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CHLORDÉCONE : 12 mesures urgentes pour Gérer la sortie de crise

Par Louis BOUTRIN et Raphaël CONFIANT :

  1. Gel immédiat de toutes les terres contaminées.
  2. Assurer la potabilité de l’eau servie à la population
  3. Traçabilité des aliments mis sur le marché – labellisation – Laboratoire d’Analyse.
  4. Suppression des LMR pour le Chlordécone
  5. Procédures urgentes d’indemnisation des agriculteurs, des aquaculteurs, pisciculteurs et autres professionnels
  6. Recensement de tous les ouvriers agricoles en contact avec le Chlordécone – Bilan médical complet. Etude épidémiologique spécifique pour cette population en Martinique.
  7. Etudes épidémiologiques portant sur l’ensemble de la population
  8. Tables rondes et Congrès des élus sur l’avenir de l’agriculture : « Quelle politique agricole pour les Antilles ? »
  9. Création d’une usine de bioéthanol en Martinique
  10. Dépollution des sols contaminés
  11. Suivi du volet judiciaire.
  12. Mise en place d’un plan de Communication – Transparence.


Chronique d’un empoisonnement annoncé.
Le scandale du Chlordécone aux Antilles françaises
(1972 – 2002)
Editions L’Harmattan – Février 2007

Février 2007. Que n’avons-nous pas entendu à la sortie de notre livre !
Contraints et forcés de nous justifier, y compris sur le titre et le sous-titre de l’ouvrage, nous avons essuyé les pires critiques,  des plus constructives aux plus stupides, des plus mesquines aux plus stériles.
Conscients des enjeux de la situation, malgré le remue-ménage provoqué au sein même de l’administration étatique et de multiples pressions, nous n’avons pas transigé sur cette affaire. En aucun cas, nous ne pouvions déroger aux principes ni renier les valeurs qui nous ont conduit à écrire cet ouvrage.

Pour faire face à cette dure loi de l’Omertà que l’on nous imposait, nous avons pris notre bâton de pèlerin pour diffuser l’…information. Des travées de l’Assemblée Nationale  en passant par l’amphithéâtre de Fouillole en Guadeloupe, l’hémicycle du Conseil régional de la Martinique, l’Atrium, les salles communales (Morne Rouge, Lorrain, Carbet, Trinité etc.),  nous avons multiplié les forum-citoyens pour tenter de faire éclater au grand jour la vérité. Mais, c’était mal évaluer les réseaux d’influence et leur poids sur la diffusion de l’information sous nos latitudes. En dépit de quelques fuites tardives et de l’émotion suscitée dans la rue ou sur les ondes-radio, peu de véritables réactions de la part des autorités. Silencieuse, la préfecture attendait que passe l’orage du Chlordécone.
La classe politique locale, elle-même, à quelques rares exceptions, est restée quasiment muette pour, près de six mois après la parution de notre livre voter, au Conseil général de la Martinique, une délibération demandant à ce que plainte soit portée contre…X. Comme si les responsables en chef de cet empoisonnement étaient de parfaits inconnus ! Quant aux autres organisations écologiques, elles se sont lancées dans une compétition imbécile avec nous pour tenter de démontrer qu’elles furent les premières à dénoncer le scandale du chlordécone comme s’il l’on pouvait tirer de ce drame humain un quelconque fonds de commerce. Sans parler d’une certaine presse, d’orientation soi-disant nationaliste, qui, elle aussi, a cherché à gagner le championnat du premier dénonciateur, tout en ouvrant largement ses colonnes au préfet en poste à la Martinique à l’époque et à l’association-bidon, « Machann Foyal » que ses services avaient concoctée à la hâte, trois jours avant une manifestation programmée par l’ANC (Association Non au Chlordécone).

Septembre 2007, Interview du Pr Dominique Belpomme dans le quotidien, Le Parisien. Il a fallu d’un pavé dans la mare lancé par ce très médiatique cancérologue depuis les berges de la Seine pour qu’enfin, le scandale du Chlordécone éclate. Un rapport qui ne faisait que reprendre quelques bribes de ce que nous dénoncions, ici même, sur les rives de la Pointe-des-Nègres. Rappelons qu’une grande partie de notre ouvrage repose sur des traductions de travaux scientifiques réalisés aux USA suite à l’interdiction définitive du chlordécone dans ce pays en 1979, ainsi que sur diverses publications de l’ « American Cancer Institute », le plus grand centre de cancérologie du monde. Nul n’est donc prophète en son pays ! A notre tour, nous l’apprenions à nos dépends.

