Elections : Plus de démocratie = Moins d’abstentions
Par Roger Anglo
Volet 1 – Enoncé des motifs
A considérer certains évènements passés et récents, et aussi les discours et les pratiques de bon nombre de nos élites politiques toutes tendances confondues, il est permis aujourd’hui de se demander si les valeurs qui fondent la République, les valeurs de liberté, d’égalité et de justice en particulier, sont toujours d’actualité. Il est permis de se demander si notre société qui ne cesse de s’émietter n’est pas en train tout bonnement, au grand dam des populations, de se transformer en ce que certains sociologues appellent une « dissociété », c’est-à-dire un conglomérat d’individus disloqués, avides de compétition avec leurs semblables, passionnés par la maximisation de leur profit individuel, déconnectés de toute entreprise collective. Une société en régression, dans laquelle la quête de coopération et la réussite collective sont supplantées par le repli sur soi et la rivalité directe entre les individus.
Certes la France ne ressemble en rien à ces pays malmenés, meurtris par des dictatures, ravagés par des luttes d’influence et cultivant des pratiques d’un autre âge. Démocratique, elle l’est assurément si l’on s’arrête à ces quelques comparaisons. Pour autant, la France peut-elle être considérée comme un modèle de démocratie ?
Les observateurs les plus avisés répondent sans ambages que la France, le pays des Droits de l’Homme et du citoyen, est une démocratie par apparence. Les Français eux-mêmes, depuis quelque temps déjà, se rangent de plus en plus nombreux à cette idée sur la foi de ce qu’ils endurent pratiquement au quotidien. Englués dans un système désormais dominé par la dictature de l’urgence, des émotions et de la finance, ils sentent confusément que les fondements démocratiques de leur République sont menacés et ils se prennent à souhaiter que leur pays la France retrouve la jouvence de la démocratie.
Ils sont de plus en plus nombreux à se convaincre que la démocratie à la française que la 5e République a voulue essentiellement représentative, donc indirecte, est loin de consacrer le gouvernement par le peuple, très loin de s’appuyer sur un parlement véritablement représentatif du peuple français, de la société française. Ils observent que le système aujourd’hui à l’œuvre alimente une certaine « démocratie républicaine » au service d’une minorité, d’une oligarchie ploutocratique en opposition à la souveraineté du peuple qui organise les dérives du pouvoir et l’impuissance dudit peuple.
Que sous le couvert de ce système la parole politique ne cesse de se discréditer, de se dissoudre dans la course aux petites phrases sans idées, assénées par les uns et les autres à l’occasion du moindre évènement bénéficiant d’une couverture médiatique. Que la distance ne cesse de se creuser entre les discours et les actes. Que le pouvoir politique est détourné au bénéfice d’intérêts particuliers, partisans, cependant que les citoyens assistent impuissants au dévoiement de leur volonté exprimée y compris dans les urnes.
Nombreux sont les exemples qui attestent du peu de cas que font les pouvoirs successifs de la souveraineté populaire. Que l’on se rappelle le Traité de Lisbonne adopté en février 2008 par voie parlementaire, alors qu’il avait été rejeté quelque trois ans auparavant, le 29 mai 2005, par 54,68% des électeurs appelés à se prononcer par voie référendaire.Qui contestera qu’il s’agit bien là d’une offense faite au suffrage universel par ceux-là mêmes qui sont censés en être les garants ?
Ceux-là mêmes qui s’offusquent que les électeurs soient si nombreux à bouder les urnes, alors que leurs actes et leurs postures ne cessent de les y acculer. Paradoxe : alors que la politique reste un sujet de préoccupation majeure pour la majorité des Français (cf. l’intérêt porté aux meetings et débats télévisés), le vote n’apparait plus comme un acte citoyen indispensable, et l’abstention est érigée en comportement électoral.
