Trop tard, d’abord, parce que si l’outre-mer avait été une priorité pour ce gouvernement, jamais il n’aurait attendu 2 ans pour inclure un texte sur ces territoires dans le flot des projets de loi qui nous ont été soumis depuis 2007 ! Jamais !
Trop tard, ensuite, parce qu’à force d’avoir dressé contre lui tour à tour les socioprofessionnels, les élus locaux de tout bord et les syndicats et après avoir subi tant et plus de modifications, il ne suscite plus l’enthousiasme de personne et il n’est plus soutenu que du bout des lèvres par votre majorité. Et, croyez bien qu’il nous est apparu extrêmement difficile de l’améliorer en faisant notre travail de parlementaire malgré notre volonté d’être tout à la fois constructifs, conciliants et de bonne volonté.
Trop tard, enfin, parce qu’à force d’avoir tergiversé et ainsi laissé accroire que le gouvernement et, plus largement, l’Etat, se désintéressaient des outremers, un gigantesque mouvement social s’est levé à la fin de l’année dernière et est venu, dans presque tous les territoires de l’Outre-mer français, bouleverser bien des certitudes, bien des arrogances et bien des raisonnements erronés. Je dis cela à la représentation nationale et aux membres du gouvernement ici présents d’autant plus humblement que les élus locaux, dont je suis, ont pris leur part des interpellations – parfois vigoureuses – du mouvement social. Mais, je dis aussi cela avec la tranquille assurance de celui qui, inlassablement, à longueur d’interventions dans cet hémicycle, à chacune de mes interventions médiatiques, souvent avec d’autres collègues élus de l’Outre-mer, n’a cessé de mettre en garde ce gouvernement sur l’absence d’écoute et de compréhension que nous ressentons dans les ministères, à l’Elysée et ici même, à l’Assemblée nationale.
J’ai donc envie de dire, pour commencer mon propos, que si ce texte est à ce point en retard, s’il apparaît à ce point en décalage avec les réalités douloureuses que le mouvement social de janvier et février a contribué à mettre en lumière, et s’il est vrai – comme le prétendent aujourd’hui les ministres – que ce gouvernement veut tirer les enseignements de cette crise et ne faisant plus demain comme il faisait hier, il aurait fallu revoir totalement ce projet de loi et l’inscrire dans un tout autre calendrier. Il aurait fallu parler ici de la société de « pwofitasyion », des discriminations, des monopoles, des oligopoles, de la diversité, de la mixophobie… et j’en passe…
Ce texte en remplace deux autres – la LOOM et la LOPOM – qui, pourtant, nous avaient été présentés comme devant s’inscrire dans la durée. Or, nous voici en train de tricoter une nouvelle loi dans l’urgence, sous la pression encore perceptible des conséquences d’une grande crise qui est aujourd’hui fraîche dans nos mémoires. Nous voici sur le point de débattre, alors même que des états généraux sont programmés dans la plupart de nos territoires pour – dit-on – aller le plus loin possible dans nos réflexions sur notre avenir. En ce sens, j’en arrive donc à penser que ce texte arrive, finalement, trop tôt.
Pourtant, si je défends à cet instant devant vous une exception d’irrecevabilité, ce n’est pas pour repousser ou retarder l’examen du texte. Mais, bien pour insister sur les mauvaises conditions dans lesquelles il nous est soumis.
Car tout de même !
La version du projet de loi sur laquelle les députés pouvaient proposer leurs amendements a été disponible sur le site de l’Assemblée le vendredi 3 avril à 18h, soit seulement 24h avant la date normale de forclusion, c’est-à-dire la date limite de recevabilité de nos amendements ! Ainsi, pour exercer leur droit fondamental prévu par l’article 44 de la Constitution, le droit d’amendement, les députés ont eu à peine 24h ! Certes, la date de forclusion a finalement été repoussée, le vendredi même, au début de notre discussion générale, mais admettez qu’un délai si court, 48 heures ouvrées, si l’on veut bien concéder aux parlementaires et à leurs assistants le repos dominical, n’est pas admissible !
