Bondamanjak

Extraits de L’impact d’Internet sur l’économie de la presse, quel chemin vers la profitabilité ?

 Extrait de la thèse de la chercheuse en économie Danielle Attias
La légitimité du journaliste remise en question
Avec le développement de l'information sur Internet, le rôle du journaliste traditionnel est battu en brêche. D'une part, l'accès gratuit à une palette de publication en ligne multimédia donne à tout un chacun la possibilité de disposer d'une tribune sur son propre site Internet. Le succès de ces nouveaux formats de diffusion d'information et de figures émergeant sur Internet questionnent le rapport entre lecteurs et journalistes. La parole du journaliste vaut-elle celle d'un contributeur à un blog ou à un « journal citoyen » ? Les entreprises de presse, dont les coûts fixes de main d'oeuvre sont élevés, peuvent légitimement se demander s'il n'est pas opportun, à condition que la qualité soit au rendez-vous, de faire appel à ces contributeurs bénévoles ? D'autre part, les médias traditionnels ont majoritairement mis en place des départements ou des filiales dédiées à leur site Internet.
Débordés quelquefois par les innovations incessantes disponibles en ligne, ceux-ci tentent de trouver les réponses adéquates, en fonction de leur audience, leurs standards de qualité et leur marque. Or, de plus en plus, il est demandé au journaliste traditionnel de prendre sa part dans les tâches jusque là cantonnées à ces départements et filiales interactives. Les firmes, pressées de réduire leurs coûts fixes de fonctionnement, cherchent à mieux répartir les rôles et éviter les doublons. Le savoir-faire du journaliste traditionnel est donc questionné, il lui est demandé d'évoluer pour être à la hauteur des enjeux de l'avenir de l'industrie. Nous analysons donc ici cette double tension, où le rôle du journaliste traditionnel est questionné, en externe par la participation croissante des lecteurs à la production d'information et en interne, par la nécessaire évolution de sa propre production d'information.

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L'émergence de rédactions multi-supports
Motivés par la volonté de prendre à bras le corps les enjeux liés à la publication en
ligne et d'apparaître comme des publications multi-supports, plusieurs grands groupes de presse se sont engagés à fusionner leurs rédactions Internet et papier. Dans ce chantier organisationnel, leur objectif est à la fois de mutualiser les coûts d'édition des contenus et d'inciter leurs rédactions traditionnelles à adopter des processus de production plus en phase avec les nouveaux modes de consommation des contenus d'information. Le mouvement poursuivi depuis plus d'un an par de nombreux acteurs ne va pas sans malmener la fonction traditionnelle du journaliste. Il révèle également les spécificités des équipes des départements ou filiales Internet, acquises après une dizaine d'années de fonctionnement autonome.

