Et si on posait les mêmes questions aux gens qui revendiquent le droit de jouer leur rôle dans la vie de la cité ? ? En voilà trois qui à défaut de nous dire nos quatre vérités peuvent être des « réponses donc je suis »…
Est-ce normal d’avoir en Martinique une taxe octroi de mer sur le riz alors que ce n’est pas une production locale ?
Votre question est intéressante car elle pose justement la question de ce que devrait être fondamentalement être l’octroi de mer et à quoi il devrait servir en priorité à mon sens : assurer une souveraineté alimentaire et productive, notamment, à notre peuple, et être une aide aux plus démunis en favorisant les produits de première nécessité. En ce sens, il devrait être plus un outil de politique fiscale et sociale, ce qu’il était à l’origine, et non un outil de politique commerciale qu’il est devenu trop souvent.
Je m’explique : la production de riz et la consommation de riz sont bien patrimoniales à la Martinique. Et c’est bien un produit de première nécessité. La Martinique consomme près de 10 kg par an et par habitant de riz. Au surplus, la Martinique produisait autrefois du riz, et encore dans les années 1990 au Gros-Morne, on produisait du riz. Toujours aujourd’hui, l’exploitation agricole de Bois-Rouge à Ducos produit du riz et tente de développer cette production certes embryonnaire de quelques tonnes mais réelle. Et puis surtout nous disposons en Martinique d’une entreprise locale agro-industrielle de transformation, Socariz, qui certes importe du riz d’Amérique du Sud ou d’Asie, mais c’est du riz brut, dit riz « cargo », et elle produit après transformation, usinage, conditionnement qui supposent des opérations industrielles de décorticage, de tri, de polissage, bref un vrai travail agro-alimentaire pour produire différents riz, blanc, étuvé, parfumé, complet ou cassé. Et elle emploie une cinquantaine de personnes. La légitimité d’un taux est là, même si on peut discuter de son niveau. Mais il est indéniable qu’il y a là une vraie création de richesse économique locale, martiniquaise, qui doit être préservée et même sauvegardée de la concurrence des riz importés prêts à consommer.
Et les chiffres sont conséquents : nous traitons en Martinique un tonnage annuel de riz qui représente une part de marché d’environ 15 à 20% je crois. Il faut d’autant plus protéger cette production, oui, martiniquaise donc !, que le Martiniquais, vous le savez pour être un fin gourmet de cuisine martiniquaise, est un gros consommateur de riz pour en consommer presque dans tous les plats…
Là où je vous rejoins dans votre questionnement est qu’il doit être nécessaire de moduler le calcul des taux de façon plus flexible pour les adapter à notre réalité économique. Par exemple, de les baisser sur les produits de première nécessité et de les relever sur les produits de luxe, voire encore de les supprimer par exemple pour les achats liés aux intrants du CHUM qui œuvre pour la santé des Martiniquais et doit subir des taux d’octroi de mer parfois importants qui n’arrangent pas son endettement financier massif. La fiscalité doit servir à la souverainté alimentaire et à la justice sociale, dont la santé est partie prenante.
Doit-on supprimer l’octroi de mer en Martinique ?
Vous me posez là encore une question qui m’oblige, sans polémique, à ne pas hurler avec les loups ou à suivre la vulgate actuelle, orchestrée par tous les lobbies économiques et monopolistiques et l’Etat, qui est de considérer qu’il faut absolument supprimer l’octroi de mer qui serait source de hausse des prix et d’inflation ! Je ne suis pas pour supprimer l’octroi de mer ni même le réformer drastiquement, même si je considère comme je viens de vous l’indiquer qu’il peut être amélioré et que sa gestion surtout mériterait une meilleure stratégie fiscale plus transparente.
Tout d’abord, contrairement à tout ce qui est dit, et je fais allusion à un rapport du Ministère des Finances de 2022 qui milite pour sa réforme en profondeur, comme aux décisions gouvernementales du CIOM le Comité interministériel Outre-mer de 2023 reprises inconsidérément par certains milieux économiques et des élus, qui vont dans le même sens, aucune étude à ce jour n’a prouvé vraiment que l’octroi de mer était responsable de tous les maux inflationnistes. Même le Rapport de la Cour des Comptes de mars 2024, qui reste prudent sur sa réforme, ne parle que d’une incidence de 5% sur les prix.
