Canicule en France, en Suède ou au Japon, avec des records de chaleur dans le monde entier et des incendies meurtriers. « Le réchauffement climatique est bien là », explique le climatologue Jean Jouzel, qui détaille son mécanisme et son évolution.
Un record absolu de chaleur a été battu en Suède, près du cercle polaire, à Kvikkjokk, le 17 juillet dernier avec 32.5°C ! Plus largement, la Scandinavie vit des températures inédites. La canicule a aussi investi le Japon, la Grèce ou la Russie, avec des dizaines de morts liées également à des incendies géants. Climatologue et glaciologue, ancien vice Président du groupe scientifique du GIEC, Jean Jouzel revient sur les causes de ce réchauffement climatique et ce que l’on peut en attendre.
Etes-vous surpris par l’ampleur de ces incendies ?
Non. C’est malheureusement ce qui est envisagé en cas de réchauffement climatique et le réchauffement climatique est bien là. Dans le cas de la Grèce, ce sont des périodes de sécheresse autour de la Méditerranée, avec on l’a vu, malheureusement, pas mal de morts. Et c’est une situation assez exceptionnelle dans le Grand Nord, en Scandinavie. Mais elle va normalement devenir de plus en plus fréquente.
On est vraiment dans le contexte du réchauffement climatique lié aux activités humaines, et ces événements – feux de forêts en Europe et décès liés aux canicules – vont se multiplier.
Dans le Nord de l’Europe, les températures sont inégalées. Comment cela peut-il s’expliquer ?
Oui, ce sont des records. Des températures qui vont au-delà de 30 degrés, voire 35 degrés, au Nord du cercle polaire sont inédites dans ces régions. C’est lié à un système de hautes pressions qui se maintient et qui risque de se maintenir jusqu’à la fin de ce mois. S’y ajoute une période de sécheresse extrêmement longue. Nous avons donc tous les ingrédients pour des feux de forêts. En plus, ces pays ne sont pas du tout préparés aux incendies.
Il faut voir aussi que le réchauffement climatique en Scandinavie est en moyenne deux fois plus rapide qu’il ne l’est à l’échelle de la planète. Il y a donc une amplification des températures dans les hautes latitudes nord qui est très visible depuis un siècle et qui va se poursuivre.
Cela est lié en particulier à la fonte des glaces de mer et des surfaces enneigées. Il y a moins de zones enneigées actuellement qu’il y a trente, quarante, cinquante ans. Or ces surfaces ont la propriété de renvoyer une large partie du rayonnement solaire vers l’atmosphère. Ce n’est pas le cas des zones de forêts, de toundra ou de l’océan libre qui ont remplacé la neige. Elles absorbent au contraire largement la chaleur et les rayonnements solaires. Cela explique en partie le fait que les températures augmentent deux fois plus rapidement dans les régions de l’Arctique qu’elles n’augmentent en moyenne globale.
Ces zones de hautes pressions qui stagnent sur la Scandinavie sont conjoncturelles, mais sommes-nous aussi face à un phénomène de long terme ?
C’est effectivement la question. Tout le problème est de savoir si ces zones de haute pression sont liées au réchauffement climatique global. D’après les météorologues, elles devraient se prolonger toute la semaine. En tous cas, elles s’inscrivent dans un réchauffement climatique que nous décrivons depuis longtemps.
A l’échelle planétaire, 2018 est la troisième année la plus chaude que nous ayons connue, après 2016 et 2017. On reste bien dans un contexte de réchauffement global avec des records qui sont battus. Et cela va devenir de plus en plus fréquent dans le monde, à mesure que le réchauffement climatique va se mettre en place.
Il va falloir s’y habituer. C’est ce que nous disons, nous, climatologues depuis trente ans. Par exemple en France, même d’ici 2025, on aura des températures record de 2 à 3 degrés plus chaudes qu’elles ne le sont actuellement. Aujourd’hui, les températures record tournent autour de 42, 43 degrés en France. A l’échelle d’une dizaine d’années, elles pourraient arriver à 45 degrés. Et si le réchauffement climatique n’était pas maîtrisé, on pourrait aller au-delà de 50 voire 55 degrés dans certaines régions de l’hexagone, dès la deuxième moitié de ce siècle.
Et en Europe, si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, pratiquement deux tiers des habitants auront à faire face à des extrêmes climatiques. En cas de réchauffement non maîtrisé, il risque d’y avoir d’ici la deuxième moitié du siècle, 50 fois plus de décès liés aux catastrophes climatiques qu’actuellement. Aujourd’hui, on déplore 3 000 décès par an, on risque d’avoir 150 000 décès par an, en Europe, liés essentiellement aux périodes de canicule.
On a ce sentiment que l’Europe est un continent moins vulnérable que d’autres, ce qui est bien le cas. Mais l’Europe est quand même très vulnérable au réchauffement climatique. On le vit actuellement avec le problème de ces feux de forêts très importants. Ces risques vont aller en s’amplifiant…