Le camp qui remportera la bataille ne sera-t-il pas celui qui aura préparé les réponses à toutes les éventualités?
Aucun des duels des cinq dernières élections présidentielles ne fut celui prévu l’été précédent. La gauche doit se garder de toute arrogance et ne pas se tromper d’adversaire: il s’agit de la majorité présidentielle actuelle et pas seulement de Nicolas Sarkozy.
Il faut donc faire le pari de l’intelligence et de l’instinct de survie de l’UMP. Il faut peut-être même faire le pari de la lucidité de Nicolas Sarkozy.
Que peut-il se passer?
A l’automne 2011, les élections sénatoriales se sont plus ou moins mal passées pour la droite et les sondages restent calamiteux pour Nicolas Sarkozy (surtout s’ils n’excluent pas un «21 avril à l’envers»). Son égo, dont on suppose jusqu’à présent qu’il devrait le conduire à se présenter coûte que coûte, peut, au contraire, le persuader de partir plus dignement et de ne pas se représenter. Les responsables de l’UMP et surtout les députés de base, inquiets pour leur réélection, peuvent aussi le convaincre de se sacrifier pour sauver la droite.
Bien sûr, rien ne dit que ces hypothèses sont probables, mais il n’est pas insensé de penser qu’elles sont possibles.
De petits signes, qu’il faut certes se garder d’exagérer, peuvent accréditer la thèse d’un retrait volontaire ou plutôt forcé de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle:
• Jacques Chirac, dont on peut tout à fait considérer qu’il est davantage libre de parole que sénile, a mentionné, dans sa fameuse déclaration corrézienne, la possible candidature d’Alain Juppé;
• le ministre des affaires étrangères lui-même, sur France Culture, a évoqué, en la qualifiant de pure spéculation, sa possible candidature;
• un roman, Dans l’ombre, publié le mois dernier, met en scène, certes sous forme de fiction, la candidature à peine déguisée d’Alain Juppé;
• François Fillon s’émancipe depuis plusieurs mois et prend de la distance vis-à-vis de Nicolas Sarkozy;
• certains à droite, comme Dominique Paillé, envisagent l’éventualité de primaires conformes aux statuts de l’UMP, y compris quand le président sortant est issu de ses rangs.
La prise en considération d’un tel scénario pourrait conduire la gauche à adapter sa stratégie, parce que vaincre Alain Juppé ou François Fillon se révélerait finalement plus difficile.
Les mesures de corrections pourraient consister notamment à:
• orienter les critiques contre le bilan de la droite dans son ensemble, et non plus uniquement contre Nicolas Sarkozy, son style et ses promesses non tenues;
• ne pas distinguer le Président de la République de son gouvernement ;
• bien démontrer aux Français que le phénomène Sarkozy n’est pas de génération spontanée mais qu’il est bien le produit de l’exacerbation de certaines valeurs de droite: l’argent comme symbole de réussite personnelle, la concurrence considérée comme un dogme, la méfiance à l’égard des services publics, la diminution de l’éthique républicaine…
• insister davantage, dans la communication, sur la nécessité d’une véritable alternance et plus uniquement sur celle d’une rupture avec le sarkozysme;
• remettre les valeurs de gauche au centre du débat et de la campagne plutôt que se contenter de dénoncer les excès du sarkozysme;
• inclure dans la cible les Français «gaullistes» qui peuvent être considérés comme majoritairement acquis à la gauche en cas de duel contre Nicolas Sarkozy, mais beaucoup moins en cas de duel contre Alain Juppé voire François Fillon.
Naturellement, cette éventualité aujourd’hui hasardeuse d’un autre candidat que Nicolas Sarkozy doit s’incarner dans un homme. Nous pensons qu’il ne faut pas poser comme hypothèse qu’Alain Juppé ou François Fillon n’en auront pas l’audace. Posons plutôt celle que l’instinct vital de la droite restera intact!
Marc Charlet, haut fonctionnaire
Victorin Lurel, député et président PS de la région Guadeloupe
Marc Vizy, haut fonctionnaire, membre de la fondation Terra Nova, ancien membre du cabinet de Lionel Jospin à Matignon