Mais personne ne s’attaque aux vraies causes de la hausse des prix que sont les situations commerciales monopolistiques ou le coût exorbitant du fret qui sont bien réelles.
En 2019 même, l’Autorité de la Concurrence, qui n’est pas un organe anti-capitaliste que je sache, a publié un rapport qui constate que, je cite, « l’incidence sur le prix (de l’octroi de mer) réside dans l’accumulation des marges des acteurs de toute la chaîne des produits de grande consommation ». C’est clair. Et à l’inverse quand par exemple la Région Réunion a mis en place un taux zéro sur les véhicules électriques pour encourager ces achats de transition écologique, cela n’a pas marché car le prix d’achat des voitures est resté néanmoins cher. Ce n’est donc pas aussi simple.
Même la Commission européenne, pourtant exigeante, ne critique pas l’octroi de mer pour la cherté de la vie supposée qu’elle comporterait, mais uniquement parce qu’elle « constitue une sorte de barrière à l’entrée des produits de la zone géographique concernée ».
Donc réformer ? Peut-être, mais d’abord dans la clarté en séparant ce qui va aux collectivités locales et ce qui a pour but de protéger notre production. C’est là qu’il y a hiatus car confusion. Je propose également de réexaminer les taux d’octroi de mer applicables aux produits importés pour lesquels il n’existe pas d’équivalent dans la production locale et dont le développement n’a aucun caractère concurrentiel. Votre exemple critique sur le riz était un mauvais exemple, mais si vous aviez cité les pâtes ou les dentifrices, je vous aurais dit certainement oui.
Il faut de la transparence, et cette transparence elle doit être exigé au niveau local par les citoyens. En effet, l’octroi de mer est pour moi un bon outil de souveraineté économique et de justice sociale. Le remplacer par une TVA, même régionale, plus que rigide, c’est abandonner aussi son caractère le plus précieux qui est celui de l’autonomie fiscale locale, de renvoyer cette ultime liberté locale à l’Etat. Je dis non. Et que dire de l’argument consistant à dire que l’octroi de mer est inflationniste mais que son remplacement par une TVA ne le serait pas. C’est risible !
Mais j’insiste pour dire aussi que la responsabilité du maintien de l’octroi de mer est d’abord chez nous. Plusieurs milliers d’emplois dépendent quand même de l’octroi de mer, et c’est près de 2 milliards pour les Outre-mer de revenus publics. On ne peut pas faire n’importe quoi. Que l’Etat veuille recentraliser cette vieille taxe fixée localement comme il a supprimé la taxe d’habitation pour les communes, je peux le comprendre, mais que des élus ou des chefs d’entreprise martiniquais se prêtent à cela, n’est pas correct. Car une réforme en profondeur telle qu’envisagée à l’heure actuelle, c’est la perte d’une autonomie pour plus de dépendance.
Comment expliquer qu’un produit fabriqué en Martinique (Royal Soda 50 cl) soit vendu moins cher en France hexagonale (gare de Choisy-le-roi en région parisienne) qu’en Martinique ? 1,30 euro contre 2,50 euros?
Je ne le sais pas, et ne me l’explique pas. En tout cas pas autrement que par les effets « naturels » du marché capitaliste. Royal soda a une position quasiment impériale aux Antilles. Il peut donc proposer des prix qui seront acceptés par les consommateurs antillais pour lesquels ce produit est patrimonial presque. En revanche, en France hexagonale, la concurrence avec les sodas des grands groupes industriels est plus féroce, et donc il est nécessaire pour lui de s’adapter à cette concurrence. Mais vous touchez là aussi un point intéressant qui est que là où il y a concurrence, les prix baissent. C’est pourquoi je souhaite donner plus de pouvoir à l’Observatoire des prix et de la concurrence en Martinique.
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