Il y a manifestement là un point justifiant parfaitement cette exception d’irrecevabilité du groupe SRC : si jamais le Conseil constitutionnel venait à être saisi de ce projet et de ce point en particulier, il est certain qu’une telle restriction en pratique du délai d’amendements ne manquerait pas de justifier une censure totale de la loi.
Certes, il y a déjà un certain temps que nous connaissons le texte, les modifications apportées par le Sénat et que nous avions préparé nos propositions. Cependant, le travail de réécriture des amendements – plus de 450 – est long et fastidieux à quelques heures de l’ouverture de la discussion générale et empêche donc le travail de fond. Ainsi, par exemple, l’article 20 de ce projet, sur le sujet essentiel du logement, profondément modifié en commission des finances et qui pourrait justifier un certain nombre d’améliorations substantielles, n’a pu, à mon sens, être travaillé dans de bonnes conditions.
Autre motif d’irrecevabilité : le principe de sécurité juridique, certes jamais formellement reconnu comme principe à valeur constitutionnelle, contrairement à nos voisins allemand et britannique, alors qu’il est pourtant si essentiel outre-mer. Car, ce dont a besoin l’outre-mer pour son développement économique, c’est de sécurité et de stabilité juridiques. Un des principaux points positifs de la loi Girardin, que j’ai pourtant combattue en raison de ses nombreuses insuffisances, était de proposer des outils, notamment aux investisseurs, pour 15 ans. Son principal atout résidait donc dans cette vision à long terme offerte au monde économique. Malheureusement, elle aura été amputée des 2/3 de sa durée alors même que le Président de la République, dans son discours lors de la convention de l’UMP pour l’outre-mer le 12 juillet 2006, déclarait, je le cite, «Des engagements ont été pris par l’Etat sur 15 ans, ils doivent être respectés. N’oublions jamais que la richesse est créée par le secteur productif et que les investisseurs détestent l’inconstance des politiques publiques ».
Enfin, je tiens à vous rappeler que les principes élémentaires de la démocratie représentative ont été, hélas, mis à mal.
Je ne veux pas polémiquer sur la gestion gouvernementale de cette crise, ni sur les causes de la cherté de la vie et de la baisse du pouvoir d’achat, pas plus que sur les dérapages et méthode contestables exercées lors de ce conflit. Tout cela est derrière nous.
Mais, il reste là, surtout dans cette enceinte, quelque chose qu’il me faut marteler encore : il faut que ce gouvernement et ceux qui le suivront apprennent à écouter davantage les représentants élus des peuples ultramarins.
Combien de fois, à nos demandes, venant aussi bien de droite, que de gauche, sur la baisse du pouvoir d’achat, sur le monopole de la distribution d’essence ou de la grande distribution, sur l’application immédiate du RSA, sur l’alignement des aides au logement, sur le drame du logement social dans nos régions, combien de fois avons-nous eu cette impression d’indifférence, ce sentiment de désintérêt. Combien de fois à-t-on presque pu vous entendre nous dire « cause toujours ! ».
Mais, face à la rue, vous avez été contraints d’écouter, puis de céder après 45 jours de conflit sur ces sujets.
Au fond, l’attitude de ce Gouvernement vis à vis des outremers, mais aussi de ceux qui l’ont précédé, révèle une crise, et je n’ose pas dire une remise en cause, de la démocratie représentative reconnue dans notre Constitution.
Si je voulais résumer cruellement les choses, je vous dirais que les « plus » ajoutés en catastrophe dans ce texte vous ont été imposés par la rue, alors que nous tous, élus de gauche comme de droite, nous vous les demandions, pour la plupart, depuis des mois !
N’est-il pas plus simple, plus sain et plus respectueux de la démocratie d’écouter les représentants du peuple, plutôt que devoir céder face à la la rue ? Il est vrai que vous étiez corseté par Bercy…
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Sur le fond du texte, vous savez combien nous n’en partageons pas la philosophie générale.
