Décidément on vit une époque formidable ; un avion se “crashe” sur les flancs d’une montagne en Haïti : 20 morts. Notre ministre des DOM TOM présente les condoléances de la Nation aux familles de deux gendarmes tués dans l’accident. Je suppose que le Ministre des Transports, entre deux engueulades avec les cheminots, a trouvé le temps d’un télégramme, déplorant la disparition tragique des deux membres d’équipage. Mais les 16 autres corps disloqués (dont deux bébés qu’on ne voulait pas séparer de leur mère) que leur réserve-t-on excepté la minute trente d’une brève au journal télévisé ?
Ça me fait penser: on a parlé à cette occasion d’expulsions d’haïtiens résidant illégalement sur le sol guyanais ; vous avez remarqué comment les autorités se sont évertuées à préciser que l’avion n’avait effectué qu’une courte escale technique à Saint Martin ; sûrement, à mon avis, pour éviter le sujet plus brûlant: la situation légale des haïtiens à Saint Martin (suite), ou l’autre sujet qui tue: pratiques mafieuses à Marigot (St Martin) avec voies de fait, démolition et incendies de baraques d’haïtiens. La totale, dans une île de riches qui veulent se débarrasser de leur valetaille, une fois le lave vaisselle installé dans la cuisine et la piscine creusée dans le jardin.
Ça me fait penser: en 1943, en Martinique, l’état français interdit le numéro trois de la revue Tropiques où Aimé Césaire adresse une lettre fulgurante à Mgr Varin de la Brunelière. C’est l’époque de l’amiral Robert, du capitaine Del, du pavillon Bougenot ; les jeunes, faites vous conter les péripéties de cette histoire, ça vaut qu’on y revienne.
En 1995, un agrégé de lettres, devenu Ministre de l’Education Nationale, prend la décision d’enlever des programmes de terminales littéraires deux livres d’Aimé Césaire : Cahier d’un retour au pays natal et Discours sur le colonialisme ; même pas une minute trente de protestations enflammées d’intellectuels, de politiques de tous bords, de citoyens écœurés par un tel arbitraire.
Non, il a fallu que l’espoir vienne du jury de Stockholm ; il a fallu que la fête vienne de l’université autonome de Santo Domingo ; il fallait que la chute vienne de Berthold Brecht : “Malheur aux peuples qui n’honorent pas leurs grands hommes !”
Marius Gottin