En 20 ans, l’abstention aux élections législatives par exemple est passée de 20 à 30% avec des pics à 40% dans certains quartiers populaires. Record toutes catégories : le référendum sur le quinquennat, le 24 septembre 2000 avec un taux de 69,8 %. Autre exemple significatif : lors des élections municipales de 2001, dans 32 sites prioritaires de la politique de la ville, un électeur sur deux ne s’est pas déplacé. Et cette grève du vote ne cesse de s’amplifier, comme le montrent les tableaux ci-après :
Élections présidentielles Élections législatives
Année | Date | Abstention |
2017 | Premier tour | 22,23 % |
Second tour | 25,44 % | |
2012 | Premier tour | 20,52 % |
Second tour | 19,65 % | |
2007 | Premier tour | 16,23 % |
Second tour | 16,03 % |
Année | Date | Abstention |
2017 | Premier tour | 51,3 % |
Second tour | 57,36 % | |
2012 | Premier tour | 42,78 % |
Second tour | 44,59 % | |
2007 | Premier tour | 39,6 % |
Second tour | 40,0 % |
Élections régionales Élections départementales
Année | Date | Abstention |
2021 | 20 juin (premier tour) | 66,72 % |
27 juin (second tour) | 65,31 % | |
2015 | 6 décembre (premier tour) | 50,09 % |
13 décembre (second tour) | 41,59 % | |
2010 | 14 mars (premier tour) | 53,67 % |
21 mars (second tour) | 48,79 % |
Année | Date | Abstention |
2021 | 20 juin (premier tour) | 66,68 % |
27 juin (second tour) | 65,64 % | |
2015 | 22 mars (premier tour) | 49,83 % |
29 mars (second tour) | 50,02 % | |
2011 | 20 mars (premier tour) | 55,68 % |
27 mars (second tour) | 55,23 % |
Élections municipales
Année | Date | Abstention |
2020 | Premier tour | 55,25 % |
Second tour | 58,6 % | |
2014 | Premier tour | 36,45 % |
Second tour | 37,87 % | |
2008 | Premier tour | 33,46 % |
Second tour | 34,8 % |
La dissidence électorale semble s’élargir au rythme de l’insécurité sociale réelle ou ressentie (nombre d’électeurs s’estiment en situation de régression sociale, voire de déclin), mais aussi à mesure que grandissent le désarroi et le mécontentement des citoyens.
Un Parlement et des instances élues qui ne représentent pas la diversité de la France ; des lois votées en nombre excessif mais souvent pas appliquées ; spectacle des corruptions d’élus, pas forcément sanctionnées mais accréditant l’idée que la fraude, le privilège et le passe-droit sont la règle ; des promesses vite oubliées par les plus hautes autorités de l’Etat ; des décisions imposées à la hussarde, par ordonnances ou 49-3 ; absence persistante de séparation entre pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire ; pouvoir de plus en plus éloigné des citoyens et de plus en plus soumis à la force réglementaire des institutions européennes ; indifférence (voire mépris) au message des Français ; dérapages verbaux insultants, calculés ou spontanés, y compris des gouvernants ….. sont autant de dysfonctionnements qui affaiblissent la démocratie à la française, qui confortent l’idée que VOTER NE SERT A RIEN.
Selon une enquête commandée par le JDD (12 décembre 2021), 63% des 18-20 ans envisagent de s’abstenir au premier tour de l’élection présidentielle de 2022.
Comment mettre fin à ce processus ressentimental au long cours ? se demandent certains.
Et d’avancer des solutions qu’ils voudraient efficaces : Convaincre que rien n’est compliqué dans le vote ; Rappeler que l’inscription sur les listes électorales peut se faire en ligne ; Instaurer une carte électorale dématérialisée, avec un QR Code ; Faire des cérémonies de citoyenneté où l’on se verrait remettre solennellement sa carte d’électeur ; Fixer le droit de vote à 16 ans ; Rendre le vote obligatoire (A noter que, en Belgique où le vote est obligatoire depuis 1893, avec des amendes pour les contrevenants, les taux d’abstention avoisinent les 10%. Par ailleurs, des études (Australie, Nouvelle Zélande) montrent que là où le vote est lié à une menace de sanction, ses effets sont contre-productifs sur l’attitude politique et l’engagement citoyen). ….
Autant d’idées qui, certes, ne manquent pas d’intérêt. Mais en quoi s’intéressent-elles véritablement au carburant du zapping électoral ? En quoi ces aménagements pourraient-ils influer sur le déficit de confiance, ciment de la désaffection électorale ?