Derrière votre volonté de favoriser un développement endogène de nos territoires, nous avons vu la réalité des économies budgétaires que vous cherchez à nous imposer et qui poursuivent une politique de désengagement de l’Etat qui a coûté plus d’un demi milliard d’euros de crédits au budget de l’Outre-mer depuis 2002.
Derrière cette LODEOM, nous avons vu la détermination du ministère des Finances à casser les mécanismes incitatifs à l’investissement qui, pourtant, ont fait leur preuve.
Derrière les zones franches globales d’activité, nous avons vu des zones ni tout à fait franches, ni tout à fait globales, dont l’efficacité à terme nous paraît discutable, tant elles manquent d’ambition, alors qu’il s’agit là d’outils que nous proposions nous-mêmes.
Dès avant même cette LODEOM, vous nous avez fait avaler des couleuvres aux allures d’anaconda en touchant à la TVA NPR et en plafonnant la défiscalisation lors du vote de la loi de finances initiale en novembre dernier. Or, avec un Etat absent, des crédits européens fléchés vers des périmètres d’investissements trop restrictifs et un système bancaire frileux et en crise, vous nous privez ainsi de fonds essentiels qui nous seront encore plus indispensables pour financer une vraie relance de nos économies mises à mal par sept ans de libéralisme, par cinq ans de retrait de l’Etat, deux mois de paralysie et la crise mondiale qui arrive.
De même, la révision au même moment du barème des exonérations de charges était aussi un bien mauvais coup. Vous l’avez admis, Monsieur le secrétaire d’Etat, à demi-mot, en revenant en partie sur ces décisions pour répondre aux urgences sociales.
Je n’oublie pas l’abaissement des seuils d’agrément de la défiscalisation qui introduit une méfiance supplémentaire, là où il n’y en avait pas.
Je n’oublie pas la recentralisation difficilement compréhensible des fonds de continuité territoriale au moment où ce gouvernement se dit prêt à donner davantage de pouvoirs aux collectivités locales ultramarines.
Je n’oublie pas non plus le recentrage de la défiscalisation sur le seul logement social que vous proposez et qui consiste, ni plus ni moins, à lâcher la proie pour une ombre bien fantomatique. Vous comprendrez donc au fil de nos travaux, mes chers collègues, les raisons qui nous ont amenés, par amendements, à vouloir sanctuariser les financements de la LBU.
Pour autant, j’aurais mauvaise grâce à dire que ce projet de LODEOM ne présente aucune mesure encourageante et de nature à répondre à certaines attentes de nos territoires.
L’extension géographique, à notre demande, du périmètre des zones franches à 14 communes de la Guadeloupe citées nommément – de la Basse-Terre et des Iles du sud en totalité – que nous avons décidée à l’unanimité en commission des finances est une vraie mesure de rééquilibrage territorial que ces zones attendent depuis longtemps.
La création du fonds exceptionnel d’investissements, également à notre demande, est à saluer, car il correspond à de vrais besoins en infrastructures que les collectivités locales ne peuvent assumer seules.
L’aide au fret pour les Iles du sud est enfin dotée significativement, mais je tiens à ce que des efforts supplémentaires soient faits pour Marie-Galante, les Saintes et la Désirade qu’on ne défendra jamais assez…
Il convient aussi de saluer les mesures prises pour répondre aux urgences sociales comme le bonus déchargé, mais aussi l’atténuation de la réforme des exonérations de charges par relèvement du seuil d’application de la dégressivité de 2,2 à 2,5 SMIC pour les secteurs prioritaires. Je me permets juste de regretter que même à ce niveau, nous soyons en deçà des engagements pris par le Premier ministre devant les opinions publiques de Guadeloupe et de Martinique.
