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CHLORDECONE : ETRANGE PARADOXE !

Lorsque que Louis Boutrin et Raphaël Confiant ont dénoncé le scandale des pesticides par le moyen d’un livre au titre provocateur : « Chronologie d’un empoisonnement annoncé », ni la France hexagonale, ni les Antilles ne se sont émues d’une accusation aussi directe et personne n’a poursuivi les deux auteurs en diffamation et affirmations mensongères.

Pourtant l’ouvrage reprenait déjà les conclusions du Professeur Belpomme et militait pour que soient menées de multiples investigations scientifiques croisées qui feraient le point sur une réalité que personne ne peut nier : En Martinique, les pesticides dont le (ou la) chlordéchone incriminé (e), ont été utilisés au-delà de l’interdiction formelle, comme en témoigne la découverte de plus d’une tonne de ce dernier produit dans un hangar agricole. 

Aucun élu politique, et particulièrement ceux qui ont en charge des communes rurales, n’a réagi avec vigueur et un député de l’époque, Philippe Edmond-Mariette lui-même, de Bâtir, mouvement auquel appartiennent Boutrin et Confiant et naturellement sensibilisé à ce sujet, n’avait pu obtenir que l’engagement d’une mission dont il n’aura pas vu la réalisation. 

Sans doute doit-on une fois de plus déplorer que la voix de l’Antillais noir porte moins que celle du Continental blanc et regretter que l’affaire du chlordécone ne soit aujourd’hui médiatisée que parce que le professeur Belpomme a présenté son rapport devant le parlement.  

Mais on doit aussi se demander pourquoi l’engagement vigoureux de Boutrin et de Confiant est resté, dans notre pays même, aussi peu fécond. Sans doute on doit une fois de plus déplorer que la voix de l’Antillais noir porte moins que celle du béké, défenseur acharné d’une banane controversée ! 

Mais ne nous égarons pas ! Le problème d’égalité n’est hélas pas à l’ordre du jour : il s’agit de deux autres tensions contradictoires qui agitent notre petit peuple insulaire : la santé publique de notre communauté (et de la lignée humaine qui surgira de nos choix) et l’économie agricole et touristique ! 

Un faisceau complexe d’intérêts – depuis ceux de l’Etat, responsable mais pas coupable, aux planteurs de bananes, responsables mais pas coupables, jusqu’aux nôtres, (nous peuple toujours victime absolue et forcément innocent par essence ! ) entraîne aujourd’hui le refus de la réalité : oui, la terre martiniquaise est polluée à bien des endroits ! 

Le lynchage médiatique, étatique et corporatiste d’un chercheur (ce ne sont pas des procédés d’universitaires ; en règle générale nous choisissons le débat d’arguments scientifiques !) et finalement la dénégation ou le fatalisme populaire devant une situation établie et avérée mais contre laquelle nous pouvons enfin lutter de manière positive, est révélatrice à la fois de procédés qui relèvent de lobbying économique plutôt que de morale ; et de notre sempiternelle résignation dès lors qu’il nous est donné de devenir maîtres de notre destin. 
 

Le principe de précaution s’impose avec une large information publique et la ministre de la santé doit avoir le courage de l’imposer très vite. 

Le ministre de l’agriculture doit s’engager dans la mise en place de la solidarité nationale envers les agriculteurs qui acceptent la dépollution de leurs terres. 

Une enquête scientifique européenne doit être déclenchée de toute urgence car la France ne peut être juge et partie en l’occurrence ; et les subventions, octroyées par l’Europe, lui donnent la légitimité de ce contrôle. 

Les Martiniquais ont le droit et le devoir de connaître l’entière vérité ! 
 

Avec honnêteté les planteurs, Eric de Lucy en tête, reconnaissent les effets des pesticides sur le sol martiniquais et avouent chercher à améliorer constamment les conditions de production en les diminuant (60% de moins aujourd’hui). Mais ce sont toujours 40% de trop sur une terre déjà polluée.  

Roseline Bachelot, ministre de la santé, reconnait elle-même le problème en recommandant une consommation bi-hebdomadaire de nos produits locaux. 

Donc le problème existe comme en témoigne la destruction d’une cargaison de patates douces trop chargée en pesticide. 

Si la France ne veut pas consommer les produits issus du sol martiniquais, pourquoi les Martiniquais devraient-ils se résigner à consommer des produits empoisonnés ? 

Il n’y a ici aucune accusation envers les agriculteurs mais il faut avoir le courage de leur dire que l’on ne peut en toute conscience continuer à faire commerce sur la vie des siens. 
 

Le problème des pesticides menace jusqu’à notre culture en touchant aux aliments de base des antillais, lesquels contribuent à construire notre identité : faut-il renoncer à nos légumes pays, à nos jardins créoles parce que nous n’avons pas le courage de traverser une révolution mentale : l’arrêt d’un système et l’avènement d’un autre ! Le passage d’une agriculture traditionnelle aux méthodes suicidaires à la pratique volontariste d’une agriculture propre et raisonnée. 

Le moment est venu de faire le point : il n’est pas acceptable que l’on annonce déjà la prochaine récolte pour mars 2008 comme si le peuple n’était pas inquiet et ne réclamait pas de savoir la vérité ! 

Faut-il pour secouer l’apathie collective, interpeler magistralement l’Etat comme le fit Zola en son temps ?  

Si oui, alors J’accuse !  

J’accuse d’indifférence orchestrée ou d’absence de réactivité. 

Aux Martiniquais de manifester enfin la dynamique d’une ambition depuis trop longtemps rêvée !

Aux ministres de montrer la mesure de leur tempo et de leur volonté de s’inscrire dans la rupture. 

Parce que le temps des rêves est révolu. 

Chantal MAIGNAN