A l'occasion de la diffusion des "Mariées de l'isle Bourbon", notre cinéaste martiniquaise nationale a donné une interview où elle explique sa démarche, et sa volonté de décoller l'étiquette de cinéaste "militante". Après Spike Lee une icone du mouvement du cinéma noir rentre dans le rang.
Rompez !
Dans Les Mariées de l'isle Bourbon, la cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy filme l'histoire des convois de femmes qui peuplèrent l'île de la Réunion. Rencontre avec la réalisatrice.
Comment résumeriez-vous le tournage de cette fresque ?
EUZHAN PALCY : Pharaonique, comme la construction des pyramides ! J'étais face à un sujet extrêmement riche à tourner en quarante-quatre jours, avec beaucoup de personnages, 1500 personnes à gérer – dont un millier de figurants. Nous avons travaillé comme des malades. Mais étions une grande famille métissée. Avec un plan de travail aussi serré, c'était indispensable !
Comment transposer le décor du XVIIe dans le XXIe siècle ?
EUZHAN PALCY : Il faut être très vigilant. D'abord avec les poteaux électriques ! Heureusement, ma chef déco se débrouillait pour les habiller en arbre ou plaçait opportunément dans le décor un château d'eau juste devant. Autre souci, lors du duel sur la plage, des maisons contemporaines apparaissaient à l'horizon. Alors l'équipe des effets spéciaux les a carrément gommées grâce au digital. Nous avons également été gênés par les voitures et il a souvent fallu arrêter la circulation pour éviter leurs klaxons ou leur silhouette en profondeur de champ.
Quels furent vos désirs concernant les costumes ?
EUZHAN PALCY : Je souhaitais des matières brutes comme le coton ou le lin, quitte à ce que les comédiens souffrent un peu de la chaleur ! Le père Romand, surtout, qui portait sous sa robe des pantalons bouffants et des collants. A chaque pause il soulevait tout ça pour prendre l'air ! Mais la créatrice des costumes, quand elle fait "époque", elle le fait jusqu'au bout : même dans les dessous !
Les coiffures ont-elle bénéficié d'un soin particulier ?
EUZHAN PALCY : Longtemps avant le tournage, nous avons demandé à nos comédiens de laisser pousser leurs cheveux, afin de créer les coiffures à partir de leurs mèches, plutôt que de leur faire porter des perruques.
Avez-vous reconstitué les décors ?
EUZHAN PALCY : La maison Blancpain existait, mais avons dû recouvrir le tout de bardeaux. Pour ce faire, nous avons fait appel à… des alpinistes ! Quant à celle des La Baume, tout ce que vous voyez a été réalisé par nos soins, jusqu'à la plantation des arbres ! Enfin, pour le village malgache, il s'agissait du site d'un ancien village d'esclaves, dont un Réunionnais avait hérité. Il ne restait que les fondations. Nous avons donc négocié d'utiliser ce lieu moyennant la reconstruction du village et son exploitation ensuite comme un site touristique.
Qu'attendez-vous en particulier de ces Mariées ?
EUZHAN PALCY : Qu'elles rencontrent le public, bien sûr. Mais j'espère également qu'avec ce film aux thèmes universels, avec de l'humour, de l'action, bref, de la vie, je décollerai un peu mon étiquette de "cinéaste militante" car ce n'est pas un film de ghetto, c'est une oeuvre grand public, qu'on se le dise !
Entretien : Isabelle Dhombres pour 'Télé Poche'