Pour répondre à la crise, nous vous proposerons d’aller plus loin. Notamment en sécurisant juridiquement les interventions financières des collectivités locales dans le cadre des augmentations salariales prévues dans les accords de sortie de crise. Nous vous proposerons également par amendements de nouvelles mesures de lutte contre la vie chère :
en procédant à des baisses de TVA ;
en décidant de conditionner les aides aux entreprises à l’existence d’accords salariaux dans celles-ci ;
en officialisant les bureaux d’études ouvrières ;
en octroyant de nouveaux moyens pour les DDCCRF
en adoptant de nouvelles sanctions, plus dissuasives, contres les entreprises qui ne souscrivent pas aux obligations de transparence sur leurs comptes et leur structure de capital ;
en contrôlant davantage les compagnies aériennes qui bénéficient des fonds de continuité territoriale
en étudiant ave l’ARCEP, le régulateur des télécoms, les moyens d’obtenir des baisses significatives des tarifs de l’Internet à haut débit et de la téléphonie mobile.
Nous vous proposerons d’aller encore plus loin en mettant également en œuvre très rapidement des mesures conjoncturelles pour nous permettre d’accompagner nos entreprises qui, aujourd’hui, doivent se relever d’une longue période de paralysie et d’inactivité consécutive au mouvement social de janvier et février.
Cela passe :
par un plan d’apurement des dettes sociales et fiscales, j’ai déposé un amendement en ce sens qui a été adopté en commission des affaires économiques ;
par une suppression temporaire de la TVA dans le secteur hôtelier ;
par des aides conséquentes de l’Etat aux agriculteurs afin de compléter utilement celles que mettent en oeuvre les collectivités locales comme la Région Guadeloupe.
Enfin, puisque – dit-on – le champ des « possibles » s’est considérablement élargi, et comme j’ai envie, Monsieur le secrétaire d’Etat, de vous dire « chiche ! », il y a d’autres pistes que je vous propose d’explorer. Des pistes qui, je le crois, peuvent fonder une approche plus moderne des outremers de la part de l’Etat.
Vous aurez ainsi à examiner une demande qui émane de la région Guadeloupe que j’ai l’honneur… et mieux encore… le bonheur de présider. Notre collectivité a décidé de demander au Parlement de faire usage des dispositions nouvelles de l’article 73 de la Constitution en l’habilitant à intervenir dans les domaines de la loi et du règlement en matière de promotion des énergies renouvelables, d’économies d’énergies et normes thermiques de construction d’une part, et en lui donnant d’autre part la possibilité de créer une nouvelle catégorie d’établissements publics pour gérer la formation professionnelle.
Aucune de ces deux demandes ne me parait de nature à remettre en cause de grands principes républicains. Personne ne peut contester sérieusement que l’insularité, la géographie et le climat justifient que des normes particulières s’appliquent aux DOM en matière d’énergie. Personne ne peut prétendre sérieusement non plus que, dans une région où le taux de chômage est de 22%, la création d’une institution adaptée pour la gestion de la formation professionnelle menace l’unité de la République. Yves Jégo, et je crois pouvoir ajouter le gouvernement dans son entier, l’ont d’ailleurs fort bien compris et ils nous appuient dans notre requête. Mais je sais que dans les hautes spères administratives de certains ministères, cela a pu effrayer de voir confiée à une région, exotique de surcroît, le pouvoir de faire des lois, fût-ce sur son seul territoire, fût-ce dans des domaines limités, fût-ce après habilitation…
Vous aurez également, mes chers collègues, à examiner des amendements qui proposent de mieux valoriser la biomasse, ainsi que la pharmacopée antillaise. Et vous aurez à vous prononcer sur deux dispositifs qui nous apparaissent essentiels :
la taxe sur la « pwofitasyon » pétrolière
la taxe sur les jeux de hasard
Ces deux outils peuvent permettre à nos collectivités de faire face aux défis considérables qui sont devant nous. Et quand je dis devant nous, c’est un « nous » très large et on ne peut plus collectif.
Car il ne faut pas se tromper d’enjeux, mes chers collègues, même survenant trop tôt ou trop tard, ce texte nous place face à notre responsabilité collective envers des peuples qui nous ont adressé un message clair sur leur volonté d’être mieux entendus, mieux compris et mieux considérés.
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Mais, une fois que ce texte, amélioré significativement par nos soins ou non, aura été débattu et voté, en aura-t-on fini, pour autant, avec la « question ultramarine » ?
