Une interview incroyable de Edwin Zenny sur lenouvelliste.com
Le sénateur sortant du Sud-Est déshabille ses collègues sénateurs et autres caciques de la classe politique. Il leur en veut à tous; il s’en veut également de n’avoir rien foutu. Avant de partir et de passer à autre chose, Edwin (Edo) Zenny, connu pour son parler cru, a vidé son sac et a livré ses confessions sur les ondes de Magik9, Vision 2000 et Radio Télé Métropole.
Edwin Zenny, sénateur du Sud-Est, dans un grand déballage qu’il entame dans les médias sous forme de confessions depuis quelque temps, ne dissimule point sa peine ou tout au moins ses déboires d’avoir œuvré pendant six ans aux côtés de ceux qu’il appelle désormais des «bluffeurs».
Dans la matinale de le Magik9, mardi 27 décembre, il ne pouvait pas être plus clair. «C’est avec déception que je laisserai le Parlement sans avoir réussi à faire grand-chose pour le pays», avoue Edwin Zenny, sèchement, avec une franchise dont il semble avoir le secret au fil des ans. Dans sa petite radiographie de la classe politique, Zenny cloue au pilori ceux qui tiennent le pays en otage, appelle à un examen de conscience pour qu’enfin Haïti puisse changer de page.
L’exercice de démolition de ses collègues sénateurs s’est poursuivi le mercredi 28 décembre à Radio Vision 2000 et à Le Point de Radio Télé Métropole. Là encore, son parler cru, vrai et déconcertant, a détonné avec la langue de bois des politiques à laquelle nous sommes habitués. «J’ai pu découvrir le nombre de bluffeurs qui parlent au nom de la nation. Personne ne pense à Haïti», assène le sénateur du Sud-Est dont le mandat arrive à terme ce deuxième lundi de janvier et qui n’a pas jugé bon de se représenter.
Sur un ton plus personnel, sans ironie ni philosophie, il s’en veut du fait qu’une loi qu’il a déposée lui-même depuis 2014 au Parlement jaunit encore dans les tiroirs. «Je n’ai pas réussi à la faire passer», concède-t-il, une once de regret dans la voix. « J’étais venu régler quelque chose que je n’ai pas pu régler, je ne vois pas le pourquoi de mon retour », répond-il au micro de Wendell Théodore.
Edwin Zenny, un tantinet évasif sur les bords, passe en revue son itinéraire, partant du maire très populaire de Jacmel jusqu’au poste de sénateur. « Je n’ai rien foutu au Sénat. Mais ce n’est pas que ‘’je’’. Nous n’avons rien foutu dans la 49e », brocarde-t-il. C’est parce que vous n’êtes pas politicien, parce que ceux-ci ne verront pas les choses de la même façon que vous ? « Je ne crois pas. Il faut avoir le sens des responsabilités. Je n’ai réussi à rien faire pendant six ans ! »
Zenny pointe du doigt ceux qui lui ont mis des bâtons dans les roues, sans les nommer, lui qui reconnaît, à demi-mot, que la gestion des Tèt kale durant les cinq dernières années a été catastrophique. « Mais je n’ai pas pu le (Président Martelly) critiquer parce qu’il est mon ami depuis 27 ans. Il est le parrain de l’un de mes enfants ».
Il revient sur sa loi qui n’a pas pu être votée. « Aujourd’hui, quelqu’un peut affirmer que Edwin Zenny est trafiquant drogue sans s’inquiéter parce que la justice est défaillante », dit-il, comme pour justifier le bien-fondé de son texte de loi. Edwin Zenny, qui clame être adulé dans sa ville natale, laisse transpirer l’image de quelqu’un qui a voulu faire plus pour son pays lors de son expérience au Sénat. Il en sort déçu, désabusé, dégoûté, voire frustré. « Chaque sénateur est sous la coupe d’un patron au Sénat. Il n’y a pas de travail collectif pour le pays », maugrée-t-il, citant la République voisine où, comme en Haïti, les sénateurs sont bien rémunérés mais qui sont de loin plus proactifs que les nôtres.
