se trouvent. La loi déposée à ce sujet par le groupe parlementaire socialiste sera soumise au Parlement dès la prochaine session de la législature.«
Lors des élections présidentielles de 1981 qui virent l’accession au pouvoir en France de François Mitterrand, et par conséquent de la gauche, pour la première fois depuis le début de la cinquième république, la Martinique avait voté pour Valéry Giscard d’Estaing au second tour à une énorme majorité (78 % !).
Ce raz-de-marée en faveur du candidat de la droite signifiait que les Martiniquais n’étaient pas prêts pour l’indépendance.
Le 29 mai 1981, moins d’un an après que le P.P.M. ait réaffirmé son mot d’ordre d’autonomie, Aimé Césaire prononce dans la cour de la mairie de Fort de France, le célèbre “Discours du Moratoire”, dans lequel il a déclaré : “ Camarades, vous savez ce qu’est un moratoire ? C’est un arrêt provisoire, c’est une suspension. Je n’ai pas dit suppression, j’ai dit une suspension…Je proclame ce soir et jusqu’à nouvel ordre, je proclame solennellement un moratoire politique, concernant le problème du statut juridique ”.
Dans une interview précédant une cérémonie spéciale en son honneur à l’initiative de l’UNESCO en 1997, Césaire réaffirme ce qu’il avait dit lors du festival des arts nègres de Dakar en 1966 : « une indépendance purement politique, non accompagnée et soutenue par une indépendance culturelle, s’avère sur le long terme le moins fiable des boucliers (…) »
La question qui se pose est de savoir si Aimé Césaire est resté autonomiste ou a été indépendantiste.
Dans une interview au journal Nouvel Observateur en 1974 après le rendez-vous raté avec Giscard, Aimé Césaire répondait à la question du journaliste quant à sa position sur l’indépendance : « Si j’étais un poète dans le silence de son cabinet, je répondrais : oui, l’indépendance immédiate.Mais je suis au milieu de mon peuple, dans l’action. Je dois tenir compte de la nécessité d’une assez longue transition.« .
Le site Wikipédia montre cette ambigüité de l’idéologie politique césairienne : « Rétrospectivement, le cheminement politique d’Aimé Césaire apparaît étrangement contourné, en contraste avec la pensée de la négritude qu’il a développée par ailleurs. Tour à tour assimilationniste (départementaliste), indépendantiste et autonomiste (sans que l’on sache précisément ce qu’il entendait par là), Césaire semble avoir été davantage à la remorque des initiatives prises par les gouvernements métropolitains (en matière de décentralisation tout particulièrement) qu’un élément moteur de l’émancipation de son peuple. Il restera sans doute dans les mémoires comme le « nègre fondamental » et comme l’un des plus grands poètes en langue française du XXe siècle, peut-être le plus grand, mais non comme un chef politique ayant véritablement influencé son époque« .
En tout cas, Aimé Césaire a affirmé à la fin de sa vie être pour l’indépendance de la Martinique.
Il a en effet déclaré à Françoise Vergès lors de ses entretiens avec elle : « Je suis indépendantiste. Comme tout Martiniquais, je crois à l’indépendance, mais encore faudrait-il que les Martiniquais la veuillent vraiment!« .
Sandrine Saint-Aimé
Sources :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Aim%C3%A9_C%C3%A9saire
http://www.potomitan.info/atelier/pawol/cesaire.php
http://www.humanite.fr/La-lettre-de-Aime-Cesaire-a-Maurice-Thorez
http://www.montraykreyol.org/IMG/pdf/Cesaire_Discours_au_VIIIe_Congres_juillet_1980.pdf
http://www.mondesfrancophones.com/espaces/Caraibes/articles/aime-cesaire
http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=SOCO_044_0015
http://www.rfo.fr/evenements/aime-cesaire/index-fr.php?page=actu&id=42
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/aime-cesaire/biographie.asp
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/outre-mer/loi1946.asp
http://www.grioo.com/info6340.html
http://oumma.com/Aime-Cesaire-Il-est-bien-plus
http://www.lours.org/default.asp?pid=307
« Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle », Raphaël Confiant
« Nègre je suis, Nègre je resterai », Aimé Césaire, Entretiens avec Françoise Vergès (Nov.2005 – éd. ALBIN MICHEL)
Interview d’Aimé Césaire « Ce que j’aurais dit à Giscard », in Nouvel Observateur n° 528 (22-28 Déc. 1974), p. 18-19