Alors que le ministre tente d'apaiser la polémique, ils continuent à dénoncer la loi instaurant le «rôle positif» de la France coloniale. Aux Rendez-Vous de l'histoire se retrouvent à Blois, le temps de conférences, débats, projections et forums, plus de 20 000 passionnés d'histoire essentiellement des enseignants du secondaire et du supérieur. Et plusieurs centaines de spécialistes, chercheurs, universitaires. Le lieu idéal pour faire entendre la protestation contre l'article 4 de la loi du 23 février 2005, imposant que «les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif» de la colonisation. Les 57 000 profs d'histoire français sont en effet en première ligne pour refuser, sur le fond (on ne les voit pas tresser des louanges à l'ancien empire français) comme sur la forme (on ne les voit pas non plus se laisser imposer un quelconque jugement de valeur dans leurs programmes), l'application d'un tel texte législatif. Pétition. Après l'adoption de la loi, un collectif d'historiens s'était d'ailleurs mis en place, sous l'impulsion de Claude Liauzu, professeur émérite à l'université Paris-VII, pour faire circuler une pétition, sonner l'alarme et mobiliser dans les milieux tant enseignants que journalistiques. On le retrouvait samedi à Blois, à l'origine d'un appel visant à «informer les enseignants et le public de la gravité du problème» et demandant au ministre de l'Education nationale de «se prononcer et d'intervenir au sein du gouvernement pour faire abroger l'article 4». A midi, samedi, une trentaine d'historiens représentant les organisations signataires de l'appel les Historiens contre la loi, la Ligue des droits de l'homme, la Ligue de l'enseignement, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), le Syndicat national des enseignements du second degré (Snes), la Fédération syndicale unitaire (FSU), SUD éducation se sont présentés devant la Halle aux grains, centre névralgique des Rendez-Vous de l'histoire, pour le lire et le remettre aux organisateurs. Ambiance bon enfant, références sérieuses on est loin des manifestations plus virulentes des Indigènes de la République, voire des fans de Dieudonné , mais détermination sans faille. La mobilisation semble d'ores et déjà rendre cet article de loi inapplicable dans la pratique de l'enseignement de l'histoire. Ce qu'a entériné Gilles de Robien dès hier en déclarant «de façon claire et simple» dans le Journal du dimanche : «L'article 4 de la loi du 23 février 2005 n'implique aucune modification des programmes actuels d'histoire qui permettent d'aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et tous ses éclairages.» Le ministre de l'Education nationale convient de plus de ne «pas banaliser ni nier» la colonisation et la décolonisation, s'inscrivant ainsi dans le cadre de la loi Taubira de mai 2001, qui mentionnait explicitement la nécessité d'une place dans les manuels scolaires pour le problème de l'esclavage et la question coloniale. Et se défend, enfin, de vouloir imposer «l'enseignement d'une histoire officielle». Présent à Blois, Dominique Bornes, ancien doyen de l'inspection générale de l'Education nationale, décrypte ainsi la lettre ministérielle : «Le ministre dit une chose forte : on n'a pas à dire aux professeurs d'histoire ce qu'ils ont à faire.» C'est aussi ce qu'on peut nommer un habile déminage. Samedi après-midi, l'un des débats des Rendez-Vous, pris d'assaut, portait précisément sur «la France malade de son passé colonial», éclairant de façon plus large les enjeux de la manifestation précédente. Deux historiens, Pap Ndiaye, qui vient de diriger le numéro spécial de la revue l'Histoire «la Colonisation en procès», et Françoise Vergès, vice-présidente du Comité pour la mémoire de l'esclavage, y dialoguaient avec une salle très remontée. Tous ont signalé combien la France de 2005 était rattrapée par la question du passé colonial de la République et, au-delà, de son passé esclavagiste. Et comment ce retour d'un refoulé historique nourrit au présent des identités traumatiques concurrentes. Etre noir en France, être beur, c'est de plus en plus se proclamer victime de l'Histoire, descendant d'esclaves, de déportés africains, de colonisés, d'immigrés. Héritage victimaire. La ligne de fracture mémorielle recouvre ainsi une ligne de fracture sociale. Les plaies d'une mémoire coloniale meurtrie (qui pouvait être bien souvent perdue mais se reconstitue rapidement, même de façon mythique) sont comme réactivées par le contexte de la dureté économique, sociale, politique, pour les jeunes issus de l'immigration. Ce combat est mené au nom de l'héritage victimaire, replacé en tant que mythe fondateur de l'identité communautaire, et vient réclamer des comptes à la République. Dès lors, face à cette demande de plus en plus pressante, réparer la faute coloniale voire esclavagiste , ce n'est sûrement pas en reconnaître le «rôle positif». Source : Antoine de BAECQUE/Liberation.fr