A l’évidence, non !
Aura-t-on, pour autant, pris à bras le corps le malaise identitaire et les questions politiques qu’a soulevés le mouvement social, en particulier aux Antilles et singulièrement en Guadeloupe ?
A l’évidence non…
De la même façon que les 200 euros ou le RSTA n’ont, en rien, constitué une réponse politique à la crise, cette loi ne le fait pas davantage, car elle ne s’attaque en rien aux pwofitasyons, aux rapports sociaux hérités d’une époque révolue, aux injustices, aux inégalités, aux discriminations, à la vie chère, à la désespérance, à la précarité, à cette misère qui prospère au soleil…
Et, si nous ne saisissions pas l’occasion de cet examen du projet de LODEOM pour porter devant la représentation nationale et devant l’opinion publique un débat nécessaire sur la relation des DOM à la République, nous manquerions, je crois, le débat essentiel que nous devons ouvrir, quelques semaines après le mouvement social sans précédent que nous avons connu.
Cette crise, à bien des égards fondatrice, les autorités publiques – il faut bien le reconnaître – ne l’ont pas anticipée ou, en tout cas, n’ont pas imaginé qu’elle puisse être d’une telle ampleur.
Concentrés que nous étions sur nos projets de développement, sur notre volonté d’aller de l’avant et de faire progresser notre jeunesse sur le chemin de l’excellence, nous n’avons peut-être pas mesuré combien nos sociétés ultramarines sont encore traversées de contradictions douloureuses.
Nous avons peut-être négligé les plaies encore mal cicatrisées, nous avons sous-estimé l’obstination de ceux qui refusent qu’elles se referment et, plus prosaïquement, nous n’avons pas réalisé que la crise mondiale et le dogme libéral venaient de nous faire franchir la limite de ce que les plus fragiles d’entre nous pouvaient encore supporter !
1,77 € pour l’essence en Guyane, 1,53 € en Guadeloupe : les carburants les plus chers du monde infligés à des populations dont les revenus moyens et médians sont nettement plus faibles que dans l’Hexagone… cette « pwofitasyon »-là ne pouvait pas durer.
Comme la difficulté de vivre décemment avec un salaire moyen faible ou avec le salaire d’un « contrat aidé » dans des départements où la vie est beaucoup plus chère que dans l’Hexagone…
Comme les frustrations des jeunes qui ne voient pas d’issue au chômage et à la précarité et que provoque le train de vie des plus riches…
Comme les monopoles arrogants qui exploitent sans scrupule la population parfois avec l’inertie et la complicité passive de l’Etat…
Comme la répartition inégale de la richesse, des terres, de l’influence, du pouvoir…
Comme la prégnance obsédante des réseaux communautaristes et souvent, héla,s d’origine métropolitaine…
Comme la perpétuation d’une ethnoclasse dominante…
Comme l’existence d’un patronat qui refuse de moderniser sa pensée et ses pratiques, auquel répond en écho un syndicalisme ouvrier pugnace qui croit au grand soir et à la grève insurrectionnelle… Eh oui ! Un certain patronat finit par obtenir le syndicalisme qu’il mérite…
La poudrière sociale était armée. Elle n’attendait qu’une allumette et ce fut le carburant…
La crise a eu en quelque sorte une vertu : elle a tout mis sur la table. Mais, au jeu de l’analyse de ce qui a été, en définitive le plus touché et le plus malmené dans cette crise, figure – je le crois – le lien entre nos territoires et la République.
Toute société connaît des convulsions. Dans les démocraties, dans les Etats de droit, les manifestations populaires sont une forme de contrepouvoir admise, une forme de régulation… Elles permettent d’exprimer des revendications ou de faire passer les messages que les urnes seules ne peuvent transmettre.
Les premières manifestations du LKP en Guadeloupe ont emporté une large adhésion populaire, car elles répondaient au besoin des Guadeloupéens d’exprimer un ras-le-bol face à la dégradation de leurs conditions de vie, face à un vrai malaise existentiel et face à la politique trop ouvertement libérale du gouvernement.
