PRINCESSE SITĀ, « AUX SOURCES DE L’EPOPEE DU RĀMĀYANA »
Note de l’Editeur
Une langue choisie et inventive
Après « Eclats d’Inde », chronique incisive et touchante de l’arrivée et de la vie des premiers Indiens sur les habitations-plantations, dont le succès inspira la cinéaste Camille MODUECH pour son film : « Les 16 de Basse-Pointe » ; après « J’ai rêvé de Kos-City » dont le narrateur, un jeune architecte, nous entraîna à travers la planète en quête d’inspiration, avant de revenir dans son pays, un projet de construction d’une ville nouvelle dans la poche, pour tenter d’y casser le modèle colonial ; voici, dans une langue choisie et inventive, « Princesse Sitā », le nouveau livre de Camille MOUTOUSSAMY, paru lui aussi aux Editions l’Harmattan. Ce roman, à bien des égards et selon la démarche maintenant connue de l’auteur, se distingue de ce que nous livrent habituellement nos autres écrivains. Il se veut un marqueur et une affirmation de la présence indienne cruellement absente de la création artistique voire des musées de son pays. Camille MOUTOUSSAMY chemine à rebrousse-poil des idées reçues et des théories hâtivement échafaudées. Gageons que le succès sera au bout de ses 274 pages de ce beau roman.
Sitā est une enfant-princesse qui berce des jours candides à Videha, le royaume de son père : le roi Janaka. Sa naissance reste cependant un mystère. Son destin lui échappe le jour où elle est mariée à Ramā, prince héritier putatif du puissant royaume d’Ayhodhyā sur lequel règne son vieux père : le Roi des rois Dasaratha. Elle devient dès lors, un des personnages centraux autour desquels s’élabore l’épopée du Rāmāyana : un des grands poèmes fondateurs de la civilisation indienne. Il fait cinq fois la Bible. « Tout ce qui est, est dans le Rāmāyana », disent les sages indiens. Voilà qui annonce ce que Camille MOUTOUSSAMY nous invite à comprendre et à partager : la vie quotidienne de l’homme, en ce qu’elle a de subjectivités et de réalités. Où qu’il naisse et vive, l’homme est mis en mouvement par des rêves, des passions, des ambitions, des actions, des désirs, des convoitises qui gouvernent sa vie et souvent celle des autres.
Destin croisé de trois femmes
« Princesse Sitā », c’est le destin croisé de trois femmes : une princesse (Sitā elle-même), une reine (Kaikeyi) et une esclave (Mantharā). Dans leur quête de pouvoir ou de légitimité, elles mettent face à face, d’un côté : l’amour, la fidélité, la sagesse, le renoncement, la foi, la vertu ; de l’autre : l’ambition, l’intrigue, l’imposture, l’usurpation, la trahison et les vices des humains, des démons et des dieux. La face du monde s’en trouvera-t-elle changée ? C’est la grande interrogation de ce roman à rebondissement incessants. Il est à la fois initiatique, éthique, écologique, avec quelquefois un parfum érotique. Il nous plonge au cœur de l’Inde antique — l’Inde des grandes conquêtes scientifiques et spirituelles — pour mieux nous faire comprendre pourquoi la renaissance de cette Inde-là (l’Inde éternelle et nouvelle à la fois) coïncide avec la naissance du troisième millénaire. Le diplomate et écrivain indien, Pavan K. Varma, va jusqu’à affirmer, lui, que le XXIe siècle sera le siècle de l’Inde : l’Inde, puissance démographique et économique ; l’Inde, puissance culturelle et spirituelle ; l’Inde, puissance nucléaire et spatiale ; l’Inde, puissance inclassifiable même par un Samuel Huntington ou un Francis Fukuyama qui ont étudié en profondeur toutes les civilisations, à l’exception de l’Inde précisément, dans leurs monumentaux best sellers : « Le choc des civilisations » et « La fin de l’histoire et le dernier homme ».
Lecteur, vous serez acteur
Au moment où cette Inde s’invite inexorablement dans notre quotidien, le propos de « Princesse Sitā » est de contribuer à nourrir le débat et la réflexion qui en résultent, par la restitution ramassée et romanesque de ses textes-fleuves.
Lecteur, vous serez tour à tour attendri et ému, passionné et fasciné, impuissant et révolté, amusé et réjoui. Comme les protagonistes, tantôt vous jubilerez, saliverez à l’évocation de mets raffinés, écraserez une larme ou épongerez des sueurs froides ; tantôt vous serez déconcerté, ébaubi, dubitatif, exaspéré ; mais vous serez toujours captivé et projeté dans un autre imaginaire : celui de personnages inattendus, attachants ou abominables ; celui de la démesure des cités et des palais ; de la magnificence des montagnes et des forêts ; de la diversité et de l’intelligence de la faune sauvage. Vous serez impressionné par l’impératif moral et la grandeur d’âme qui animent certains, consterné par le sens de l’opportunisme et du réalisme qui habite d’autres. Vous découvrirez ou redécouvrirez, avec intérêt, après les dieux morts de l’antiquité grecque et romaine, les dieux bien vivants de l’hindouisme. Vous apprendrez, avec soulagement, que la lutte pour le maintien de l’équilibre de la planète, aujourd’hui une priorité pour nous, a, de tous temps, été menée par des hommes de bonne volonté.
Un héritage culturel vivant
Mais pour Camille MOUTOUSSAMY et nombre de Martiniquais et Guadeloupéens, cet imaginaire appartient à l’imaginaire martiniquais et guadeloupéen depuis le 6 mai 1853 pour le premier et le 24 décembre 1854 pour le second. En effet, c’est à ces deux dates que débarquèrent les premiers Indiens à la Martinique et en Guadeloupe, où ils durent faire souche. Ils avaient dans leurs baluchons et dans leur tête, sinon le volumineux livre du Rāmāyana, du moins des fragments significatifs qu’ils ne cessèrent de mettre en scène, toute une nuit durant, sous forme de théâtre dansé et chanté connu sous le nom de Ramé-nadrom : l’épopée de Rāma. On y retrouve les mêmes personnages : les dieux, les héros, les humains, les animaux grimés et costumés pour restituer l’atmosphère et les enjeux de cette Inde éternelle et universelle, de cette Inde tout entière monument civilisationnel de l’humanité, a fortiori pour la Martinique et la Guadeloupe.
C’est une facette encore mal connue de la personnalité martiniquaise et guadeloupéenne que Camille MOUTOUSSAMY, touche après touche, roman après roman, s’emploie à mettre en lumière, avec la clairvoyance et la patience de l’artiste, la foi et la culture héritées de ses ancêtres.