Vers une fusion des rédactions Internet et papier

Accusés de ne pas répondre assez énergiquement aux défis que leur imposait Internet, quelques grands groupes de presse emblématiques tels que le Wall Street Journal, le New York Times, le Guardian ou en France, Libération et La Tribune, se sont engagés dans une refonte organisationnelle de leurs rédactions. Certains observateurs ont fait valoir qu'elle ne pouvait pas constituer une unique réponse pour transformer les journaux traditionnels en publications multimédia et multi-supports. Toutefois, ce choix n'est pas sans conséquence sur la manière de produire l'information.
L'approche dominante parmi les éditeurs consiste en une convergence des équipes éditoriales. Ils tentent de n'avoir qu'une seule rédaction capable d'être réactive, de produire des contenus multimédia et exclusifs, tout en bénéficiant sur Internet de l'expertise de ses spécialistes. Ceux-ci considèrent que la séparation entre Internet et papier n'a plus de sens et qu'il est désormais nécessaire de penser une rédaction comme étant liée à un support particulier – qu'il s'agisse du papier ou d'Internet. Leur objectif est également de mutualiser l'activité de rédaction de contenus pour les différents supports, au lieu d'avoir plusieurs personnes chargées de suivre l'actualité du même domaine pour des supports différents. Cette stratégie permet de réduire les coûts fixes de production, grâce à une seule équipe de rédaction qui écrit pour le papier et Internet, voire l'Internet mobile ou la télévision. Dans un contexte de surenchère sur la fraîcheur de l'information, les journalistes publiant sur plusieurs supports ne pourraient plus se permettre de publier à l'identique sur le papier une information mise en ligne sur le site Internet quelques heures auparavant.
Le programme est séduisant dans son principe mais sa mise en application laisse émerger les réticences des rédacteurs du papier, souvent rétifs à faire profiter le site Internet des informations qu'ils préfèrent garder pour le papier. Une défiance existe entre les rédactions Internet et papier : les journalistes des départements ou filiales Internet sont souvent plus jeunes que leurs homologues du journal papier, ils sont souvent moins expérimentés et moins reconnus [Vernardet, 2004]. De plus, la supposée cannibalisation du site Internet sur les ventes de titres laisse planer une suspicion, souvent accrue à cause de résultats financiers insuffisants. Selon Jonathan Landman, Managing Editor adjoint du New York Times, face à ce type de projet organisationnel, certains journalistes du titre étaient peu enclins au changement et craignaient de cannibaliser le contenu de la version papier. Il témoigne : « au départ, une partie de l'équipe a été récalcitrante ». Depuis, le changement a d'abord consisté en la création d'une nouvelle sorte de journalistes, les « continuous news reporter ”, dont l'objectif est de couvrir l'information en continu pour le site Internet.
Ces journalistes doivent-ils écrire plusieurs versions de la même histoire au cours de la journée ? Si ce sont deux journalistes différents, doivent-ils en écrire chacun une version différente ? Cela n'a pas encore été tranché. Le second changement consistait à introduire la création de contenus multimédia, audio ou vidéo. Au New York Times, une unité vidéo a été mise en place au sein de la rédaction et les journalistes en reportage sont de plus en plus équipés de caméras. L'objectif est de proposer des contenus complémentaires, dont les angles sont différents du simple article de presse traditionnel. En juin 2006, The Guardian et The Times ont pris la décision de publier les articles de leurs correspondants à l'étranger en ligne sans attendre leur publication sur papier. En juillet 2006, le Financial Times décide de fusionner ses rédactions papier et Internet et la BBC va plus loin en mettant en place un modèle plus complet de transformation de la rédaction en « moteur d'information ». A cette formule est associée l'idée selon laquelle la production de contenus n'est plus liée à un support particulier. Une première expérimentation de ce concept de « moteur d'information » se déroule au siège d'Edipresse, groupe de presse suisse éditant notamment Le Temps, La Tribune de Genève et Le Matin. Au terme de trois ans de réflexion et de mise en place, le groupe a transformé physiquement et structurellement sa rédaction en moteur d'informations pour l'ensemble des supports du groupe : les journaux papier, Internet, la radio, les mobiles et la télévision. Il n'existe désormais qu'un seul système rédactionnel et une seule base de données de stockage pour l'ensemble des titres, accessible à partir de n'importe où. Un journaliste est donc désormais chargé de produire plusieurs articles sous différents formats en partant d'une même information, pour le papier, le site Internet ou le mobile. Le flux d'informations est alors recueilli dans une plate-forme placée au centre de la salle de rédaction, où on retrouve notamment le rédacteur en chef de jour, le responsable du secrétariat de rédaction, le responsable de la photo et l'animateur des sites Internet.