Mais, quels que soient les reproches que l’on pourrait adresser au Pr. Dominique BELPOMME (en particulier le fait qu’il semble ignorer que les populations du Sud de la Martinique ont bu, pendant 30 ans, exactement la même eau contaminée que les populations du Nord, cette région étant le château d’eau de la Martinique), la médiatisation de son grain de sel dans ce scandale du Chlordécone a eu un effet tout à fait salvateur. La France entière s’est réveillée avec cette terrible nouvelle d’un empoisonnement de la population antillaise par la faute d’un redoutable pesticide. Médusés et surpris par l’ampleur de la déferlante médiatique, nos gouvernants, jusqu’ici immobiles, se sont empressés de monter au créneau et tenter d’éteindre le feu. Plusieurs ministres se sont succédés à la télévision pour expliquer à l’opinion française en deux jours ce que les services de l’Etat ont caché à la population antillaise durant trois décennies à savoir : « Un désastre écologique entraînant une contamination de la population ». Une vérité que nous avons eue, à la sortie de notre livre, toutes les peines à faire admettre. Ce qui a de plus pathétique dans cette affaire, c’est qu’une fois de plus, ce sont nos propres élus, nos propres concitoyens, qui lamentablement viennent au secours des pompiers pyromanes en tentant de minimiser l’étendue de la catastrophe ou de disculper les responsables au motif qu’il « faut éviter de faire du catastrophisme ». Comme si la catastrophe n’était pas déjà là et bien là !

En réalité, cette effervescence médiatique n’est ni plus ni moins que le résultat d’une faillite supplémentaire des services de l’Etat, incapables de gérer aux Antilles une catastrophe écologique doublée d’une crise sanitaire grave.
Et, quelles que soient les explications données aujourd’hui pour justifier la situation, le fait est que le Chlordécone et d’autres pesticides tout aussi dangereux ont été répandus dans la sole bananière et qu’ils ont contaminé durablement les terres agricoles,  les eaux de rivières, les nappes phréatiques, l’eau desservie au robinet et les bandes côtières. Les dernières analyses pratiquées par le GREPHY, après avoir pointé du doigt les seuls « légumes-racine », nous révèlent aujourd’hui que d’autres cultures, notamment hors-sols, sont concernées avec des incidences graves sur la chaîne alimentaire et la santé de nos concitoyens.
     C’est là une vérité qui dérange les pouvoirs publics mais que nous ne pouvions passer sous silence.
Héritiers de la terre de nos ancêtres, qu’ils ont fécondée de leur sueur et de leur sang,  nous avions une obligation morale de faire l’historique et  l’état des lieux de la contamination. Nous avions une impérieuse obligation de révéler la chronologie de cet empoisonnement de la population. Et, pour que l’histoire ne se renouvelle plus, nous avions aussi l’obligation de désigner les responsables.
Car, plus que jamais, quand l’esprit de responsabilité vient à manquer,  quand les postures médiatiques camouflent mal les reniements politiques,   quand  les attitudes complaisantes vis à vis des coupables deviennent de plus en plus insupportables, les victimes ont  besoin d’être informées et défendues pour que  leurs droits élémentaires ne soient pas, une fois de plus, bafoués.

Ce sont ces motivations là, c’est cet esprit de responsabilité qui nous a toujours animés dans cette scandaleuse affaire qui aujourd’hui, nous conduisent à formuler 12 propositions urgentes.
Après une gestion maladroite et calamiteuse de cette crise sanitaire sans précédent par les services de l’Etat, le moment est venu d’apporter une nouvelle contribution  citoyenne afin de gérer la sortie de crise du Chlordécone.

Il en va de l’avenir de notre pays.
Il en va de l’avenir des générations futures.

Louis BOUTRIN
Raphaël CONFIANT

1. Gel immédiat de toutes les terres contaminées.

Constat
Actuellement 22.500 ha en Martinique et 5.400 ha en Guadeloupe de terres agricoles sont fortement contaminés au Chlordécone.
Une cartographie des sols contaminés existe (voir Annexe 1) :
pour la Martinique : réalisée par le SIC – DIREN. Elle date de novembre … 2004
pour la Guadeloupe : réalisée par la DAD DSV collaboration INRA/APC. Elle date également de 2004 même si elle a été éditée en 2006
Des terres à bananes, où le Chlordécone a été fortement utilisé,  sont actuellement reconverties en cultures maraîchères et vivrières au nez et à la barbe de tout le monde. Le risque de contamination des productions issues de ces sols est évident. Seuls les services de l’Etat ne sont pas informés puisque aucune mesure cœrcitive n’est actuellement prise pour interdire de telles pratiques.
Des terres contaminées au Chlordécone ont fait l’objet de spéculation foncière. Certains agriculteurs ont été victimes de cette situation et se retrouvent  avec des terrains inexploitables sans aucun recours possible. De terres à bananes ont été déclassées et viabilisées : des particuliers se retrouvent avec des propriétés, voire même des jardins créoles fortement contaminés au Chlordécone. De nombreux témoignages, notamment dans la commune de Trinité, viennent confirmer ce constat.

