Comment accéder à la responsabilisation sans sortir du cadre de l’assimilation avec l’article 73- même rénové- choisi par le néo-PPM ? Il faut donc une évolution statutaire et institutionnelle comme l’a proposé le Congrès des élus les 18 décembre 2008 et 18 juin 2009 dans le cadre de l’article 74. Personne n’a voulu d’évolution statutaire « « en soi ». Tout le reste n’est que supercherie.
De plus, la question posée le 24 janvier était bien celle de la seule fusion du conseil régional et du conseil général. On convient que cela ne peut constituer le pouvoir martiniquais nous permettant d’accéder à la responsabilité. Il est bien temps de s’en rendre compte !
Comme il faut donner le change sur la reculade historique du PPM sur la question nationale le 10 janvier où il s’est retrouvé avec les pires assimilationnistes à agiter l’épouvantail de la perte des acquis sociaux, Didier Laguerre compense cette trahison par une déclaration de principe grandiloquente sur l’autonomie : « Je crois que c’est la tâche de notre génération que de sortir de la mise sous tutelle qui relève de la gestion assistée ou de l’indifférenciation malsaine avec la France. Derrière l’exigence de la responsabilisation, il y a une conviction fondamentale : l’existence d’un peuple et d’une nation martiniquaise. Il s’agit d’actionner le seul ingrédient qui n’a jamais été de mise dans tous les plans de développement que l’on nous a assénés depuis 1946. Cet ingrédient c’est la responsabilisation. La prise en main de notre destin dans le monde, cela est fondamental », énonce-t-il. Plus autonomiste que moi tu meurs.
Quel anticolonialiste ne souscrirait pas à ces orientations ?
Sortir de la gestion assistée ou de l’indifférenciation ? Mais cela consistait à obtenir le pouvoir permanent de légiférer et réglementer dans un nombre déterminé de domaines tel que le permettait l’article 74. Et donc mettre en œuvre la fameuse « différenciation ». Ce que ne peuvent permettre les très limitées, aléatoires et ponctuelles habilitations législatives prévues théoriquement par l’article 73 et singulièrement verrouillées par sa loi organique du 21 février 2007.
La conviction qu’il existe un peuple et une nation martiniquaise ? Mais le PPM a refusé de voter sur l’existence d’une nation martiniquaise lors d‘un des congrès des élus ayant précédé la consultation du 7 décembre 2003. Seul Renaud De Grandmaison l’a fait. Il ne sert à rien de crier « peuple » et nation martiniquaise » en sautant comme un cabri et de courir se réfugier dans la grotte de l’assimilation chaque fois qu’il faut faire un choix politique conséquent.
La prise en main de notre destin dans le monde ? Mais comment peut-on faire croire que cela est possible dans le corset étriqué de l’article 73 même avec l’érection d’une Collectivité unique.
Didier Laguerre se rend bien compte de la contradiction insoutenable dans laquelle il se débat comme un diable dans un bénitier. Alors il tente de diaboliser la position des partisans de l’autonomie dans le cadre de l’article 74.
L’épouvantail réactionnaire du « séparatisme »
Il lance un écran de fumée autonomiste : « La responsabilisation ne peut plus se poser en termes de rupture ou de séparation d’avec la France. Elle se pose en termes de différenciation et d’interdépendance. Il s’agit donc pour nous de construire de manière autonome et créatrice des liens de partenariat véritable avec la France, avec la Caraïbe, avec l’Europe, avec le monde. Une Martinique en processus de responsabilisation peut décider, si elle le désire, de confirmer son adhésion au pacte républicain français, comme elle peut choisir d’adhérer en plus à une organisation latino-américaine, ou caribéenne. Notre accession à la différenciation et à la responsabilisation ne se pose plus qu’en termes de rupture et d’opposition à la France, voire de repli sur soi, comme le cultivent nos opposants ».
Il s’agit du vieux discours de peur qui a consisté à faire croire que l’autonomie du 74 conduirait à la « rupture », à la « séparation d’avec la France », au « repli sur soi », etc. L’éternelle assimilation de l’autonomie à l’indépendance de tous les réactionnaires depuis 1960. L’accusation de « séparatisme » fait partie du bagage idéologique de la droite colonialiste depuis un certain préfet Grollemund.
Jamais il n’a été question de séparation. Même Sarkozy s’est vu contraint de le rappeler à plusieurs reprises.
