L’expérience historique nous enseigne que bien des viols de règles démocratiques ont justement pris pour prétexte facile l’ « urgence », d’ailleurs réelle ou supposée…
LE MEPRIS DES REGLES DEMOCRATIQUES
La création de l’E.P.L.F. –présentée comme capitale et d’une extrême urgence- n’a, paradoxalement, été inscrite à l’ordre du jour qu’en cours de la plénière du mardi 27 avril et les élus n’ont reçu le rapport qu’à ce moment là !
La veille (le lundi 26 avril), en Commission Permanente, le Président du Conseil Régional avait fait voter vers 16 heures, une prétendue « procédure d’urgence » pour imposer cette question dans la plénière du lendemain.
Nous avons démontré, tant en Commission Permanente qu’en Plénière, qu’une question de cette importance ne pouvait être tranchée par la plénière à la sauvette, d’autant que le rapport ne se bornait pas à donner un avis de principe sur la création de l’établissement public foncier local mais qu’il ajoutait : « Cet établissement pourrait avoir vocation également pour la maîtrise du foncier s’agissant des espaces d’aménagement touristiques et des infrastructures de transports. » « Pourrait… » Rien donc de sérieusement pensé !
En effet, un minimum de transparence et de délai de transmission des rapports s’imposent dans les prises de décision d’une institution, surtout de l’importance du Conseil Régional. Il ne s’agit pas là d’une coquetterie procédurière mais de règles élémentaires visant à respecter l’ensemble des élus– donc celles et ceux qu’ils représentent- et de prévenir les pratiques autocratiques.
Or, dans cette affaire, nous avons mis en évidence plusieurs manquements graves :
1. En cas de procédure d’urgence, le délai prévu ne peut être « inférieur à un jour franc » (JO du 13 mai 2009). Il a été réduit à quelques heures !
2. La procédure d’urgence répond à des critères précis définis par le Règlement Intérieur du Conseil Régional lui-même, adopté lors de la séance plénière : « En cas d’urgence constatée par la Commission Permanente, ce délai (il s’agit du délai de douze jours pour une convocation ordinaire) peut être ramené à cinq jours. » Cinq jours donc et non 12 heures !
3. Enfin, l’élargissement des compétences de l’EPFL aux « espaces d’aménagement touristiques » exigeait, avant toute prise de décision, un minimum d’études… D’ailleurs, pourquoi les « espaces touristiques » et pas, par exemple, le foncier industriel ?
Au total, comme chacun aura pu l’observer, la majorité néo-ppm a voté une décision, sans débat sur le fond. C’est donc de cette manière que sont traitées les questions « d’une importance considérable » pour la Martinique… Dès lors, on peut légitimement commencer à s’inquiéter pour la suite !
Le groupe des Patriotes et Sympathisants a, pour sa part, donné un avis négatif pour ce qui n’était pas une procédure d’urgence mais une procédure de précipitation démagogique ainsi que pour l’extension, à cette étape, des compétences de l’EPFL. Par contre, comme lors de la Commission Permanente, il a émis un vote positif pour la création de l’EPFL.
L’ART DE LA DUPLICITE
Le coup de force démontré, il convient maintenant de s’interroger sur l’argument de l’urgence, poussé par l’actuel président du Conseil Régional à la dramatisation théâtrale.
L’analyse de l’historique de la création de l’Etablissement Public Foncier Local met clairement en évidence que l’ancien maire de la capitale n’a pas toujours perçu cette urgence et que l’on pourrait peut être lui reprocher d’avoir une responsabilité dans les retards pris dans la mise en place de cette structure foncière.