Proposition :
Il faut impérativement actualiser la cartographie des sols contaminés car elle est incomplète et ne reflète pas la réalité de la contamination. Certaines communes, comme le Prêcheur, où s’est développée la culture de la banane avec utilisation du Chlordécone, ne figurent pas sur cette cartographie
Gel immédiat de toutes les terres fortement contaminées au Chlordécone et autres pesticides.

Note des auteurs :
Le Gel des terres contaminées constitue la toute première mesure que les autorités publiques devraient prendre face à la situation de crise actuelle.
Aucune épidémie, aucune pollution avérée, aucune calamité agricole, aucun risque sanitaire potentiel n’est sérieusement combattu sans une intervention urgente de l’Etat pour circonscrire le risque ou l’aléa. Or, en Martinique, face à cette pollution au Chlordécone, rien de tel n’a été fait. Les citoyens que nous sommes ne sont pas informés de l’étendue précise des dégâts.
Si tel était le cas, des agriculteurs n’auraient pas acheté des terres qui, par la suite, s’avèrent inexploitables (de nombreux cas nous ont été signalés par des agriculteurs).

Ce manquement grave des services de l’Etat et  l’absence de mesures coercitives compliquent singulièrement la gestion de la crise actuelle. Tout ceci fait planer un climat d’incertitude, de suspicion, de doute avec comme corollaire une crise de confiance et une méfiance vis-à-vis des productions agricoles locales.

La décision de geler les terres contaminées relève donc d’une procédure d’extrême urgence qui présente plusieurs avantages :
Elle traduirait les exigences de transparence dont la population martiniquaise est en droit d’attendre de nos gouvernants.
Elle favoriserait d’autres mesures indispensables en pareille circonstance : traçabilité, indemnisation, prévention des consommateurs, dépollution des sols et préservation du foncier agricole.
La mise à jour de la cartographie des terres contaminées et une meilleure information devraient conduire à un gel immédiat de toutes ces parcelles. Cette mesure relève d’une procédure d’extrême urgence que les autorités devraient prendre.
2. Assurer la potabilité de l’eau desservie à la population

Constat :
91% de l’eau distribuée au robinet provient des rivières du Nord d’Ouest de la Martinique là, précisément, où la culture de la  banane est la plus abondante. L’installation complète des périmètres de protection rapprochée des points de captation d’eau dans ces rivières tarde à voir le jour, malgré la situation de crise actuelle.
 Les services de l’Etat, notamment la DSDS (ex-DDASS) ont réussi un tour de passe-passe en focalisant le scandale du Chlordécone sur la profession agricole. Or, nous l’avons longuement démontré dans notre livre : la contamination de la population (90% des femmes enceintes ont du Chlordécone dans leur sang et celui du cordon ombilical – Chiffres 2007) est directement liée au laxisme de l’ex-DDASS et à l’absence de contrôle des eaux distribuées à la population.
Aucune mesure coercitive n’est prise pour faire respecter l’interdiction de consommer les eaux de sources. Pourtant 12 des 14 sources contaminées au Chlordécone et autres pesticides sont interdites à la consommation.
L’eau de la source Sarrault sur le territoire du Lamentin (Martinique), interdite à la consommation car fortement contaminée en Chlordécone, arrive directement au robinet de certains riverains. Une situation qui perdure depuis des décennies sans que les autorités soient intervenues pour couper cette alimentation.

Eaux en bouteille : des interrogations, tout à fait légitimes, quant à la potabilité de certaines eaux de source de Guadeloupe et de Martinique ont vu le jour, compte tenu de la proximité de bananeraies. Des mesures de transparences pour le consommateur s’imposent.

Propositions
Mettre en place des périmètres de protection rapprochée au niveau des points de captation d’eau des rivières
Equiper en système de filtration au charbon actif et moderniser toutes les usines de production d’eau potable.
Contrôler la filière d’élimination des boues des stations de production d’eau potable.

Informer régulièrement les consommateurs des résultats d’analyses pratiquées sur les eaux mises en bouteilles
Régler définitivement le problème de consommation des eaux de sources contaminées.

Note des auteurs :
Transparence – Transparence ! Le maître mot des Ministres …depuis que le scandale a éclaté. Oui mais, la population souhaiterait voire publier les résultats des analyses pratiquées sur l’eau en bouteille afin d’enlever toute suspicion quant à la contamination de ces sources par les pesticides. Mesure sanitaire et économique pour les entreprises concernées. Il n’y a pas pire catastrophe économique      que … les rumeurs !