Après avoir qualifié les positions des opposants aux néo-PPM de « revanchardes », le Secrétaire général du PPM avance l’actuelle démarche du PPM sur la Collectivité unique: « Je persiste à penser que l’auto-définition de cette nouvelle collectivité, « suis generis, à statut particulier », reste une occasion historique majeure pour notre Martinique. Dans le respect de la décision du peuple martiniquais d’être régi par l’article 73 de la Constitution, je crois qu’il nous est possible d’ouvrir les fenêtres, d’appeler l’oxygène, et d’avancer sur la voie d’une responsabilisation optimale, par l’extension des moyens constitutionnels qui sont mis à notre disposition », lance-t-il.
Rendre extensible la constitution française ? Mission impossible
Il veut faire croire que, soi-disant « dans le respect de la décision du peuple martiniquais d’être régi par l’article 73 de la Constitution », on peut « avancer sur la voie de la responsabilisation optimale ». C’est quoi d’abord « la responsabilisation optimale » sinon un brouillard de mots comme l’utilise fréquemment le PPM de l’ère Letchimy. Quelles compétences ? Quelles habilitations législatives ? Sarkozy à l’Atrium le 18 février 2010 a précisé dans le droit fil de l’article 73 : « dans certains domaines limités relevant normalement de la loi, de façon révocable et sous le contrôle permanent du Parlement ».
Et comment ? Par « l’extension des moyens constitutionnels qui sont mis à notre disposition », proclame-t-il. Comment croire et faire croire que l’on peut rendre la Constitution française jacobine « extensible » à l’occasion d’une loi organique pour « ouvrir les fenêtres » et faire un appel d’oxygène ? Chimère et illusion.
La vérité, c’est que la profondeur et la spécificité de la crise martiniquaise apparaissent de manière plus éclatante chaque jour (carburants, transporteurs, marché de la viande, fiscalité, délinquance juvénile, vieillissement accéléré de la population, etc) et il devient de plus en plus évident que le pays a besoin d’une autonomie véritable et non d’une prétendue « responsabilisation » au rabais pour en sortir vraiment et tracer les voies d’un nouvel avenir. A certains égards, le PPM nous a enfoncé dans une impasse dont nous devons nous dégager. S’en rendant compte, il veut en faire porter la responsabilité sur les partisans de l’article 74 qui refusent de cautionner le numéro de prestidigitation sur la prétendue extension des moyens constitutionnels et la « responsabilisation optimale ».
Didier Laguerre peut bien faire une lecture faussée et optimiste des scrutins du 10 janvier sur l’article 74 et du 24 janvier sur la Collectivité unique en affirmant mensongèrement : « Le peuple martiniquais a signifié une fin de non-recevoir à l’aventure et à la fragilisation de ses acquis, mais il n’a en rien renoncé à disposer d’une meilleure emprise sur les outils politiques qui vont forger sa destinée ». Ce qui a dominé la campagne du 10 janvier a bien été la peur de la perte des acquis et du largage attisée par le PPM et la droite assimilationniste.
La Collectivité unique votée par les Martiniquais le 24 janvier est une collectivité réunissant strictement les compétences de la Région et du Département. Ni plus, ni moins.
Les « outils institutionnels modernes, conformes aux mutations du monde et aux grandes ambitions que nous nourrissons tous pour notre pays » que propose l’alter ego de Serge Letchimy ne sont pas possibles dans le cadre de l’assimilation de l’article 73 pour laquelle il a combattu avec acharnement et hargne contre les vrais anticolonialistes. A l’heure du choix décisif il a reculé et préféré les calculs politiciens pour que son leader – pas fondamental- puisse s’emparer de la Direction de la Région.
Si on veut aller plus loin- et les communistes en sont des partisans résolus- il faut le dire clairement au peuple et expliquer comment y parvenir. Soit dans le cadre de l’actuel article 73 dit « rénové » avec des habilitations (lesquelles ?)- ce qui paraît difficile- soit en obtenant une hypothétique révision de la constitution française : un article 73 bis ou 74 bis. Le prochain Congrès des élus devrait clarifier les choix de chacun.
Responsabilisation et Assimilation sont incompatibles : plus de soixante ans de pratique, en dépit des adaptations et des rafistolages du statut départemental, l’ont amplement démontré. Discours autonomiste et choix de l’assimilation, le PPM est passé maître dans le double langage.
Michel Branchi