Bondamanjak

Chronique d’une asphyxie programmée

Aujourd’hui, quels sont les besoins de notre Guadeloupe ? Je crois en la réalisation d’hommes en phase avec eux-mêmes, leurs potentiels, leurs profils respectifs. « Péyi la bizwen doktè, bizwen polis, bizwen jounalis, ékriven, zabelbok mè i bizwen awtis osi, i bizwen poézi, i bizwen vwè koulè, tan mizik… vwè mizik ay lôt bô osi. Les garants du
développement économico culturel de la Guadeloupe ont tellement confondu « la culture » avec « le divertissement » qu’il est très rare de déceler chez un jeune guadeloupéen l’envie de devenir un musicologue, un Docteur en musique ou un artiste peintre sorti de l’École des Beaux Arts.

L’accès à la culture artistique doit être multiplié afin de porter haut, un drapeau permettant aux jeunes de vivre de leur Art. On a su promouvoir un ethnocide, un mode de vie et une éducation où l’artiste ne serait pas un intellectuel et ne vivrait pas de son art. Un concept a vu le jour selon lequel le vaudeville
basique serait préférable à de réelles démarches artistiques. Une pensée partagée qui témoigne de l’inculturation et de l’intelligence de certaines autorités « Fôw ba pèp la sa pèp la enmé pou pèp la enméw » : cette ritournelle nous fait encore tant de mal… La musique savante est aujourd’hui rebattue par le show, le superficiel, la légèreté d’un
néo-doudouisme local qui cohabite très aisément avec le néo-colonialisme de fait. Nos jeunes lycéens connaîtront-ils des artistes authentiques comme Gérard Lockel, Alain Jean-Marie ou encore Guy Tirolien ? En revanche, ils seront incollables sur Vibz Cartel, Rihanna ou Beyonce…

L’acculturation de masse est en train de réaliser de violentes performances dans l’inconscient collectif. Il serait, là encore, trop facile de parler de phénomène mondial, car justement notre caractère insulaire pourrait faciliter un protectionnisme conscient, à la place d’un déni de décisions orientées dans le sens du progrès. « Piti péyi pa vlé di
piti lespri. » Il s’agit là de Rêve, d’Espoir dont il est question, d’épanouissement, de développement Artistique. À l’Education Nationale, les enseignements artistiques sont de plus en plus fragilisés par un contexte administratif où l’objectif est « au mieux » – mais « au pire »-, la rentabilité, la gestion financière d’individus et non la construction
d’un peuple et l’instruction d’une jeunesse.

Il conviendra à chacun d’avoir son avis : le mien est dit. En Guadeloupe, la promotion de disciplines artistiques à l’exemple des arts graphiques ou la musique ne pourra jamais se faire –malheureusement-, sans une structure extra scolaire complémentaire. Aucun chef d’établissement de collège ne
pourra décider de fournir une heure supplémentaire d’enseignement artistique quel que soit le nombre d’élèves demandeurs. Il ne recevra pas les ordres nécessaires. Cette heure pourra être définie au profit de n’importe quelle autre discipline dite majeure, car la politique des autorités est transparente à ce niveau, « les disciplines artistiques ne
constituent pas une priorité pour l’éducation, l’instruction ou la formation. » En conséquences, aucune orientation ne se fera vers des classes à spécialités artistiques compte tenu des préjugés entretenus pas les parents de ces élèves, sans une nouvelle dynamique de changement autour de l’Art, à l’issue du collège.

Les manœuvres de fermeture des classes « spécialisées » procèdent de la disparition des options artistiques au lycée, ce qui implique l’absence de jeunes artistes ou d’intellectuels guadeloupéens vers des études artistiques dans le supérieur. Les autorités Académiques peuvent
fournir les statistiques… Nous aurons ainsi, de moins en moins de Guy Tirolien, quasiment plus, d’ Emilien Antile, plus de Michel Rovelas et probablement plus de Felix Proto non plus. Nous n’aurons certainement pas de Miles Davis, de Fela Kuti, d’Emiliano Salvador, de Bob Marley non plus.
WOULO BRAVO
Le propre de l’espoir est qu’il s’auto nourri. La perspective « à la mode » est la médecine, le droit ou la gestion des affaires. Nous aurons de plus en plus de Hyacinthe Bastaraud, d’historiens, d’avocats, de bâtonniers et de professeurs en médecine… En espérant que mon ironie puisse atténuer mon inquiétude un bref instant… Le sport vit probablement les mêmes frustrations, mais il est vrai que c’est plaisant de se réaliser comme le père du futur Messi ou la mère de la prochaine « Venus ou Serena Williams ».
Le fantasme pécuniaire aura raison de tout autre considération.
Pour ce qui est de l’Art : « Mizisyen sé vagabon, Awtis sé pa on métyé. Awtis ka mô
fen… » Les constats sont là, et les conséquences également.

– de moins en moins d’instruction et d’Éducation à l’art, -de moins en moins de respect et de promotion envers la musique savante.
– de plus en plus d’imposteurs tout arts confondus. -confusion des genres et des styles
(vedette, star ou Artiste ?) : le concept de festival est si galvaudé que l’appellation de «
fêtes » publiques serait bien plus honnête.
– Les médias entretiennent leur popularité avec notre chère ritournelle ( fow ba pèp la sa pèp la enmé… ) ce qui en rajoute aux impostures.
Le sport, la sensibilisation et l’éducation à l’Art sont les sésames de tout développement chez une jeunesse. Hélas rien n’est fait ici pour la promotion de l’élite et à défaut d’une jeunesse riche de cultures.

Michel MADO
Artiste musicien , Militant culturel guadeloupéen
Professeur d’Education Musicale