3. Traçabilité – labellisation des aliments –
Suivi du projet de Laboratoire d’analyse

Constat :
Les pouvoirs publics multiplient les interventions pour nous informer de la bonne qualité sanitaire des produits vendus sur les marchés locaux. Certains élus de chez nous se font l’écho de cette « bonne nouvelle ». Mais, en tant que consommateurs, nous n’avons aucune preuve, donc aucune garantie quant à l’origine et à la qualité des aliments vendus, si ce n’est que des affirmations verbales qui n’engagent pas (… pas encore) leurs auteurs.
 Une récente communication du GREPHY fait état de la présence de Chlordécone dans d’autres productions que les légumes-racine tels que le corossol, les mangues, la viande, le lait, les yaourts. Une exploitation de Ouassous (écrevisses) a été fermée à cause d’un taux trop élevés de Chlordécone. Des aquaculteurs sont contraints de fermer leurs écloseries.
Qu’en est-il des autres productions importées et vendues sur nos marchés et hypermarchés ?
Toutes les terres agricoles ne sont pas contaminées. Les exploitants agricoles qui produisent des denrées saines sont pénalisés car leur production est confondue avec celle des producteurs qui continuent à utiliser des terres contaminées.

Actuellement, pour réaliser les tests obligatoires d’E.S.B., les échantillons sont expédiés au Laboratoire de Cergy-Pontoise. La viande produite localement est consignée à l’abattoir départemental durant 48 heures avant sa restitution aux propriétaires. Procédure qui coûte chère (45 € par test – soit un budget annuel d’environ 100 000 €), lente et qui pénalise toute la filière de la viande locale.

Propositions :
Mettre en place une labellisation des produits agricoles avec un système de code-barre à l’instar de celui qui avait été mis en place pour assurer la traçabilité de la viande de bœuf lors de la crise de la vache folle.

 Accélérer la mise en place d’un Laboratoire d’Analyse performant permettant de réaliser localement le contrôle immédiat des fruits et légumes, de l’eau mais aussi de la viande, du poisson et produits de la mer.
 Demande de financement à l’Etat pour la formation et le matériel du laboratoire.
Procédure d’agrément du laboratoire à accélérer.

4. Suppression des L.M.R. pour le Chlordécone

Constats
Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé, a annoncé l’abaissement des teneurs maximales en Chlordécone pour certaines denrées de 50 µg à 20 µg/kg. L’AFSSA et la Ministre ne nous ont toujours pas expliqué pourquoi les seuils toxicologiques d’exposition fixés à 50 µg/ kg de légumes le 12 octobre 2005 sont, en octobre 2007, dangereux au point de les ramener à 20 µg/ kg de légumes.
 En réalité, ces LMR (Limites Maximales de Résidus) ne reposent sur aucune étude scientifique sérieuse et ne répondent pas à des critères de santé.
Ces LMR sont fondées sur des connaissances beaucoup trop approximatives quant aux modes de consommation alimentaire des Antillais et au niveau de la contamination des aliments.
Les dernières communications du GREPHY révèlent une contamination de nouveaux légumes ou produits pour lesquels aucune analyse n’avait été faite jusqu’alors : ouassous, lait de vache, yaourt, corossol, viande de bœuf, boudin créole. Ces produits ont-ils été pris en compte lors du calcul de ces LMR ?
Quid du processus de bioaccumulation des produits chimiques dont la toxicité est confirmée ou révélée au fil des découvertes scientifiques ?
Fixer une LMR après trois décennies de consommation d’une eau gorgée de Chlordécone et de légumes contaminés par ce même pesticide pose un problème de crédibilité scientifique de l’AFSSA.
Aucune étude scientifique n’est capable de déterminer aujourd’hui les interactions dans l’organisme humain de ce cocktail de pesticides déversés sur les sols aux Antilles. Quels sont les effets combinés avec les autres pesticides organochlorés (HCH béta, Dieldrine) et phosphochlorés (Paraquat).
La Ministre de la santé est-elle au-dessus des lois de la République. La loi interdit toute trace de pesticides non autorisés dans les végétaux (arrêté du 5 août 1992). Le Chlordécone a fait l’objet d’une interdiction depuis 1993.  Comment peut-on déterminer une LMR pour un pesticide interdit et reconnu dangereux pour la santé humaine ?

Proposition
Conformément à la réglementation en vigueur, le Chlordécone étant interdit, nous proposons la suppression des LMR pour ce pesticide. Zéro Chlordécone dans nos assiettes, voilà la décision que nous attendons de la Ministre en charge de la santé publique.
 