Edwin Zenny insiste sur le fait qu’ « Haïti regorge de bluffeurs ». Ils sont de toutes les tendances. « Tous ceux qui font de la politique dans le pays ! » À une relance du journaliste, il répond qu’un infime pourcentage (1%) d’eux ne l’est pas. « Ceux qui font du bruit, ils le sont tous. Peut-être que c’est la structure de l’État qui en est à la base »
L’exemple parfait est, à ses yeux, son ami Michel Martelly qui, soutient-il, a voulu changer beaucoup de choses dans le pays mais les structures l’ont mangé. Il abhorre l’hypocrisie de nos politiques. « Ceux qui parlent à la radio ont des amis mulâtres dont ils prêtent les voitures et de qui ils reçoivent de l’argent. Il faut cesser de mentir au peuple. » « Pourquoi retourner au Sénat ? Aujourd’hui, je ne peux pas y retourner. Pour être rétribué d’un million, de deux millions, de trois millions…. Pour qu’on m’appelle sénateur, Honorable ? Et puis ? Qu’est-ce que je fais pour le pays ? Qu’est-ce que je construis durant mon mandat ? », persifle-t-il, le gestuel pompeux.
Le sénateur indique, sur un autre registre, qu’il va falloir un examen de conscience pour tous les anciens présidents et demander qui est le meilleur. « On ne peut pas s’amuser à dire du mal de Duvalier parce qu’après 1986, on n’a rien fait. Le pays va à reculons », analyse-t-il. À ses yeux, il y a une inflation de la liberté d’expression en Haïti. « On détruit les gens à dessein. Nous ne vivons pas dans une savane ! »
Edwin Zenny ne pardonne pas au Réseau national de défense des droits humains. Il croit dur comme fer qu’ils [les défenseurs des droits humains de l’organisme, ndlr] lui ont fait du tort. « Ils ont menti à propos de moi. Et mes enfants vont en payer les contrecoups ! » Pourquoi vous n’êtes pas candidat à votre réélection aux fins d’inverser un jour le paradigme au Bicentenaire? Sa réponse n’en est pas plus qu’une nouvelle pique administrée à ceux censés défendre les intérêts supérieurs de la nation. «Je ne suis pas candidat à ma réélection parce que je ne veux plus continuer à faire partie des bluffeurs.»
L’entrepreneur, lui qui, couvert de son statut de sénateur, a en septembre 2013 giflé un magistrat en fonction après avoir craché sur son visage, s’en va. Six ans à être traité au petit soin par la République, il ne regrette pas grand-chose. Sans le dire, il ne se bat pas pour une place du bon côté de l’histoire. Quand je suis au milieu des bluffeurs, enchaîne-t-il, je leur ressemble. Votre retour en politique, ce n’est pas quelque chose de certain? «Si, dans peut-être dix ans, quand quelqu’un parviendra à changer les choses au niveau national, j’y reviendrai à dessein», dit-il, citant Jovenel Moïse à qui il donne le bénéfice du doute. Dans ses diatribes, Zenny, plutôt circonspect sur les bords quand on le rencontre dans les travées du Parlement, n’épargne personne. «Ils [les sénateurs] disent du mal du président dans la matinée et ils sont avec lui le soir suivant», révèle l’homme du Sud-Est.
Dans son viseur, il veut surtout fusiller ceux qui masquent leur idéologie, leur vision de la politique. Sont des bluffeurs, à ses yeux, tous ceux qui feignent de ne pas aimer les mulâtres et qui vont manger avec eux et recevoir d’eux de l’argent, loin des caméras. «C’est quelque chose de dangereux, analyse-t-il, sans ménagement. Ils ont des patrons et font mine de ne pas en avoir.» Le sénateur, dans cette entreprise qui s’apparente à ses mémoires, à l’étage de sa peine d’avoir perdu du temps à ne rien faire pendant six ans, n’invite personne à faire comme lui, dans un contexte où des élus vont laisser la place à d’autres. Du reste, il ne fait pas que se lamenter. Il croit, dans sa phère d’influence, avoir poussé des ministres à faire des choses dans son département. «Ce que je n’ai pas pu faire quand j’étais maire», affirme celui qui n’a jamais caché son amitié avec Michel Martelly. La métaphore du sénateur est illustrative de nos malheurs. « On a une classe politique qui ne comprend rien. Que ce soit Jude Célestin ou encore Jean-Charles Moïse, ils ne valent pas grand-chose. Nous avons des chauffeurs qui sont des politiciens et qui ne savent pas conduire », explique-t-il. Et d’ajouter : « La population est dans une misère atroce. Les politiciens sont aussi dans une misère atroce. Ils ont tous faim. Les politiciens ne peuvent rien faire sinon que de la politique. Ils n’ont qu’à vociférer, insulter, faire du bruit et pour être appelés dans la foulée par des ministres qui ne lésinent pas à leur offrir de l’argent ». Est-ce Edwin Zenny qui parle ? « C’est Edo Zenny qui parle. Je suis sénateur sortant. Je suis encore sénateur. J’ai vécu six ans avec eux. » « Ils sont tous des bluffeurs, des menteurs. Je peux en écrire tout un livre », plastronne l’ancien maire de Jacmel.