Ainsi est né ce formidable mouvement, sans précédent dans l’histoire récente, contre la pwofitasyon – un si beau mot, si créole… Un mouvement qui, dans ses premiers jours, s’est montré pacifique et non-violent et qui, globalement, a gardé toute sa dignité tout au long des 44 jours qu’a duré la mobilisation.
Pourtant, des dérapages, il y en a eu. Je les ai condamnés. Des dérives racialistes, il y en a eu. Je les ai aussi condamnées avec force, tout comme j’ai condamné une tendance qui, parfois, s’est exprimée, et qui entretient une conscience victimaire et doloriste chez les Guadeloupéens les plus fragiles, en cherchant à les convaincre que leur condition de nègre les condamne à être exploités à vie, qu’ils n’ont rien à espérer, donc rien à perdre, et que leur seul salut est dans la contestation et la protestation radicale et nihiliste.
Tout au long de ces semaines, l’Etat est apparu désemparé, indécis, incertain, hésitant, craintif… Pas dans la gestion de l’ordre public, qui a été responsable car, dans un contexte très tendu, où les provocations n’ont pas manqué, l’Etat a su trouver l’équilibre entre son devoir de permettre aux Guadeloupéens d’aller et venir librement et la nécessité de permettre à ceux qui voulaient manifester de le faire.
Mais, il n’en a pas été de même de la gestion politique de la crise.
Après avoir accepté des négociations dans un format impossible qui a vite montré son inefficacité, l’Etat a fait des promesses. Le secrétaire d’Etat, avec le souci de bien faire, s’est résolument emparé des dossiers. Et pour les traiter, il a peut-être fait preuve d’audace en promettant trop vite en oubliant Matignon et ses nécessaires arbitrages ! Le résultat a été des semaines supplémentaires de blocages et d’incompréhensions.
L’Etat a donc montré de graves lacunes dans la gestion interministérielle de la crise, ce qui s’est révélé plus grave dans un contexte ultramarin où les sujets sont le plus souvent transversaux et où la coordination s’impose davantage.
Il ressort de tout cela qu’aujourd’hui, l’Etat en est sorti affaibli et son image écornée.
—
Cette crise a révélé des aspirations profondes et il faut avoir le courage de se dire que nous n’avons pas, collectivement, pris la responsabilité de repenser le lien qui unit nos territoires ultramarins avec la France hexagonale. Et ce débat non ouvert jusqu’à cette grande crise, laisse prospérer des idées fausses sur ce qu’est, aujourd’hui, ce lien.
Il y a plus de 60 ans, nos aînés ont choisi la départementalisation. Et, j’ose le dire, ce fut finalement une forme originale, peut-être unique au monde, de décolonisation politique, mais pas forcément de décolonisation économique.
Aujourd’hui, à l’évidence, après plus de 60 ans de départementalisation, si des stigmates de colonialisme perdurent assurément dans nos régions, la France n’est plus en Guadeloupe dans une logique coloniale. Les sondages le montrent, les métropolitains, majoritairement, ne seraient pas défavorables à l’indépendance de la Guadeloupe. Il paraît clair que si la majorité des Guadeloupéens exprimait le vœu de sortir de la République, ni l’Etat, ni aucun parti politique national ne s’y opposerait.
Alors, peut-être est-il temps que nous Antillais, nous prenions conscience de cela, que nous prenions conscience qu’il nous suffit d’appuyer sur le bouton en situation de décentralisation maximale pour être autonomes ou indépendants demain… J’ai même l’impression que les hautes autorités de l’Etat ne seraient pas opposées, au moins pour nous mettre au pied du mur, à utiliser le moment venu l’article 53 de la Constitution.
Que nous prenions conscience aussi que si nous nous sentons à l’aise dans la République, personne ne prendra l’initiative de nous en chasser !
Peut-être est-il temps donc pour nous de cesser de penser et d’affirmer que la France impose sa présence, ses lois, son ordre… (et en passant sa démocratie) dans les DOM, puisque nous pouvons mettre fin à tout cela dans l’instant ou dans la durée !