Procédures urgentes d’indemnisation des agriculteurs, des aquaculteurs, pisciculteurs et autres professionnels

Constats

Depuis les premières mesures d’interdiction de commercialiser les fruits, légumes et autres produits de l’aquaculture, les producteurs antillais n’ont reçu aucune indemnisation.
Dans l’Hexagone, toute calamité agricole, toute pollution portant atteinte à l’agriculture et à la pêche, sont suivies d’une procédure d’urgence d’indemnisation. La crise de la vache folle et la contamination des huîtres du bassin d’Arcachon en sont des exemples concrets.
Aux Antilles, face à la contamination au Chlordécone et aux mesures d’interdiction de mise sur le marché par les Préfets, aucune indemnisation n’a été effective. Cette situation est discriminatoire et intolérable.
L’absence de revenu conduit à la faillite de ces professionnels dans une situation déjà marquée par le chômage endémique et le marasme économique. Malheureusement, dans des cas limités, on assiste à des pratiques frauduleuses pour écouler une marchandise contaminée. C’est là une question de survie pour les très petits producteurs.

Les agriculteurs qui demeurent les premières victimes de cet empoisonnement au Chlordécone ont déjà interpellé les services de l’Etat sur leurs difficultés financières sans pour autant obtenir satisfaction.

Aquaculture – pisciculture : Le principe de prévention n’a pas été respecté puisqu’on a autorisé l’installation récente de professionnels sans contrôler ni les sols ni l’eau utilisés dans ces installations. La pollution étant déjà avérée, il s’agit bien du principe de prévention (et non pas de précaution) qui n’a pas été appliqué par les services de la DAF et de la DSV.

Quelle que soit la date de la « découverte » de la contamination, l’Etat aurait du décréter l’état de calamité agricole à l’instar de ce qu’elle fait face à de telles crises dans l’Hexagone. Or, il semblerait que les DOM soient exclus des dispositifs de calamités agricoles.

Propositions

Soutien financier immédiat aux agriculteurs pour faire face à leur perte réelle de revenus.
Extension dans les DOM et reconnaissance de l’état de calamité agricole face à la contamination au Chlordécone et autres pesticides.
Mise en place de  procédures d’urgence pour l’indemnisation des agriculteurs, des aquaculteurs et autres professionnels victimes de la contamination de leurs productions par les pesticides.
Création d’une cellule interministérielle pour gérer cette procédure d’indemnisation.
Aide à la reconversion agricole pour les exploitations ou installations complètement contaminées.   

Recensement de tous les ouvriers agricoles
en contact avec le Chlordécone
Bilan médical complet.
Etude épidémiologique spécifique « agriculteurs »  
en Martinique et en Guadeloupe.

Constats :

Des études épidémiologiques ont été lancées en Guadeloupe. Nous nous en réjouissons. Pourquoi n’a-t-on pas mis les moyens pour les mener en Martinique où malgré les similitudes, les situations demeurent différentes ?
1er paradoxe : les études épidémiologiques sont menées en Guadeloupe alors que la production bananière est 6 fois plus élevée à la Martinique. D’ailleurs l’étendue de la catastrophe est très significative (22.500 ha fortement contaminés au Chlordécone en Martinique contre 5.400 ha en Guadeloupe). Les quantités de Chlordécone utilisées en Martinique ont été beaucoup plus élevées qu’en Guadeloupe.
2ème paradoxe : L’eau potable provient des prises en rivière dans les régions bananières pour 91% en Martinique contre 84,6 % en Guadeloupe.
Ces deux paradoxes plaident pour que l’on domicilie également en Martinique des études spécifiques pour les planteurs de banane car plus nombreux,  plus exposés à la culture intensive et aux applications répétées de Chlordécone.

En dépit de tous les débats contradictoires entre scientifiques, au-delà des discours tenus par les Ministres, le recensement des planteurs de banane qui ont été au contact direct avec le Chlordécone de 1972 à … 1993 ( ?) n’a pas été établi. Combien sont-ils ? Sont-ils toujours vivants ? Dans quelles communes résident-ils ? Combien d’enfants ont-ils eu ? etc…
Quel est l’état de santé de cette population de planteurs ? Ont-ils fait des bilans de santé systématiques ? Ont-ils présenté des pathologies particulières ? Sont-ils suivis médicalement ? Autant de questions sans réponses à ce jour… malgré le plan d’urgence décrété par les autorités sanitaires.

Propositions

Recensement de la population d’agriculteurs concernés
Financement d’un suivi médical immédiat et effectif
Mise en place dans les deux régions de Guadeloupe et de Martinique, d’une étude épidémiologique spécifique pour les agriculteurs utilisateurs de Chlordécone et autres pesticides.
Veille sanitaire efficace à l’attention des professionnels au contact avec le Chlordécone et autres pesticides.

