La revue littéraire Anamnésis sera en librairie à partir de demain à Paris et la semaine prochaine aux Antilles-Guyane. Ce premier numéro a pour thème « L’An II du cinquantenaire de l’indépendance algérienne, regards de l’Outre-mer français »
L’éditorial :
L’Algérie devient indépendante à l’issue d’une guerre de 8 ans contre la présence coloniale française, une présence qui dura 132 ans et qui prit fin officiellement le 5 juillet 1962. L’indépendance a été acquise politiquement à la faveur du référendum d’autodétermination prévu par les accords d’Évian, et par le biais duquel les Algériens se prononcèrent massivement pour l’indépendance de l’Algérie.
L’Union française avait remplacé l’Empire en 1946. Selon la constitution de la IVe République, celle-ci rassemble les départements d’Algérie, les nouveaux départements d’Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) et les territoires d’Outre-mer, c’est-à-dire toutes les autres colonies, excepté deux territoires associés (Togo et Cameroun). Les protectorats prennent le nom d’États associés, et sont créés le franc Colonies françaises d’Afrique (franc CFA) et le franc Colonies françaises du Pacifique (franc CFP).
Les prémices de la Guerre d’Algérie commencent depuis 1954, avec des mécontentements et des manifestations, puis une guérilla qui agitera le pays, et comme réponse, la France offrira des opérations militaires de plus en plus offensives. La guerre se propage autant dans les campagnes que dans les grandes villes. Le gouvernement Mollet et le Parlement donnent de plus en plus de liberté à l’Armée française pour qu’elle réduise à néant ce que l’on appelait alors la « rébellion ». Durant la Bataille d’Alger, entre autres, elle aura recours à la torture et aux assassinats de prisonniers. Cette guerre qui ne dit pas son nom, à l’époque, fait chuter la IVe République. Sous la pression, notamment, des armées d’Algérie, Charles de Gaulle revient au pouvoir en 1958. Il fonde la Ve République et, bientôt, va contrarier les partisans de l’Algérie française qui l’avaient soutenu ; les chefs militaires d’Alger tentent un putsch, mais échouent. Finalement, les accords signés à Évian en 1962 entre la France et le FLN (Front de Libération Nationale algérien) mettent fin au conflit.
Dès le début de la guerre d’Algérie, le Martiniquais Frantz Fanon, psychiatre et essayiste français, s’est engagé auprès du FLN puis a pris la nationalité algérienne sous le nom de Frantz Omar Fanon. Atteint d’une leucémie, il se fait soigner à Moscou, puis, en octobre 1961, près de Washington, à Bethesda (Maryland, États-Unis) où il meurt le 6 décembre 1961 à l’âge de 36 ans, quelques mois avant l’indépendance algérienne. Sa dépouille est inhumée au cimetière des Chouhada (cimetière des martyrs de la guerre) dans la commune d’Aïn Kerma. L’hôpital de Blida-Joinville où il a travaillé porte désormais son nom. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage L’An V de la révolution algérienne publié en 1959.
L’indépendance votée par la population algérienne provoque le départ de centaines de milliers de Français. Ils s’installent, parfois très difficilement, en métropole. Quant aux supplétifs algériens, les harkis, ils sont très nombreux à être éliminés au lendemain de l’indépendance ; une partie d’entre eux réussit à rejoindre la France, malgré l’ordre officiel de ne pas les y transférer. La plupart sont cantonnés dans des villages clos, séparés des autres Français.
En 1946, par le vote de la loi d’assimilation érigeant en départements la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion, la France était passée de 90 à 94 départements (compte non tenu des départements d’Algérie). La situation coloniale n’avait pas changé, même si les préfets avaient remplacé les gouverneurs. L’assimilation votée en 1946 restait un rêve, au point que d’éminentes personnalités antillaises – telles le Martiniquais Aimé Césaire et les Guadeloupéens Rosan Girard et Albert Béville alias Paul Niger – la remettaient en question et préconisaient une autonomie pour les anciennes colonies, – Béville, avant sa mort dans le crash d’un avion en juin 1962, allant jusqu’à définir l’assimilation comme le stade suprême de la colonisation[1].
Les Algériens avaient déjà pris les armes dès 1956 et les accords d’Évian avaient scellé leur victoire sur la France, ce qui avait eu le don de stimuler les mouvements de libération dans tout l’empire français, de l’Afrique aux Antilles-Guyane. Un anticolonialisme de gauche s’est affirmé dans ces régions de l’Outre-mer français, fondé sur des principes moraux et politiques. L’exploitation des peuples et de leurs richesses, les crimes commis par les soldats et les colons sont les principaux griefs faits à la colonisation. Une partie de ces anticolonialistes antillais et réunionnais s’engagent aux côtés des nationalistes, algériens notamment.
La lutte contre l’idéologie coloniale de façon apaisée – l’assimilation – des populations indigènes au sein de la France est restée une intention, malgré la bonne volonté de certains, comme l’exemple de l’indépendantiste modéré algérien Ferhat Abbas ; il sera élu à l’indépendance du pays, président de l’Assemblée nationale constituante, devenant ainsi le premier chef d’État de la République démocratique et populaire. Malgré toutes ces volontés, la représentation démocratique des « indigènes » reste quasiment nulle.
L’indépendance confisquée[2] et Demain se lèvera le jour[3] sont les titres de deux de ses ouvrages sur l’Algérie que je retiens, et que j’utiliserai en conclusion de cet éditorial du premier numéro de la revue Anamnésis intitulé L’An II du cinquantenaire de l’indépendance algérienne, regards de l’Outre-mer français, pour souhaiter que, le 17 avril 2014, les prochaines élections présidentielles algériennes ne soient pas la preuve du refus du régime algérien de se démocratiser encore plus, malgré l’environnement des soulèvements arabes du moment, afin que l’on ne puisse point parler d’une liberté inachevée, et que demain se lèvera un jour nouveau, loin de toute intervention occidentale intempestive.
Jean-Benoît Desnel, fondateur de la revue Anamnésis.