Peut-être est-il temps d’en finir avec l’idée que la France aurait absolument besoin des Antilles pour sa grandeur, pour sa défense ou pour d’obscures raisons économiques. Tout cela est évidemment faux et la France n’est là que parce que nous sommes Français et qu’il n’y a pas de raison qu’elle parte tant que nous ne serons pas une majorité à en exprimer le souhait.
C’est pourquoi, je le dis ici solennellement, avec force et avec gravité : oui, il doit y avoir une réflexion approfondie sur ce qui fonde le lien entre la Guadeloupe et la France, entre la Guadeloupe et la République. Il doit y avoir une réflexion approfondie sur ce qui fonde le vivre ensemble et, plus encore, sur le « vouloir » vivre ensemble. Et cette réflexion, pour qu’elle soit de nature à clarifier ce lien qui aujourd’hui fait débat, doit s’engager en ne faisant l’impasse sur aucune – et je dis bien aucune ! – des possibilités qui sont devant nous.
La Guadeloupe est un peuple. J’ai combattu ici même en 2003 et je combats encore l’idée selon laquelle nous ne serions qu’une population, une simple composante d’un grand ensemble au sein duquel notre identité et notre histoire seraient enfermées, rabotées et rabougries. Nous sommes un peuple donc et je crois même que nous sommes une Nation. Une Nation sans Etat, mais une Nation. L’Outre-mer est donc formé de peuples qui ont librement consenti à être dans la République et qui peuvent, librement, s’en séparer, si les peuples le veulent et l’expriment clairement par les urnes. Car, aujourd’hui est différent de ce passé qui voulait que les séparations se fissent sur le mode du conflit, de la détestation, de la guerre de libération. Si séparation il devait y avoir, celle-ci se ferait à l’amiable, par une voie démocratique permettant au peuple de s’exprimer et de dire sa volonté.
Il est juste temps d’en prendre conscience et de sortir des vieux schémas et d’une rhétorique ancienne, tiers-mondiste, anticolonialiste et révolutionnaire, qui, loin de faire progresser la cause de l’émancipation, conduit à exacerber les peurs et à diviser les peuples.
La réflexion que nous devons engager suppose donc que nous soyons prêt à étudier et à examiner toutes les possibilités, toutes les options, toutes les solutions, toutes les voies, pour les soumettre au peuple. Et elles sont nombreuses, ces voies…
Du statu quo institutionnel à la séparation ou à la sécession pure et simple par le biais de l’article 53 de notre Constitution ; en passant par l’assemblée délibérante commune avec maintien des deux collectivités existantes dans l’article 73, ou par une collectivité unique résultant de la fusion de la région et du département, toujours dans le cadre de l’article 73 ; ou encore l’autonomie dans le cadre de l’article 74 ; sans oublier l’option du préambule à la Calédonienne qui prévoyait un référendum d’autodétermination à horizon de 20 ans… nous n’avons finalement que l’embarras du choix, si telle est la volonté du peuple.
Ainsi, pourrons-nous exercer notre liberté par le vote. Cette liberté qui est sans doute le legs le plus précieux de notre histoire commune avec la République et au sein la France.
Une liberté qui pourrait nous conduire, comme à Porto-Rico, – et c’est ma proposition ! – à nous fixer des rendez-vous réguliers, tous les 20, 25 ou 30 ans par exemple, pour vérifier notre attachement à la République et notre adhésion à notre statut… et nous permettre entre temps travailler enfin … et ne pas subordonner tout effort à une évolution institutionnelle supposément refusée par Paris !
Le vote de Mayotte dimanche a été l’occasion de voir des ultramarins qui ne boudaient pas leur plaisir d’entrer pleinement dans la République. Notre histoire n’a rien à voir avec celle de Mayotte, mais nous pourrions quand même méditer sur la capacité des Mahorais à se réjouir de leur nouveau statut qui, les images le montrent, ne semble pas les empêcher de conserver leurs traditions.