Etudes épidémiologiques portant sur l’ensemble de la population… par des experts indépendants.

Constats :

En 1977 et 1979, les rapports Snégaroff et Kermarec ont mis en évidence la pollution massive au Chlordécone et autres pesticides des sols et des rivières aux Antilles.
En 1976, le Chlordécone est interdit de vente aux USA
En 1979, le Centre international de recherche contre le cancer classe le Chlordécone comme cancérigène probable.
En 1990, le ministère de l’agriculture l’interdit à la vente.
En 1993, le Chlordécone est définitivement interdit à la vente.
En 2006 : des travaux récents de chercheurs américains démontrent la relation de causalité entre les pesticides organochlorés et la maladie de Parkinson, ses incidences dans la maladie d’Alzheimer, dans des pathologies neurologiques et dans … certains cancers.
2007 : En France : la polémique scientifique fait rage entre les chercheurs de l’INSEM et le Pr Belpomme sur la forte prévalence du cancer de la prostate aux Antilles françaises. Curieusement, les autres. Controverse – volte-face, la population et surtout les nouveaux nés ne savent plus à quel … sein se vouer. En effet, une étude « Hibiscus » révèle la présence de Chlordécone dans le sang du cordon ombilical et ce, pour 90 % des femmes examinées.

Octobre 2007 : 28 ans après le classement du Chlordécone comme cancérigène probable, la population demeure en attente de conclusions scientifiques qui tardent à venir.
Malgré l’urgence de la situation, les résultats des enquêtes épidémiologiques seront connus qu’en 2008.
Déjà, les protocoles de ces études sont remis en cause au sein même de la communauté scientifique.
L’Etat est juge et partie dans cette affaire : certains fonctionnaires de la Cellule Inter- Régionale Epidémiologique sont directement concernés. Leur manquement et leur laisser faire ont conduit à la dégradation de la situation sanitaire actuelle.
L’INSERM n’a pas le monopole de la recherche scientifique. Des équipes de chercheurs étrangers ont déjà travaillé sur les pesticides organochlorés. Curieusement, ils n’arrivent pas aux mêmes conclusions que l’INSERM, notamment sur les incidences des pesticides sur la fertilité des spermatozoïdes.

Proposition

Nécessité de mener des études épidémiologiques par des experts indépendants

Tables-rondes citoyennes et Congrès des élus
sur l’avenir de l’agriculture :
« Quelle politique agricole pour les Antilles ? »

Constats
Avec le scandale du Chlordécone l’agriculture martiniquaise est en pleine crise. Les consommateurs sont de plus en plus interrogatifs et exigent des réponses claires. Les politiques ne peuvent ignorer une telle situation.
Or, l’agriculture martiniquaise repose essentiellement sur la culture de la banane et secondairement sur la canne et la production de rhum.
Depuis trois décennies, pour mener la lutte chimique dans la banane, les producteurs ont importé et déversé des pesticides organochlorés (DDT – HCH – Chlordécone etc…) très rémanents dans les sols et dangereux pour la santé.
Ce type d’agriculture orientée vers l’exportation ne profite pas forcément à la grande majorité des agriculteurs martiniquais. De plus, cette culture est vulnérable aux coups de vent et cyclones et engloutit l’essentiel des subventions allouées à l’agriculture.
Le dernier cyclone Dean illustre bien cette réalité : plus de 110 millions d’euros pour les seuls producteurs de banane.
Des voix s’élèvent pour qu’il y ait une nouvelle orientation de notre agriculture.

Propositions

Tenue  de tables-rondes citoyennes et d’un Congrès des élus de Martinique sur l’avenir de l’agriculture.
Envisager un plan régional à la reconversion et à la diversification agricole.

Etude de faisabilité économique et technique pour une agriculture durable et saine, notamment pour développement d’une banane biologique à haute valeur ajoutée.

Note des auteurs
L’heure est donc venue pour les autorités politiques locales d’organiser la réflexion sur l’avenir de l’agriculture martiniquaise et ce, en dehors des lobbies bananiers dont les intérêts ont toujours prévalu sur ceux des autres agriculteurs.
Les conditions économiques, sociales, voire psychologiques sont aujourd’hui réunies pour tenter de sortir de la logique mortifère de la banane chimique. Seule une autorité politique et morale comme le Président du Conseil Régional, qui a en charge l’aménagement du territoire et le développement économique, peut prendre une telle  initiation.

