Propos recueillis par Gerry L’Etang. Dans l’entretien ci-après, le dramaturge martiniquais Daniel Boukman s’explique sur l’intérêt et le sens de sa pièce Liwa Lajan, adaptation créole du Plutus de l’auteur grec Aristophane.
Pourquoi une adaptation en créole du Plutus d’Aristophane ?
C’est au cours de mes études universitaires à la Sorbonne, dans les années cinquante, que j’ai eu à découvrir le théâtre d’Aristophane, cet auteur grec (du 5ème siècle avant JC) de nombreuses comédies dont l’une étudiée alors – La Paix – avait une résonance particulière au moment où l’Etat français et son armée exerçaient en Algérie leur criminelle répression coloniale. Et c’est bien plus tard – au cours de l’année 2012 – que j’ai renoué avec la traduction en français du répertoire de cet auteur dont, dans sa vision satirique de la société grecque antique, je retrouvais comme une parenté avec la conception que j’ai de la fonction du théâtre d’ici et maintenant.
Quelle est l’originalité du Liwa Lajan de Daniel Boukman par rapport au Plutus d’Aristophane ?
La thématique est fondamentalement la même : le pouvoir de l’argent dont la puissance, aujourd’hui comme au temps d’autrefois, étend son règne exponentiel ; mais alors qu’à la fin du Plutus (comme le précise la dernière didascalie) « tout le monde sort joyeusement et en bon ordre », dans Liwa Lajan, il en va tout autrement : « les gendarmes chargent ; sirènes de police, gaz lacrymogène, flash-ball, etc. ». Par ailleurs, dans le Plutus, interviennent, penauds, des personnages de la mythologie grecque (Hermès, un prêtre de Zeus) ; dans Liwa Lajan, nulle présence ni allusion divine.
Quelle est la singularité de l’écriture créole mobilisée dans Liwa Lajan ?
La langue choisie pour l’adaptation du Plutus est le créole martiniquais avec la volonté d’en exclure toute tentation populiste… Comme toujours lorsque je compose poèmes ou pièces de théâtre, je soumets la chose écrite au « gueuloire » (comme disait Gustave Flaubert) afin de vérifier la musicalité des mots, des phrases… Et puis j’ai incrusté dans les dialogues tout un jeu de proverbes puisés dans la culture populaire et qui constituent comme autant de clins d’œil destinés au public si tant est qu’un jour, Liwa Lajan soit mis en scène… Enfin, en arrière-fond de la comédie, il y a une allusion critique à une certaine grève, celle de Février 2009.
En quoi le thème du pouvoir de l’argent et des abus de ce pouvoir se décline-t-il de façon singulière dans notre société créole ?
Au cœur de toutes les strates de la société martiniquaise, telle une pieuvre, l’argent étend ses tentacules et ce d’autant plus que dans un pays comme le nôtre, rares sont ceux qui échappent aux tyrannies de l’hyper consommation dont les manettes principales se trouvent aux mains de puissances plongeant leurs racines nourricières dans des fortunes ancestrales accumulées aux temps de l’esclavage, et qui, au-delà, jusqu’à nos jours, fleurissent et fructifient.
Militez-vous pour une société sans argent ?
Ecrire une pièce adaptée du Plutus, serait un acte de bien piètre efficacité militante si l’on se met à croire que le public au sortir d’une représentation de Liwa Lajan sera prêt à se protéger de l’emprise tyrannique de l’argent mais – peut-être – cette comédie contribue-t-elle à allumer de vigilantes petite lampes… et puis, d’avoir écrit Liwa Lajan contribue quelque part à renforcer en moi la volonté de résister aux chants des sirènes de l’argent-roi.
Propos recueillis par Gerry L’Etang
* Le mardi 28 janvier 2014, 18h30, à la Bibliothèque Universitaire (campus de Schœlcher, Martinique), la pièce Liwa Lajan sera présentée par l’auteur et par Georges-Henri Léotin, préfacier de l’ouvrage. A cette occasion, une lecture d’extraits sera réalisée par le Poutji I Pa Téyat.
* Liwa Lajan (L’argent-roi), Adaptation en langue créole de Martinique du Plutus d’Aristophane, de Daniel Boukman, ISBN : 978-2-336-00871-4, Paris, L’Harmattan, 2013, 58 p., 10 €.