Ainsi, nous pourrons repartir ensemble sur la base d’un pacte plus solide et librement conclu.
Et c’est bien là la vraie novation de la démarche que j’esquisse ici : fonder notre lien avec la France sur une contractualisation, sur un pacte, entre citoyens d’une même République. Une façon de dépasser le jus sanguinis, qui est étranger à la tradition républicaine, mais de dépasser aussi le jus solis, pour créer entre la France et ses outremers un jus voluntatis, qui ne donnerait que plus de force à ce lien qu’il nous revient de refonder aujourd’hui.
Ce pacte, nous ne pourrions nous en défaire qu’à la condition que les citoyens de Guadeloupe le décident, après avoir été consultés. Et ce pacte, la France ne pourrait s’en défaire, à l’issue d’un référendum national, que si dans le même temps les Guadeloupéens l’acceptaient. Ce double verrou, dont certains souligneront l’asymétrie, serait tout simplement le symbole de notre droit à l’autodétermination qui peut être aussi bien celui de rester Français que celui d’évoluer vers une forme d’autonomie, voire à terme, si c’est le choix d’une majorité, d’indépendance.
Je sais que la question qui sera sur toutes les lèvres, en particulier lors des états-généraux, que le chef de l’Etat a promis de venir ouvrir à la fin de ce mois en Guadeloupe, sera celle du calendrier de ce débat institutionnel qui est aujourd’hui relancé.
Pour ma part, celui que je propose n’a pas changé, surtout s’il s’agit d’examiner l’ensemble des possibilités qui s’offrent à nous :
– aux partis politiques de s’emparer de cette question d’ici aux élections régionales de 2010, qui peuvent être l’occasion d’un grand débat sur cette question entre les différentes approches.
– entre 2010 et 2011, les assemblées élues travaillent à un projet guadeloupéen en y associant la société civile et, plus largement, l’ensemble de la population ;
– entre 2012 et 2013, on peut envisager l’indispensable référendum, avant une nouvelle élection pour d’éventuelles nouvelles institutions à l’horizon 2014-2015.
Voici, à mes yeux, le délai minimum que l’on peut se fixer, tant il est essentiel de parvenir à convaincre la population de l’utilité et de la nécessité de changer. Précipiter les choses à l’approche d’échéances électorales majeures ne contribuerait pas, par ailleurs, à faire éclore un débat serein, sachant que la confiance et les consciences sont probablement ce qu’il y a de plus difficile à conquérir.
Certains estiment après la crise que l’opinion publique hexagonale est désormais acquise au largage. C’est vrai. 51% des métropolitains se disent favorables à l’indépendance de la Guadeloupe, mais seuls 14% des Guadeloupéens partagent ce point de vue.
Il est d’ailleurs intéressant de décrypter plus en détail ce sondage d’opinion. En effet, on constate que ce sont les Français de droite qui sont le plus majoritairement favorables à l’indépendance de la Guadeloupe et qu’en revanche les Français de gauche le sont beaucoup moins.
Cela tend à démontrer, d’une part que les gens de gauche n’ont pas de réticence à partager la Nation et la République au-delà des couleurs et d’autre part que les gens de droite se débarrasseraient plus volontiers de protestataires différents en les confinant dans un développement endogène ! Je me garderai de souscrire totalement à une analyse caricaturale, mais certaines prémisses sont indéniablement validés par l’expérience de celui qui vous parle.
Mais quelles que soient les éventuelles alliances contre nature que cette question génère, et même si je le redis, le lien est à refonder entre la France et les outremers, il reste qu’à mes yeux le peuple guadeloupéen ne me paraît ni prêt, ni souhaiter à couper ce lien. A le refonder, sans aucun doute, mais pas à le couper.
Il reviendra aux citoyens de s’exprimer et de décider très précisément de leur avenir. Il nous appartiendra à nous, responsables politiques, d’exposer les enjeux et de tracer les perspectives. A nous de faire en sorte que si le statu quo est jugé effectivement impossible, que le changement, lui, devienne probable avant d’être une réalité, quand le peuple aura décidé. »