Lutte contre la vie chère-
Entretien avec Christophe Girardier, dans le cadre des travaux de la Délégation sénatoriale aux Outre-Mer sur la vie chère.
Résumé des principaux points
par Marie-Line Mouriesse
Attention certains éléments ont été reformulés.
Cet article a pour but de résumer les idées principales de la présentation de Christophe GIRARDIER, devant la Délégation sénatoriale aux Outre-Mer concernant la vie chère dans les DROM. (14 novembre 2024).
Il permet de cibler les causes et responsabilités en matière de vie chère dans nos territoires. J’ai mis en évidence les idées saillantes afin que la population martiniquaise dispose de l’information suffisante sur le sujet et nécessaire pour comprendre et agir.
1- La vie chère dans les DROM, ne s’explique pas par l’insularité, ni par l’éloignement.
Ce que les acteurs économiques de l’île appellent « les frais d’approche » ne représentent qu’une partie infime des prix dans les Outre-Mer (5 à 7 % selon Mr Girardier).
« Les denrées peuvent être importées à des prix raisonnables », cela a été prouvé, nous affirme Monsieur Girardier.
Les causes de la vie chère sont donc à trouver dans d’autre facteurs.
2- La vie chère est une réalité et non une illusion.
Concernant la critique souvent avancée que la vie chère est une « perception », Monsieur Girardier insiste sur le fait qu’il s’agisse d’une réalité et non d’une « perception ».
En Guadeloupe les prix sont en moyenne supérieurs à 42 %.
En Martinique, ils sont de 40 % supérieurs à la métropole.
Il s’agit d’une moyenne, les moyennes évidemment écrasent les extrêmes.
3. Les prix continuent à augmenter dans les Outre mer, alors que l’inflation a été stoppée.
Le différentiel des prix France-Métropole augmente malgré l’inflation qui a été stoppée dans l’hexagone.
A la Réunion par exemple l’inflation est le double de la Métropole.
A la Réunion les prix ont augmenté en 5 ans de 30 % depuis que le groupe Bernard Hayot a pris le contrôle d’un marché déjà très concentré.
- Une « économie de comptoir » : la vraie cause de la vie chère dans les DROM.
L’économie de comptoir c’est « quand une minorité monopolise une grande partie des richesses qui arrivent au port. » Et cette cause est historique. La République a donné la liberté politique mais n’a pas émancipé les ultramarins du joug économique des anciens propriétaires de terres. Elle n’a pas redistribué les terres. Et plus encore, elle a indemnisé les anciens propriétaire d’esclaves. Et les personnes qui ont aujourd’hui les maîtres de la grande distribution étaient précisément ceux qui ont bénéficié de ces subsides.
6- Pas assez de concurrence- Le niveau de concentration des acteurs économiques majeurs faussent le jeu de la concurrence
- Par exemple à la Réunion deux acteurs économiques possèdent les 2/3 du marché.
Les groupes dominants sont les représentants de grands industriels internationaux, et ont des « contrats de distribution » qui appartiennent à leur propres filiales. « Ce sont ces mêmes distributeurs qui possèdent les filiales. »
7- Ces « marchés souvent qualifiés d’étroits ou de « restreints » sont en réalité d’énormes marchés.
Le marché de la Grande distribution représente à la Réunion uniquement 2,7 milliards d’euros. Monsieur Girardier insiste sur le fait que ce ne sont pas des marchés étroits.
C’est un argument souvent utilisé pour justifier les prix excessifs.
8- « Toujours plus »- Une des causes de la vie chère est la « pratique des marges arrières ».1
Les marges « avant » sont celles que tout le monde connaît, vous achetez un produit et vous le revendez plus cher (la différence est votre marge). Les « marges arrière » sont des sommes réclamées au titre de ce qui est appelé « coopération commerciale ». Le distributeur facture la visibilité de votre produit dans le magasin, facture à la fin de l’année une remise sur « bonification de fin d’année ». Par exemple il pourra facturer à la fin de l’année 2 millions d’euros pour avoir vendu le produit d’une entreprise, pour cause « d’ objectifs atteints ».
Et comme dans une situation dominante vous atteignez toujours vos objectifs, le distributeur (celui qui fournit le produit à la Grande distribution) va augmenter le prix de ses produits pour s’en sortir. Ce qui crée une situation inflationniste. Les prix sont de plus en plus chers, pour faire bref à cause de l’avidité de la Grande distribution.
Une des causes de la vie chère est donc la « pratique excessive des marges-arrières ».
9- Les « Grand groupes » : Une situation conglomérale aux Antilles.
Prenons l’exemple du GBH (Groupe Bernard Hayot), il possède : les magasins Carrefour, Décathlon, Monsieur Bricolage, des industries comme Danone,
Est présent dans la Caraïbe et tous les DROM : « Martinique, Guadeloupe, Guyane, Cuba, Sainte-Lucie, République dominicaine, Trinité-et-Tobago), l’océan Indien (La Réunion, Maurice, Mayotte, Madagascar), en France métropolitaine, en Afrique (Maroc, Algérie, Ghana, Côte d’Ivoire), en Chine, et en Nouvelle-Calédonie » (source ici wikipedia).
Monsieur Girardier s’étonne que « l’autorité de la concurrence n’ait pas trouvé de marges excessives. » précisément parce qu’ils n’ont pas mentionné les marges arrières, ce qui lui semble grossier compte tenu de l’importance de la pratique.