Spécificités et réticences des rédactions traditionnelles

D'autres éditeurs considèrent a contrario que la majorité des équipes du média traditionnel ne sont pas encore prêtes à ces changements. Leurs dirigeants anticipent de trop fortes résistances qui empêcheraient le bon développement des activités sur Internet. Pour eux, les journalistes de l'écrit ne sont pas encore capables de produire des contenus multimédia, comme les podcasts, les vidéos ou les animations Flash. La solution est alors de séparer les départements chargés de produire des contenus pour le site Internet et pour le journal papier. Chacun dispose de ses propres objectifs, de sa rédaction et des ses proposes équipes marketing, même si des relations existent entre les deux. Parmi ces éditeurs, on compte notamment le Washington Post ou Le Monde. Ce dernier a conservé une nette séparation entre sa rédaction papier et celle dédiée au site Internet – y compris physiquement, car les bâtiments des départements concernés sont situés loin l'un de l'autre dans Paris. De ce fait, les informations paraissant dans Le Monde papier sont préservées d'une publication en avance en ligne qui pourrait la cannibaliser.
Là encore, les hésitations sont prégnantes d'un éditeur à l'autre. La mutation vers la
rédaction unique multi-support, aussi bien que le service marketing et publicité, a du sens à moyen terme, tout autant que les craintes de blocage à court terme. L'option choisie par Le Monde est certes un peu radicale du fait de l'éloignement des équipes, mais le développement des sites de presse en ligne doit sans doute être encore le fait de personnels aguerris aux techniques, aux langages et aux repères d'Internet. En effet, dans les rédactions traditionnelles, les journalistes ont pour seul objectif la production de leur article qui sera repris pour le journal papier. Leur contrainte principale est l'heure de bouclage du titre avant impression. Par contre, dans les départements Internet, les équipes couvrent l'actualité en permanence. Leur production est continue et fait l'objet d'un roulement parmi les personnels tôt le matin, tard le soir et le week-end. Ils sont capables d'éditer seuls leurs contenus pour les publier directement sur le site Internet, sans intermédiaire technique. De plus en plus, leur métier consiste à composer des contenus multimédia comprenant des liens, du son, de l'image, des animations pour compléter la livraison d'une information. Ces compétences ne sont pas insurmontables à acquérir (nous évoquons ce point plus avant dans le chapitre suivant), mais le changement de perspective auquel les journalistes traditionnels sont poussés rencontre des freins liés à leur méconnaissance, sans doute temporaire, des outils et du choix de contenus à mettre en avant, alors que les rédactions Internet ont mis près de dix ans à se construire et à tester différentes options vis-à-vis de leur propre audience.
Jeff Mignon fait état, à ce sujet, du décalage existant entre les sites de presse dirigés
par des managers issus d'Internet et de responsables du papier, au bénéfice des premiers.
Pour aller au-delà, un renversement serait peut-être à attendre en termes de direction des rédactions. Selon une enquête menée par Editor and Publisher, les managers des sites de presse en ligne souhaitent majoritairement diriger l'ensemble des opérations de production de contenus, aujourd'hui davantage dévolues à des managers du journal papier.
L'un d'entre eux pose la question : « Cela n'aurait-il pas de sens que l'éditeur en charge du produit d'information en 24/7 n'en supervise aussi la version unique quotidienne ? ». Ce changement serait radical si l'on en croit la répartition actuelle des revenus publicitaires, largement plus importante pour le journal papier. Toutefois, les managers interrogés considèrent que ce choix doit intervenir à court terme, de manière à mener l'ensemble des chantiers nécessaires à l'établissement d'une véritable rédaction multimédia et multi-supports.
La question semble pour l'instant tranchée en faveur des responsables de l'édition historique, mais ces choix managériaux ont certainement un impact dans l'évolution des titres, voire leur ré-invention.

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Les 15 sites aux meilleures audiences en novembre 2006 (source : Médiamétrie )

Rang Marque Nombre de visiteurs uniques
1 Google 18 728 000
2 MSN / Windows Live 13 921 000
3 Free 13 366 000
4 Orange 13 279 000
5 Yahoo 10 331 000
6 Microsoft 10 071 000
7 Pages Jaunes 9 830 000
8 eBay 9 109 000
9 Voilà 7 656 000
10 Mappy 7 078 000
11 L'Internaute 6 936 000
12 Wikipedia 6 868 000
13 TF1 Network 6 628 000
14 FNAC 6 405 000
15 01 net Network 5 905 000