Face à ces difficultés, deux enjeux :
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- Quel modèle économique développer pour créer de la richesse et de l’emploi, en nous inscrivant résolument dans le système international, tout en mettant à profit notre environnement géographique ?
- Comment renforcer cette dynamique d’innovation et de compétitivité, sans faire passer en second plan les urgences du bien-être social de la population ?
Car, si dans notre berceau naturel, nous pouvons dénombrer des sources potentielles de création de richesse et d’emplois, le cadre communautaire, par ses contraintes induites, contrarie souvent le développement de ces opportunités. Je veux prendre quelques exemples :
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- Ainsi, avec ses 55 000 km2 d’espace maritime très faiblement exploitée, la Martinique bénéficie de ressources halieutiques qui peuvent encore permettre un développement raisonné de l’effort de pêche. Seulement, cette filière est menacée par les nouvelles règles de la Réforme de la Politique Commune de la Pêche.
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- La grande biodiversité et la richesse des écosystèmes font de la Martinique un « laboratoire » de premier plan pour les problématiques de gestion durable de la ressource, du développement des biotechnologies, ou celle de l’énergie renouvelable. Mais aujourd’hui, la complexité et la quasi-inaccessibilité des financements communautaires dans la recherche limitent ces potentialités.
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- Au moment où les nouvelles orientations en matière de réduction de gaz à effet de serre favorisent l’émergence de grandes routes maritimes, la Martinique risque pourtant, faute d’adaptation des politiques communautaires, de rester éloignée des principales Autoroutes de la Mer.
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- La mise en œuvre en l’état des politiques de transport ne permet pas de mettre à disposition les services d’intérêt économiques et généraux à des conditions de prix et de qualité comparables à ceux pratiqués sur le marché continental.
Ce panorama, non exhaustif, montre la nécessité de l’élaboration d’une stratégie intégrée, qui pourrait offrir à la Martinique des opportunités de diversification économique, dans le cadre d’échanges régionalisés et mondialisés. Une stratégie où l’équilibre entre l’adaptation des politiques générales de l’Union et l’adoption d’instruments spécifiques au bénéfice de l’ultrapériphérie demeure un enjeu fondamental. Une stratégie qui reste suspendue à de nombreuses mises en cohérence préalables au niveau communautaire, comme par exemple :
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- la négociation, dans le cadre des Accords commerciaux internationaux, de règles spécifiques permettant un commerce juste et mutuellement bénéfique avec les pays voisins.
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- le maintien d’un système d’aides équitable adossé à des leviers fiscaux et douaniers adaptés, compte tenu de la menace marginale face aux enjeux commerciaux astronomiques européens et internationaux.
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- un programme ambitieux de recherche à dimension internationale associant l’ensemble des pays de la Grande Caraïbe, et favorisant les transferts mutuels de savoirs-faires et de connaissance.
Alors face à de tels enjeux, je ne peux m’empêcher de m’éloigner un peu des habituelles doléances pour apporter une réflexion sur les fondements de nos rapports à l’Europe. Réflexion qui se situe dans le droit fil du Mémorandum signé à las Palmas le 7 mai dernier, exprimant les besoins d’une vision rénovée de la stratégie européenne vis-à-vis de l’ultrapériphérie.
Car j’ai la faiblesse de croire que les handicaps et les atouts changent de nature, de prégnance ou d’intensité selon que l’on interroge de manière fondamentale ou pas, le principe même dans lequel s’inscrit la relation des pays dits de la « périphérie » ou de « l’utra-périphérie », avec le centre européen.
Je crois, par exemple, que nos « handicaps » et nos « atouts » changeront du tout ou toute à mesure que l’Europe s’éloignera du modèle d’une puissance économique libérale pour se réinscrire dans une dynamique de relations humaines, justes et horizontales avec les diversités du monde. Ainsi, nous serons nous-mêmes en mesure de surmonter ces handicaps, ou mieux, de les vaincre purement et simplement.
Je parle de puissance économique, mais j’aurais pu à dessein, parler d’empire libéral. En fait, je crains toute forme de verticalité. Par leur verticalité, les « puissances » ont toujours suscité des dévitalisations dans leurs périphéries et de grands vides autour de leur emprise, alors que, je le sais, c’est l’ambition contraire que, tous ici, nous partageons.
Il s’agit pour nous d’aller vers un nouveau modèle de développement, où la croissance et le progrés riment avec création d’emplois et d’activités ; qui réduit les puissances aliénantes de la société de consommation ; qui augmente la production locale ; qui fonde les bases d’une culture économique à partir de nouvelles solidarités économiques.
L’Europe à laquelle je crois est faite de réseaux actifs et solidaires qui prolongent dans le monde un espace originel commun.
(C’est cette nouvelle conception qui peut nous permettre de manière pertinente de répondre à ce mal développement.)
Des réseaux qui se développeraient de manière autonome dans un respect des différences culturelles, identitaires, géographiques, lequel ne remettrait en cause ni la sécurité des droits qui sont acquis, ni la solidarité agissante de l’ensemble.
Ainsi le principe dérogatoire, ou même l’idée d’un handicap dû à l’éloignement, cèderait la place à une approche positive, différenciée, intelligente, des indispensables harmonisations. Notamment dans l’équilibre à rechercher entre le volet interne et le volet externe des politiques de l’Union.
Si je regarde ce que sont nos pays, je vois des espaces-frontières ! Je vois des vitalités inscrites dans des parts éloignées et différentes du monde ! Ce sont les Atouts.
J’y vois aussi des contraintes comme l’accessibilité, l’étroitesse du marché, l’éloignement, les risques naturels permanents qui réduisent l’égalité des chances.
Mais j’y vois aussi des risques remettant en cause des décennies de progrés si ces régions ne sont pas réinscrites comme Actrices du développement et de la diplomatie économique dans leurs zones respectives dans des domaines aussi déterminants que les Accords commerciaux internationaux (APE, Accord Andin), le changement climatique, la propriété génétique et moléculaires, la propriété des usages.
Ce sont des laboratoires possibles pour de nouvelles conceptions culturelles économiques et sociales, susceptibles de mobiliser des richesses civilisationnelles qui manquent encore au fonctionnement du monde et bien entendu à l’idée de l’Europe !
Cela met aussi en relief l’absurdité qu’il y aurait d’essayer de penser notre épanouissement européen en dehors d’un grand espace relationnel caribéen, qui dépasserait la seule dynamique économique, pour s’inscrire dans l’échange culturel systématique, dans la valorisation concertée de notre biodiversité, dans un tourisme réinventé autour de valeurs nobles, dans l’éducation partagée ou dans le dynamisme universitaire mis en interaction…
L’idée de l’Europe n’atteindra à sa pleine noblesse que si elle suscite autour d’elle, et en relation avec elle, des dynamiques civilisationnelles qui sont souvent latentes dans nos zones respectives ; et qui sont indéniablement des forces d’inspiration, de progrès et de développement.
C’est un appel à une nouvelle conception de la Territorialisation Economique qui s’impose à nous, comme un espace nouveau d’innovation et d’investissement.
C’est le vœu que je forme à l’entrée de ce forum : Pensons autrement. Pensons positivement.
Serge LETCHIMY.