Monsieur Girardier indique que dans son dernier rapport, il a écrit 10 pages pour dénoncer des infractions en matière d’atteintes à la concurrence et s’étonne qu’il n’y ait eu aucune enquête à ce sujet.
Ces atteinte à la concurrence ont un impact économique important sur les acteurs concernés.
10- La position dominante crée moins d’emplois qu’une multitude de petits commerces.
La grande distribution réplique souvent qu’elle « crée des emplois » mais elle ne crée pas suffisamment d’emplois et beaucoup moins que ce qu’une situation véritablement concurrentielle aurait généré. NDLR-Elle est donc un facteur de chômage dans l’île par conséquent.
11- Le développement du commerce régional et local pourrait-il améliorer la situation ?
Concernant l’approvisionnement dans les marchés régionaux, cela pose le problème de respect des normes européennes et de qualité des produits, ainsi que des conditions de production. (Ndlr : mais il pourrait y avoir des contrôles des autorités sanitaires dans ce domaine).
Concernant les filières maraîchères, elles ne sont pas suffisamment subventionnées, ouvrir les subventions à ce secteur pourrait être envisagé.
L’approvisionnement local pose un problème en Martinique et Guadeloupe où les terres ont été empoisonnées au chlordécone. Mais sur ce point il existe des contrôles sanitaires.
Il est rappelé que les normes avaient pour but de protéger la population.
12- Concernant l’octroi de mer et la TVA : ce ne sera pas suffisant.
13- Les OPMR sont sous l’autorité du Préfet qui décide de tout.
L’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) ne peut pas diligenter une étude sans l’accord du Préfet.
Les Préfets, en s’ingérant dans les activités des OPMR empêchent les OPMR de faire leur travail. L’Etat se comporte ainsi comme à l’époque coloniale en faisant perdurer les inégalités et les injustices.
Il faudrait donc pour permettre aux OPMR de fonctionner, les émanciper de la mainmise des Préfets.
14- Quelles réformes sont prioritaires pour juguler l’inflation selon Mr Girardier ?
- Limiter les parts de marché à tout acteur à 25 % quel que soit le secteur.
- Amender le code du commerce pour cela avec effet rétroactif, ce qui aura pour but d’obliger les acteurs ayant des parts de marché en trop, à vendre cette dernière partie.
- Interdire la structure verticale des groupes et acteurs économiques. Par exemple interdire à un acteur (un acteur de la grande distribution) de posséder des industries. Cela a pour effet que cet acteur favorise la mise en place de ses propres produits, ce qui est une situation de concurrence déloyale et de conflit d’intérêt.
Par exemple Mr Hayot qui possède Danone met davantage ses produits dans les rayons de ses magasins que les yaourts Yoplait par exemple.
– Interdire la création de nouvelles grandes surfaces de plus de 2000 m2.
- Sanctionner sérieusement les acteurs économiques refusant la publication de leurs comptes annuels (amende aujourd’hui ridicule de 1500 euros à remettre en question pour des groupes enregistrant des milliards de chiffres d’affaire)
- Taxer les acteurs qui ne respectent pas la publication des comptes.
- Créer une structure locale qui instruit les opérations de concentration.
- Couper le lien entre Etat et autorité de la concurrence (OPMR).
- Encadrer les marges arrière de manière à leur donner de la transparence.
- 15- La commission européenne va-t- elle s’opposer à ces réformes ?
Monsieur Girardier affirme que non, car il suffit de montrer l’utilité de ces dérogations et lois spécifiques dans nos territoires.
Il prend pour exemple l’octroi de mer qui a été accepté pour ces raisons.
- 16- Pour ceux qui croient que s’attaquer aux positions dominantes : a un impact sur… l’économie :
Au contraire, l’impact de ces positions dominantes sur nos territoires correspond à une catastrophe économique.
Même si ce point a été peu développé dans l’entretien, et que l’intervenant a mis en évidence surtout la perte financière pour les acteurs économiques non-dominants, les pertes financières sont surtout énormes également sur les consommateurs lésés !
Cet entretien détruit totalement l’argumentaire des acteurs en position dominante qui affirment que la vie chère est liée à l’éloignement « frais d’approche », à l’octroi de mer et à la TVA.
Sans avoir la garantie que les efforts consentis par l’Etat et les Collectivités ne soient répercutés sur les consommateurs, ces efforts seraient vains. Et c’est sur ce point que Mr Girardier critique le texte de la CTM.
Des réformes structurelles, inscrites dans le droit sont la seule solution pérenne pour une véritable rupture historique avec nos économies de comptoir héritées du passé. Le Sénat assure que ses travaux iront dans le sens de prises de décision qui permettront un changement dans le long terme.
Si tel n’était pas le cas, on pourrait à nouveau, de manière récurrente voir la grogne se raidir, la population se révolter, et les acteurs nouveaux émerger, acteurs qui pourraient bien se révéler moins patients et moins pacifiques que le RPPRAC et produire cette fois à un véritable chaos dans nos territoires.
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Pour aller plus loin :
Vie chère :
Commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités :
La Grande distribution- Rapport IEDOM.
https://www.iedom.fr/IMG/pdf/note_ie_la_grande_distribution_en_martinique_juillet_2006.pdf
Concernant les OPMR :
Concernant la Loi GALLAND et les marges arrières :
Nous devons tant à Bernard Hayot…par Emmanuel De Reynal de Saint Michel. Paix à son âme.
Pour ceux qui pensent encore que le « Grand Maître » est altruiste :