Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Chers collègues,
Lors de l’installation du conseil national de la mer et des littoraux, vous avez affirmé le 18 janvier 2013 : « Nous ne pouvons plus aborder la mer de manière aussi sectorielle que dans le passé ». Pour ma part, je considère qu’il faut oser aller beaucoup plus loin dans la rupture avec ce passé ; et j’affirme que nous ne pouvons plus concevoir et aborder la politique maritime munis des œillères centralisatrices et colonisatrices du passé.
Le 06 mai dernier, un projet de décret relatif aux conseils maritimes ultramarins et aux documents stratégiques de bassin maritime a été transmis pour avis au Conseil général de Martinique. Cet avis est à l’unanimité très clairement défavorable.
Le décret prévoit des dispositions qui emprisonnent les collectivités sous le joug de la tutelle de l’Etat en la personne des Préfets. Pourquoi ne pas confier la présidence du bassin maritime aux élus locaux ? Il importe de sortir de cette logique centralisatrice qui ne s’éteint ni même ne faiblit contre vents et marées. C’est quand même le comble du paradoxe pour un gouvernement de gauche ! Au nom de quoi le préfet serait‐il érigé en nouveau gouverneur de la mer?
A ce propos, quels sont les critères de délimitation des quatre bassins maritimes : Antilles, Guyane, Sud Océan Indien et Saint‐Pierre‐et‐Miquelon? Ce découpage à la hache et peut‐ être à la hâte, tend à faire avorter tout développement futur de relations transversales fructueuses entre la Martinique et la Guyane. Pourquoi ne pas créer un grand bassin « Antilles‐ Guyane» ?
D’ailleurs, les dispositifs mis en place doivent nous interroger quant à leur pertinence et leur efficience. Ce qui d’un point de vue central (parisien) peut être considéré comme une problématique secondaire, relève souvent d’un intérêt vital pour nos territoires micro insulaires. Pour nous de nombreux défis sont à relever. Citons entre autres :
‐ la connaissance, la maitrise, la protection des milieux marins et littoraux, des espèces, de la biodiversité, les sanctuaires des mammifères marins,
‐ la fin de la surexploitation du plateau continental,
‐ le développement d’une pêche durable et responsable,
‐ l’élaboration d’un cadre juridique et fiscal attractif au
développement de l’aquaculture,
‐ les centres de thalassothérapie,
‐ les énergies renouvelables maritimes,
‐ la recherche, le développement et la formation
professionnelle,
‐ le développement du tourisme littoral et le transport
maritime,
‐ la promotion de la plaisance et des loisirs nautiques,
‐ la valorisation du patrimoine maritime par la création de
récifs artificiels,
‐ le renforcement de la coopération régionale avec les îles
voisines notamment en matière de recherche de
disparus en mer,
‐ la prévention des risques maritimes notamment des
tsunamis,
‐ la sécurité maritime et la protection sociale des marins,
‐ …etc.
Concernant la pêche, en Martinique, nos eaux sont polluées par la chlordécone ; ce qui engendre l’interdiction de pêche dans un nombre croissant de zones maritimes côtières. Et ce sont 575 dossiers de pêcheurs nécessitant l’aide d’urgence qui ont été recensés par la Direction de la mer. 575! Certes, l’Etat s’engage à leur verser une aide mais à des conditions extrêmement restrictives. Cependant, une fois cette aide consommée à court terme, dans ce contexte de pollution environnementale et de toxicité des directives européennes, quel avenir pour la pêche à moyen et long terme ?
L’alternative du développement des espèces aquacoles est à promouvoir. En 2012 la production halieutique annuelle en Martinique s’élève à 6 000 tonnes et la consommation, elle, se situait entre 18 et 20 000 tonnes. Il y a donc un déficit d’environ 14 000 tonnes à combler.
La révolution aquacole qui reste à enclencher passe notamment par l’élevage de dorades coryphènes, sardes, vivaneaux, thons rouges, oursins, lambis, ou encore de langoustes. Le potentiel est donc considérable.
D’ailleurs, pourquoi ne pas créer un observatoire du milieu marin favorisant une recherche appliquée sur nos espèces endogènes pour optimiser le marché local et l’export ? Il est à déplorer que les recherches de l’IFREMER ne servent que les propres besoins de cet organisme souvent dictés par l’Union Européenne. En dernier ressort, nos pays ne bénéficient concrètement que très rarement de ces connaissances.
En définitive, aucun développement de nos territoires ne peut se concevoir sans une politique cohérente et innovante de la mer. Cette politique ne doit plus se satisfaire d’une navigation à vue mais doit maintenant définir un cap, être dotée d’une boussole de haute précision et enfin d’un bon capitaine. C’est dire qu’elle doit s’ancrer désormais autour d’un acteur pivot : l’élu local.
Jean‐Philippe NILOR