Article publié dans le quotidien France-Antilles en 2008…
« Que m’est-il permis d’espérer ?
Jusqu’alors, je me racontais avec fierté un des cheminements politiques de la #Martinique. Il ne s’agit pas de grands évènements comme ceux que relatent les historiens, mais quelque chose de plus simple, de l’ordre de faits politiques qui m’ont accompagné dans ma démarche de militant.
Me reviennent en mémoire tous les petits pas que nous faisions et qui pour nous avaient de l’importance.
– la dénonciation de l’ordonnance d’octobre 60, qualifiée de scélérate
-la marche du mouvement A L E R T E (Association pour la Liberté d’Expression de la Radio et de la Télévision) sur FR 3 pour le droit d’expression pour tous
– que dire de notre admiration, de notre solidarité avec le combat de Lech Walesa et du syndicat Solidarnosc
– J’entends nos grands cris contre le macoutisme et la répression en Haiti.
– Combien étions-nous a trouver inconcevable qu’on cherche à nous étouffer, a nous demander de nous renier et de nous taire ?
– Combien étions-nous à être mis a l’index ou plus concrètement a être fichés pour avoir exprimé une opinion contraire a celle de ceux qui tenaient les rênes ?
Nous avons pour ces maigres et justes revendications, traversé les gaz lacrymogène, les coups
de matraque que nous infligeaient avec plaisir nos frères armés et aux cerveaux blindés et conditionnés. Certains ont été en garde a vue. D’autres y ont laisse leur vie. Mais pour qui ? Et pourquoi ?
Faut il croire que toutes ces péripéties, tous ces sacrifices, étaient voués à nous ramener à un simple changement d’individu ? Faut il croire que le combat n’était pas contre le fouet mais contre le fouetteur ou d’une couleur de peau ou que la douleur est moindre quand elle vient de nous même ?
Que le mépris, l’humiliation, la perte de son emploi doivent être consentis, acceptés comme
fait révolutionnaire et comme un simple linge sale qui se lave en famille. Peut être qu’il faut faire l’effort de se rappeler les raisons qui ont pousse à parler du bon, de la brute, et du truand.
. Ceux-là n’ont-ils pas été plus francs en choisissant ouvertement leur camp ? Il est a mon sens plus convenable d’avoir un adversaire de droite, que de faux « camarades »de gauche.
J’ai le sentiment qu’il y a de plus en plus de répression, de coups bas, de macoutisme autorisé, de cancans, de désir non dompte, de dictature.
Aveuglés par le carnaval des autres
Devant le grand silence complice de ceux qui partageaient mes roches et mes révoltes, j’ai l’impression que les clameurs se sont tues au point de faire des crieurs d’hier des spectateurs aveuglés par le carnaval des autres. De nos jours il suffit d’être lucide et ne pas s’enfermer dans un camp pour devenir « le non désiré », celui dont il faut se débarrasser, ou alors quelque chose de semblable.
De nos jours nous ne pouvons pas accepter de vivre le cauchemar d’un licenciement éventuel, d’un refus d’aide, d’une demande de rendez-vous jamais satisfaite, du refus d’un financement, d’un projet rejeté au prétexte d’un dépôt tardif, d’une minute de retard, une virgule pas à la bonne place, et pourquoi pas de sportif ou d’artiste tenu a distance.
On peut facilement perdre son pain, ses amitiés, son droit de simple citoyen si on refuse d’être une marionnette, ou le jouet sombre au carnaval des autres.
Alors moi qui pouvais prendre part au gala de Combat ouvrier tout en étant au GRS.
Alors moi qui ai appartenu a une municipalité ou il y avait des employés de toutes les tendances politiques de la Martinique.’
Alors moi qui ai pris part a tous les spectacles de solidarité pour aider les travailleurs dans leurs luttes difficiles pour de maigres augmentations, je me retrouve aujourd’hui dépassé planté à l’arrêt du bus sans boussole, sans papier, sans identité.
Heureusement qu’il reste encore le téléphone portable qui permet d’appeler les secours. Je lance donc des appels a tous ceux qui se sont battus pour la dignité de l’homme ; aux victimes de l’OJAM, de Décembre 59, du Lamentin, de l’ordonnance du 15 octobre 1960, de Chalvet aux organes de presse, Révolution socialiste, Justice, Le Progressiste, Combat Ouvrier, Le Naïf, Antilla, Apal, La Parole au Peuple, et tous les autres qui ont contribué à l’information et la formation du peuple. Je leur demande avec insistance de ne pas garder
le silence face a l’ambiance politique actuelle a la Martinique. Refusons d’être spectateurs de ce carnaval politique (si tu n’es pas avec moi tu es contre moi).
Ces mauvais comportements, ces agissements d’enfants rancuniers ne peuvent que renforcer l’idée, a mon sens, fausse, que nous ne savons pas gérer
Faut-il subir la décérébration?
Apres tant et tant d’années d’une gestion du budget de la collectivité par le préfet, nous avons enfin une parcelle de pouvoir et déjà se pointe a l’horizon; avec une touche moderne le petit frère de l’ordonnance qui sanctionnait les opposants.
Je rappelle cette Ordonnance du 15 -10-1960, autorisant le préfet a procéder à l’exil forcé, tout fonctionnaire de l’outre mer susceptible de porter atteinte a l’ordre public: « les fonctionnaires
de l’Etat dont le comportement est de nature à troubler l’ordre public peuvent être sur proposition du préfet et sans autre formalité, rappelés … cette décision est indépendante des procédures disciplinaires dont ces F. peuvent faire l’objet».,
Aux protestataires, M. Michel Debré, le père de l’ordonnance scélérate répondaient le 30
Novembre 1966 « s’ils ne sont pas contents ils n’ont qu’a démissionner pour marquer leur désaccord … Mais je ne sais pas quel est l’honneur des gens qui veulent a la fois être payés et cracher sur la main qui les paie ». A quoi Césaire répliquait « Les graves sanctions infligées brutalement et sans la moindre explication aux fonctionnaires des DOM sont parfaitement illégales et grossièrement entachées d’arbitraire. Il ne s’agit de rien de moins que de décérébrer les peuples des DOM pour les empêcher de prendre conscience d’eux-mêmes »
Le 10 Octobre 1972 lors du débat relatif à l’abrogation il revenait a la charge « N’oubliez pas que le texte que vous allez abroger a00ujourd’hui a miné des familles, il a brisé des carrières, il
A rompu des ménages ». Je suis habité par le sentiment profond, qu’il y a aujourd’hui des gens de partis politiques divers, qui sont prêts à considérer l’opposition comme une maladie incurable et contagieuse. Des gens qui ne peuvent faire confiance qu’a ceux qui leur mangent dans la main, qui ne peuvent offrir de l’emploi (en dehors de toute compétence) qu’a ceux qui font de la lèche, et de façon plus concrète sont prêts a expulser de la fonction publique territoriale, ceux’ qui ne partagent pas leur opinion politique. Faut-il aujourd’hui après la « craniomètre » subir la décérébration, la perte de son arme, et la vente de sa conscience ?
Rassurons-nous : si les torts n’étaient que d’un côté les guerres ne seraient pas longues. Il faut que tombe le mur du silence, le mur de la haine, le mur du mépris, le mur de la boue
Et que l’intérêt collectif étouffe les intérêts individuels si cruels pour l’avenir de notre charmant petit pays. »
Jean-Claude Duverger, France-Antilles, 2008