Bondamanjak

Appelez le Loulou,

La nuit était fraîche, mais tout dépend de l'endroit où l'on passe le Carnaval. Dans les soirées où les décibels sarabandent avec les carnavaliers, hommes déguisés en femmes et femmes déguisées en putes, la chaleur de cette jungle fait comme un tapis lourd et virevoltant, zébré de spots aveuglants qui découpent les danseurs en marionnettes stridentes.
 
Dans les couloirs du Centre Régional Hospitalier Zobda Quitman, cette nuit de dimanche est silencieuse et fraîche. Les infirmières ont jeté sur leurs épaules un cardigan, juste pour calmer le froid qu'elles ont l'impression d'éprouver lorsqu'elles se déplacent…
 
Quelque part dans une chambre anonyme, une grande âme vient de cesser de vivre, de vivre et de souffrir, de vivre et de lutter comme elle savait le faire si bellement du temps de sa splendeur, de sa force et de ses sacrifices.
 
Et cette force, que de gens s'en sont nourris, l'ont recueillie au creux de leurs mains pour la passer, la transmettre à d'autres. Pour la fouler aux pieds aussi, pour la contrer. Ça, c'était ses ennemis naturels, ceux de l'autre bord (on disait à l'époque les forces du grand Capital).
 
Parce qu'il s'agissait d'une force de militant filé kouto dé lanm, de syndicaliste spécialiste du Droit du travail, de politique patriote au sens noble, vrai, désintéressé, retenez ce dernier mot, désintéressé, au sens d'au service des autres.
 
C'est tout celà qui explique mon inconditionnel soutien quand on a voulu lui faire la dernière vacherie de la malhonnêteté.
 
Marc Pulvar, une de nos plus belles grandes gueules, comme… Manville et Guy Carbort-Masson. De celles que l'on maîtrise difficilement, que dis-je, que l'on ne maîtrise pas, parce que volcanique, râleuse, fonceuse, ne nous ayant pas habitué à reculer, à transiger…
 
Il me revient, je n'ai pas la mémoire des dates, la foule immense venue l'attendre à sa sortie de ce cul-de-basse-fosse où on avait fini par le jeter pour une sombre histoire d'autodéfense mal appréciée par la justice, à moins que ce ne soit une autre affaire (il a été dans tellement de collimateurs !). Une foule aimante, venue de tous les coins de cette Martinique qu'il aimait tant, lui rendre cet amour qu'il avait tant donné et qui ce jour là lui avait mis dans les yeux la douce tendresse d'un enfant heureux.
 
Malade vers la fin de sa vie, il aurait tant eu besoin de cet amour fleuve, amour torrent pour le porter et peut être ainsi lui faciliter les choses mais quoi de plus banal que l'ingratitude des humains et puis quelle idée de mourir en pleine célébration du Carnaval, soirées à 45, à 50 euro pour lesquelles on recherche le dernier ticket à la dernière minute…
 
Il s'appelait Marc Pulvar, membre de l'OJAM, fondateur du MIM, de la CSTM, co-fondateur de l'IME ; il aurait eu 72 ans le 25 avril prochain.

 
Marius Gottin.