9. Création d’une usine d’éthanol
et
Diminution de notre dépendance énergétique

Constats

Chaque année, la Martinique importe 800.000 tonnes de pétrole brut. 40% est destiné à la fabrication de carburant. Les augmentations incessantes du prix du baril de pétrole (80 dollars) sont directement répercutées sur les automobilistes, ce qui contribue, en absence de transports publics performants, à l’endettement des ménages. Notre balance commerciale, elle aussi, se trouve affectée puisque 53 % de nos exportations (principalement la … banane et le rhum) sert à payer notre facture énergétique.
Sortir de cette logique du tout pétrole et diminuer notre dépendance énergétique deviennent un passage obligé pour le développement économique de notre pays.
Une directive européenne a fixé à 5,75 % le taux d’incorporation de biocarburant à l’horizon de 2010.

22.500 ha sont fortement contaminés au Chlordécone. Ces terres impropres à toute production agricole pourraient être reconverties en canne à sucre dans le but d’alimenter une usine d’éthanol.
Cette reconversion agricole permettrait de garder la vocation agricole de ces terres et de lutter contre toute forme de spéculation foncière et immobilière.
La culture de la canne à sucre participerait à la fertilisation des sols, à la lutte contre l’érosion, à la diminution considérable des prélèvements d’eau dans le milieu naturel (la canne étant nettement moins consommatrice d’eau que la banane.)
Elle pourrait constituer une réponse urgente en attendant la mise au point des procédures de décontamination des sols.

Propositions

Reconversion rapide des terres polluées en culture de canne à sucre.
Création d’une usine de production d’éthanol pour répondre à la législation européenne qui nous imposera 5,75 % de biocarburant dans l’essence survie à la pompe.

Note des auteurs *

La survie de la banane est étroitement liée aux régimes d’aide compensatoires de Bruxelles. Ce dispositif est régulièrement  remis en cause par l’OMC-banane. Notre économie ne doit plus reposer essentiellement sur une culture aussi aléatoire que la banane. Ce n’est pas un crime de lèse-majesté que d’envisager, à moyen terme, une reconversion vers la canne à sucre pour les terres contaminées et un développement plus rapide vers la banane biologique qui constitue un produit à haute valeur ajoutée.

* Pour plus de précision : voir livre Chronique d’un empoisonnement annoncé – pages 219 à 223  

10. Dépollution des sols contaminés

Constats

Les services de l’Etat ont réussi à faire admettre une fausse assertion selon laquelle aucune solution de dépollution des terres contaminées n’est envisageable à court terme.  L’argument « scientifique » avancé : les légumes aériens ne sont pas pollués au Chlordécone qui ne peut pas être absorbé par des plantes. Les faits et la découverte du Chlordécone dans l’avocat, les mangues et d’autres fruits aériens ont battu en brèche cette « vérité » non établie.
Les Antilles ne sont pas les seuls pays au monde à être confrontés à pareille contamination aux pesticides. Des expériences de dépollution de terres agricoles ont déjà été réalisées ailleurs, notamment aux USA, au Canada, en Australie où les techniques de phytoremédiation (voir Annexe) ont montré toute leur pertinence.
La pollution aux pesticides ne concerne pas que le Chlordécone puisque d’autres produits ont été utilisés aux Antilles dès le début de la lutte chimique en agriculture.

Propositions

Evaluer le mieux que possible les quantités exactes de Chlordécone et des autres pesticides déversés dans les sols aux Antilles
Faire un inventaire de toutes les expériences de dépollution aux pesticides, notamment aux organochlorés, à travers le monde
 Faire appliquer le principe « pollueur – payeur »  et mettre en place un financement pour la dépollution des sols contaminés.
 
11. Suivi du volet judiciaire

Constats
Depuis le 28 février 2005, avec l’adoption de la Charte de l’Environnement, l’environnement est entré dans la Constitution française au même titre que les droits d l’Homme et les droits sociaux. Dans son art. 4, cette Charte de l’Environnement qui a une valeur constitutionnelle, stipule que «  Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi. »

Lors de leur audition au Sénat par la commission, les 4 ministres présents ont déclaré ne pas être au courant de cette pollution au Chlordécone. Pas au courant dans l’affaire de l’amiante, pas au courant dans l’affaire du sang contaminé, pas au courant du nombre de morts lors de la canicule de 2003, pas au courant dans la récente affaire d’EADS. Curieusement, nos gouvernants ne sont jamais au courant de rien. Seule une Commission d’enquête parlementaire, permettra de faire ressortir la vérité et d’établir les responsabilités. C’est ce que nous avions réclamé dès 2002.

