Par Louis-Georges Tin
J’aimerais bien que les gens qui ont un minimum de conscience arrêtent ces éléments de langage honteux : non Colbert n’avait pas « une part d’ombre » ; Colbert a commis deux crimes contre l’humanité, le Code noir et la Compagnie des Indes.
Ce ne sont pas des ombres ou des fantômes, ce sont des milliers, des millions d’êtres humains dont les vies ont été saccagées et anéanties, à cause de Colbert et de la traite.
Ces formules sont des euphémismes inacceptables, qui tendent en fait vers une forme de révisionnisme, voire de négationnisme.
Hitler n’avait pas « une part d’ombre ». Pol Pot n’avait pas « une part d’ombre ». Ils ont commis des crimes contre l’humanité.
Cela n’a rien à voir avec l’ombre, concept brumeux et poétique, qui vise à dissimuler l’horreur sous la gaze d’un beau langage. Mais non, le crime contre l’humanité, ce n’est pas l’ombre, c’est la sauvagerie, la cruauté, le sang, la boucherie, la monstruosité.
Dans la cale des navires négriers, les Africains déportés n’étaient pas à l’ombre, il étaient en enfer. Sous les ors de Versailles, Colbert n’était pas à l’ombre, il était en pleine lumière. Il n’y a eu aucune ombre dans cette affaire. Tout a été fait publiquement. A la vue de tout le monde.
En réalité, la seule ombre dans cette histoire est l’ombre portée par la République, qui a cherché longtemps, et cherche encore à bien des égards à dissimuler la réalité et à laisser dans l’ombre les victimes et les faits, comme les réparations payées aux criminels en 1848, le travail forcé jusqu’en 1946, la rançon extorquée à Haïti, le rôle de la Banque de France dans la traite, et tout le reste de l’Histoire coloniale, la Guerre du Cameroun, dont personne ne parle, le rôle de la France au Rwanda, tabou national, l’impact des essais nucléaires dans le Sahara, la guerre du Biafra, etc.
En ce sens, ce n’est pas Colbert qui avait une part d’ombre, c’est nous, Français d’aujourd’hui qui vivons dans l’ombre de nos crimes.