Le tableau dépeint par l’homme du Sud-Est est accablant et nous rappelle encore combien c’est difficile d’élever une nouvelle Haïti sur les ruines de l’Haïti meurtrie par des décennies de malgouvernance. « Nous détruisons un pays qui est le nôtre. Nous poussons des jeunes vers le Chili, vers le Brésil… Qui est le responsable ? Michel Martelly ? C’est cinq ans qu’il vient de passer à la tête du pays. Il en fait partie aussi. Mais les responsables sont ceux qui ont dirigé le pays pendant vingt ans alors qu’ils avaient promis le changement […]. »
Edwin Zenny s’insurge contre la migration désespérée des Haïtiens vers le Brésil, le Chili… Comme maniant une carabine à répétitions, chacun en a trouvé pour son compte. Il s’interroge : « Pourquoi Jocelerme Privert est resté au pouvoir au-delà du 14 juin, sans mandat ? » Et d’y répondre : « Les forces du mal sont entre ses mains. Martelly, lui, ne pouvait rester un jour de plus. » Mais il dit pardonner à Jean-Claude Duvalier parce que « c’est quelqu‘un à qui on a remis le pouvoir à 18 ans ». « On lui a fait du mal », résume-t-il. Il étiquette Port-au-Prince comme une capitale de merde où, affirme-t-il, il n’a jamais dormi durant son mandat. « Je suis un homme de province ! »
Dans sa grille d’analyse, il porte aux nues les qualités de Jovenel Moïse, élu 58e président d’Haïti, selon les résultats définitifs du CEP. «Jovenel Moïse peut apporter une contribution au développement du pays. Ce n’est pas un aigri. Il est celui qui peut rassembler des gens de différentes tendances autour d’une table.» Edwin Zenny invite Jude Célestin, Jean Bertrand Aristide, René Préval, Michel Martelly à corriger leurs cahiers et proposer quelque chose aux Haïtiens. « Vous n’avez rien fait pour eux. Vous êtes tous des ‘’bétiseurs’’, des menteurs. Vous ne valez pas grand-chose », leur assène-t-il, insistant sur la nécessité de se mettre ensemble, en chassant tout complexe, pour donner une chance au pays. Le sénateur n’est pas du genre à jongler avec l’optimisme facile. « Les Haïtiens vont continuer à quitter Haïti », prophétise-t-il, sans perdre de vue le nécessaire pacte de responsabilité entre les politiques pour changer le cours de notre histoire. Edwin Zenny ne s’arrête pas là. Il estime que la société est en panne de modèle et d’alternative. « Qui est-ce qu’on peut prendre en exemple en Haïti, aujourd’hui ? », se questionne-t-il, perplexe. « Comment je peux laisser mes enfants dans un pays vulnérable à tous les points de vue ? Je dois me préparer pour les emmener en République dominicaine dans la perspective de leurs études. Il faut que j’achète une maison là-bas. Il faut que j’y achète aussi une station-service », plaide le parlementaire. Que faire pour inverser la tendance ? « Se pou tout moun chita ansanm ! »
Le journaliste Wendell Théodore, le débit lent, l’interroge enfin sur les privilèges des parlementaires qui devraient, à certains égards, susciter en lui l’envie de rester dans l’arène. Edwin Zenny hoche la tête et se fend d’un demi-sourire. « Pour les fêtes de fin d’année, on a donné à chaque sénateur un million de gourdes. Pourquoi ? On ne le mérite pas parce qu’on n’a rien foutu », confie-t-il, le sourire narquois. Sur son come-back dans la politique active, l’homme d’affaires se veut précis : « Si Jovenel Moïse n’est pas un grand président, vous ne m’entendrez plus jamais dans la politique » « Où va le pays ? Si les politiques continuent comme ça, dans dix ans on ne pourra plus y vivre », prophétise Zenny, conscient qu’une page d’histoire est en train de se tourner dans sa vie…