Des plaintes ont été déposées par diverses associations de protection de l’environnement tant en Guadeloupe et en Martinique, notamment pour « mise en danger de la vie d’autrui et administration de substances dangereuses et interdites ». Il appartiendra à la justice d’intervenir et de désigner les coupables.
Le procureur Général de la Cour d’Appel de Basse-Terre s’est pourvu en cassation le 7 août 2007 contre la recevabilité de la plainte contre X déposée par l’Union des Producteurs agricoles de la Guadeloupe le 23 février 2006. Ces excès de zèle des procureurs aux Antilles sont contraires aux bonnes intentions par le Président Nicolas Sarkozy et ses ministres et n’honorent pas ceux qui tentent de faire obstacle à la bonne marche de la justice.
Le 19 septembre 2007, la G    arde des Sceaux, Rachida D    ati, adresse une lettre au président de l’Assemblée Nationale lui précisant qu’une enquête parlementaire est en cours et par conséquence, la Commission d’Enquête Parlementaire réclamée par les élus antillais ne pourrait être contraire à la Constitution.
Pourtant, fin septembre, en pleine tempête médiatique, le Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, Christian Estrosi, déclare publiquement être favorable à la mise sur pied de cette Commission d’enquête.
Le 17 octobre 2007, le président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, Patrick Ollier, a rejeté la demande de cette commission d’enquête parlementaire au motif de l’ouverture d’une procédure judiciaire sur cette affaire.

Propositions

L’Etat, garant de la Constitution, doit faire respecter cette loi suprême notamment l’art. 5 de la Charte de l’Environnement. Les responsables des atteintes graves à notre environnement doivent être désignés et les coupables poursuivis. La réparation du préjudice causé par la pollution au Chlordécone et autres pesticides doit être faite. L’Etat doit donc veiller à ce que les plaintes déposées par les associations de protection de l’environnement soient suivies d’effet aussi bien en Guadeloupe qu’en Martinique. Les manœuvres du parquet de Guadeloupe visant à contester la recevabilité des plaintes sont tout à fait contraires à l’esprit même de la modification constitutionnelle du 28 février 2005.
Adoption rapide par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale de la résolution tendant à la création d’une Commission d’enquête parlementaire sur « l’utilisation du Chlordécone et autres pesticides aux Antilles françaises et ses conséquences sur l’environnement et la santé publique ».

12. Mise en place d’un plan de communication – Transparence

Constats

Dans son art. 5, la Charte de l’Environnement stipule : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »
En matière d’environnement, l’information des citoyens est donc un droit constitutionnel qui, cependant, continue à être bafoué aux Antilles. Rétention voire même dissimulation d’information par les services déconcentrés de l’Etat. De telles pratiques sont à bannir définitivement.
Ces pratiques ont pour conséquence d’instaurer un climat de suspicion et sont, en absence d’un discours clair et responsable, à l’origine d’une confusion médiatique et du climat d’inquiétude qui règne au sein de la population.  
La révélation de la vérité par les médias nationaux a renforcé ce malaise aux Antilles. Les moyens mis en œuvre par ces rédactions pour mener les investigations sont sans commune mesure sur ce qui s’est passé à ce jour dans nos pays. Du coup, la population qui découvre certaines informations est persuadée qu’on lui avait caché la vérité… ce qui est en partie vrai !
80% des Guadeloupéens se déclarent inquiets selon un sondage récent (sondage QualiStat du 1 au 6 octobre 2007).

Propositions

Faire respecter le droit à l’information qui est un droit constitutionnel par les services de l’Etat.
Transparence. Respecter le pluralisme des opinions. Arrêter les pratiques mesquines du zapping médiatique, notamment sur les chaînes publiques qui ont une mission de service publique.
Donner aux journalistes antillais les moyens des investigations quand une catastrophe de cette ampleur survient.
Mettre un plan de communication aussi bien pour les populations concernées que pour rectifier les dérapages outranciers constatés dans l’Hexagone sur le sujet.  

Note des auteurs
Certains ont estimé, (à tort ou à raison ?) que cette débauche d’information venant de l’Hexagone était préjudiciable à l’image de la Martinique. N’est-il pas indécent de parler d’image touristique quand le pays entier est confronté à une crise sanitaire grave ? A-t-on donné la parole aux victimes ?
L’image touristique de la Martinique risque d’être ternie. Ne nous trompons pas de sujet. Le tourisme ne doit pas servir de bouc émissaire. Ce n’est pas à cause de la contamination au Chlordécone que les touristes boudent notre destination. Pourquoi la clientèle touristique est-elle composée de  85% de Français ? Pourquoi la croisière a-t-elle désertée la Martinique quand les autres îles de la Caraïbe voient une augmentation de leur fréquentation ? Le moment venu, il faudra nécessairement aborder quelques questions sur l’avenir de notre tourisme. Pas au détour d’une crise sanitaire grave.