La Martinique est un pays de croyances dans des forces occultes. On croit au quimbois, au dorlis, à lantékri (l’Anté-Christ). Lanmen-nwè, Ti-choun, Ti-mons, chouval twa-pat. On craint les engagés, qui eux-mêmes redoutent le bois mondong, les diablesses, les soucougnans. Non, ça c’est en Guadeloupe… Des offrandes aux esprits dans les quatre-croisées, tout ça a terrorisé des générations de martiniquais comme la prononciation du seul de nom des maîtres comme Gran-zong, le Père L…, Tout ça a hanté les mémoires et pour certains hantent encore l’esprit et la vie de tous les jours.
Bref.
Seulement, quand toute votre vie est marquée, conditionnée, anba lopsion de ces croyances, vous adoptez des comportements, vous faites des choses pour vous protéger et juguler la peur.
On en vient alors à croire que le talisman cousu dans un carré de toile rouge et épinglé au slip ou à la culotte écartera les esprits malins, que les ciseaux sous l’oreiller ou la culotte noire aussi au même endroit vont empêcher toute fornication dorlistique à l’insu de la dame couchée dans le lit, que l’eau bénite aspergée régulièrement dans la maison et surtout le vendredi avec une attention spéciale pour le Vendredi Saint chassera les démons, que mettre ses vêtements à l’envers, marcher au milieu de la chaussée plutôt que sur le trottoir lorsqu’au mitan de la nuit vous traversez un pont, protègent, que le plant de « qui vivra verra » vert-jaune à l’entrée de la maison près de la barrière barre la route au Malin. Et aussi, que le kwi de sable ou de gros sel, la calebasse de lentilles vont faire que l’esprit, quel qu’il soit, passera sa nuit sur le pas de votre porte à compter les graines et que la lumière du matin le renverra dans les limbes…
Et le cerveau ne s’arrête pas là. L’instinct de survie, la résilience, la force de vouloir vivre et survivre à des choses dont la compréhension échappe, terrorise, conduit le cerveau à participer à sa propre protection en utilisant des mécanismes comme le refus, la négation.
Ainsi, il était commun de dire aux enfants : si vous rencontrez quelque chose d’anormal sur votre route, la nuit, dans le noir, tournez la tête, regardez ailleurs, faites comme si de rien n’était. Si vous prenez une odeur, faites comme si de rien n’était (et respirez votre main après l’avoir passée sous votre bras), si vous entendez quelqu’un pleurer, un bébé par exemple, la nuit sous un pont ou dans un bosquet près de la maison, faites comme si de rien n’était. Si on appelle votre nom la nuit, faites comme si de rien n’était.
Et s’est développé et répandu la croyance (encore) que le fait d’agir comme ça vous protégerait. Le fait de nier, de ne pas vouloir savoir, ne pas vouloir croire qu’existe quelque chose qui vous dépasse, vous protègera, donc faites comme si de rien n’était.
Et, ce samedi matin, en ce premier jour du confinement décidé par M. Stanislas i Cazelles, préfet, surnommé Tet-pétank même si Tet–youl c’est mieux, ça fait local pour quelqu’un qui s’adresse quelque fois à nous en créole (vous remarquerez qu’on n’a pas écrit Tet-kalé comme à Haïti), tout le monde a fait comme si de rien n’était. Nou fò an sa !
On avait l’impression qu’il n’y avait pas de confinement, qu’il n’y avait pas d’épidémie en Martinique, que le corps médical, enfin, celui qui est sensé, n’appelait pas à la prudence et à la responsabilité individuelle pour sortir de la crise sanitaire.
C’était un samedi comme un autre dans cette douce France tropicale où si c’était nous que la montagne avait pété, on n’aurait pas eu besoin de solidarité avec les pays de la Caraïbe, ils sont plus pauvres que nous, et puis, Papa l’Europe et Manman la France veillent sur nous et pourvoiront ad vitam aeternam à nos besoins.
A part les quelques commerces non essentiels restants (vu qu’ils y en a de moins en moins depuis le premier confinement), les pauvres, qui étaient fermés, la circulation était aussi intense, les supermarchés aussi achalandés, les fous furieux toujours aussi nombreux à zigzaguer à toute vitesse sur le croupion d’autoroute que nous avons.
Faut croitre que notre capacité de résilience est terriblement élevé.
Pour le Carnaval, on a fait comme si de rien n’était,
Pour le virus, on fait comme si de rien n’était,
Pour la vaccination, faisons comme si de rien n’était,
Pour le confinement, continuons de faire comme si de rien n’était, puisque nier le problème le résoudra.
Photo : un ti tjenbwa