1. En effet, l’article L.324-2 du Code de l’Urbanisme stipule :
« L’établissement public foncier est créé par le préfet au vu des délibérations concordantes des organes délibérants d’établissements publics de coopération intercommunale, qui sont compétents en matière de schéma de cohérence territoriale, de réalisation de zone d’aménagement concerté et de programme local d’habitat, ainsi que, le cas échéant, de conseils municipaux de communes non membres de l’un de ces établissements. […]. La Région et le Département peuvent participer à la création de l’établissement public et y adhérer. »
Il ressort donc de ce texte :
a) Qu’il revient prioritairement aux « établissements publics de coopération intercommunale » -comme la CACEM– de prendre l’initiative de la création de l4 EPFL.
b) Que la Région et le Département ne constituent que des options secondaires en matière d’initiatives sur ce sujet.
Pourquoi donc l’actuel président du Conseil Régional, président de la CACEM de 2001 à 2008, n’a-t-il pas, alors, pris l’initiative de créer cet établissement public foncier local comme l’y autorisait la loi, dès le 13 décembre 2000 ?
Les questions du foncier et du logement social étaient-elles moins urgentes qu’aujourd’hui ? L’audace lui faisait-elle défaut ?
2. Face à l’immobilisme de la CACEM –dirigée alors par l’actuel président de Région- et à la demande de conseillers généraux particulièrement préoccupés par ces questions, le Conseil Général prenait, en 2007, l’initiative de la création de l’EPFL.
°Le 25 octobre 2007, la Commission Permanente décidait de lancer une étude juridique, organisationnelle et économique pour la mise en place effective de cet établissement.
°En novembre 2007, le président du Conseil Général procédait à la saisine des collectivités territoriales et des intercommunalités afin qu’elles délibèrent sur l’EPFL. En effet, l’article 324-2 du Code de l’Urbanisme précise :
« L’Etablissement Public Foncier est créé par le préfet au vu des délibérations concordantes des organes délibérantes » de ces institutions.
Pourquoi donc l’actuel président de Région, alors président de la CACEM et destinataire de la saisine du Conseil Général, n’a-t-il pas fait délibérer la CACEM sur son adhésion à l’EPFL ?
Il a fallu attendre le changement de présidence à la tête de la CACEM pour que celle-ci délibère enfin le 23 octobre 2009 !
3. La CAESM (Espace Sud) a voté son adhésion à l’EPFL le 10 décembre 2009. Là aussi, il a fallu attendre le départ du président ppm de cette structure !
La CNNM ne disposant pas des compétences nécessaires à l’adhésion des EPCI, les communes du nord-atlantique et du nord-caraîbe doivent adhérer directement à l’établissement public foncier.
A ce jour, seuls le Carbet (sous Mouriesse, le 23 novembre 2007), Grand-Rivière (le 30 avril 2008), Saint-Pierre (le 17 juillet 2008), et Basse-Pointe (le 25 février 2010) ont pris une délibération pour adhérer à l’EPFL…
Il est, en conséquence, curieux d’observer que des communes du Nord dont les maires sont membres de la majorité qui dirige la Région aujourd’hui (le Lorrain, Trinité, Morne-Rouge ou encore Bellefontaine) ne se sont toujours pas prononcées sur leur adhésion à l’EPFL !!!
L’urgence serait-elle à géographie variable ?
Au vu de cet historique, il s’avère incontestable que l’actuel président de Région et la majorité qui le soutient ne semblent pas être les mieux placés pour dispenser des leçons d’urgence sur la création d’un Etablissement Public Foncier Local.
Leur attitude relève davantage de postures médiatiques visant à surfer sur la détresse des familles martiniquaises en demande de logement que d’une volonté politique constante et cohérente.
En outre, la politique de la municipalité de Fort-de-France favorisant la spéculation immobilière pour attirer une classe moyenne (en vain d’ailleurs, puisque des milliers de foyalais ont quitté la capitale depuis 2001) n’a pas contribué au développement du logement social.
De notre point de vue, un débat sur les enjeux essentiels du logement et encore plus du foncier exige moins de légèreté et de démagogie, davantage de sérieux, de cohérence et de souci de l’intérêt général.
Fort-de-France, le 30 avril 2010
Francis CAROLE