Soyons clair, ce n’est pas une lutte pour plus ou moins de subventions ou de franchise.
C’est une lutte plus fondamentale. C’est une lutte pour la reconnaissance de la personnalité collective du peuple martiniquais, ce qui fonde la revendication, d’un droit à initiative, d’une autonomie capable d’instaurer l’expression de la différence sur un socle d’égalité et de solidarité incontestable ; une autonomie capable d’admettre qu’une loi puisse se construire localement sans que pour autant, le principe régalien de l’égalité des droits soit fragilisé, voire supprimé…
Or, les modalités de la consultation sont bien singulières : on vote d’abord et le contenu de la loi organique est connu après ! Cela ne donne pas toute la transparence démocratique nécessaire pour permettre à la population de voter en pleine connaissance de cause.
Certes, personne ne peut vous en vouloir, Madame la Ministre, vous appliquez les textes en vigueur.
Aujourd’hui, on nous demande de nous contenter d’un service minimum : 1h30-10 mn par député et, bien entendu, pas de vote ! La preuve est faite : nous Martiniquais sommes au stade des doléances et vous, au gouvernement, conformément à l’avis du Conseil d’Etat de 2003, vous n’êtes tenue qu’à une information d’ordre général.
Le Conseil d’Etat est d’ailleurs très clair à ce sujet. Je cite : « les documents qui seront adressés par l’administration aux électeurs ne doivent contenir aucune autre information que celles relatives aux conséquences qui résulteraient nécessairement, en application de la constitution elle-même, du changement proposé, quelles que puissent être, par ailleurs, les modalités de statut de la nouvelle collectivité qui seront ultérieurement fixées par le législateur ».
C’est un bien curieuse conception de la bonne information des électeurs. Est-ce cette idée que la République se fait des droits politiques et des droits démocratiques dans nos différents pays ?
Mais si vous le permettez, Madame la Ministre, j’aimerais ici m’attacher à cette notion « d’Egalité » pour tenter d’en faire le lieu d’une conscience républicaine ouverte.
Je dis d’emblée que l’égalité, ce n’est pas une demande d’assistanat.
Ainsi, lorsque le débat sur notre autonomie s’est ouvert en Martinique, je dois avouer que je me suis d’abord référé à la devise de la République à laquelle j’adhère.
Et je dirais même que c’est au nom de cette devise que, depuis Aimé Césaire, notre Parti – le Parti Progressiste Martiniquais – a fondé sa revendication d’autonomie dans le cadre de cette République.
Autonomie dans une conception généreuse de cette notion de « Liberté » : je le veux bien.
Autonomie dans la « Fraternité », cette fraternité qui sert aussi de base à la construction d’un monde plus juste et plus équitable : je le souhaite.
Mais autonomie dans la pleine reconnaissance de notre identité et de notre personnalité collective en tant que peuple : on en est loin.
Mais surtout : autonomie dans l’égalité des droits.
Et c’est là que se pose le véritable problème.
Le dogme de l’Etat-nation a aussi conduit à cette conception d’une unité monolithique qui se traduit par une République dite une et indivisible. Une et indivisible, cela conduit à l’érosion voire à la néantisation plus ou moins active de la différence.
Mais dans ce monde globalisé, une autre Pensée s’affirme et devient essentielle, c’est celle de la diversité.
C’est cet esprit de diversité qui m’anime quand je défends la thèse de notre accès à un processus de responsabilisation. Mais dans le cadre actuelle de la conception assimilationniste de la République, cela ne peut se concevoir clairement sans une fragilisation, voire sans une rupture de l’égalité des droits.
J’ai défendu la nécessité d’une période d’expérimentation, de transition qui viserait à transformer notre future assemblée unique – celle à laquelle conduira la consultation du 24 janvier – en une « assemblée instituante » ; c’est-à-dire, une assemblée qui nous permettra d’enrichir de notre différence le fond commun républicain ;
C’est-à-dire, une assemblée qui nous permettra de préciser, en préalable à toute décision, les détails, tout au moins les grands principes de la loi qui réglera le transfert des compétences dans le cadre d’un changement de régime constitutionnel.
C’est pour cela que je demande de voter oui le 24 janvier à la collectivité unique dans le cadre de l’article 73, que je considère comme étape inaugurale d’une nouvelle ère de responsabilisation.
Comme nous refusons de nous enfermer dans le 73, nous considérons et nous disons bien qu’il s’agit d’un point de départ qui devrait comporter un pouvoir d’habilitation permettant aux autorités locales de légiférer au delà de deux ans. La loi organique doit être à cet effet revue, puisque la Constitution ne prévoie aucun délai.
Je ne m’inscris pas dans cet article 74 tel que rédigé aujourd’hui car il relève d’une conception étroite de la responsabilité. Il nous impose de décider avant même de savoir comment nous serons traités et dans son esprit, il proclame que toute accession à un degré réel d’autonomie doit se payer, de fait, par une fragilisation de la notion d’égalité.
Sur ce point, le comité Balladur est clair. Je le cite : « un tel choix, celui du 74, emporte pour principale conséquence que le régime d’identité législative n’est plus garanti par la Constitution elle-même, mais par la loi organique ce qui implique que s’ils étaient appelés à se prononcer sur cette question, les électeurs soient pleinement informés de leur choix ».
Dès lors, la vraie question est de savoir comment concevoir l’égalité dans le cadre d’une République qui reconnaît le droit à la différence, comme élargissement de l’espace de liberté.
La réponse doit venir d’une véritable constitutionnalisation de la notion d’autonomie, qui favorise l’élan des différences et des génies particuliers, sur le socle jamais remis en question, de la liberté, de l’identité et de l’égalité.
Madame la Ministre, l’article 74 tel que rédigé dans cette constitution, pose d’incontestables problèmes qu’il faut résoudre.
Il ne conduit qu’à une autonomie de rupture, voire de sanction. La gouvernance qui en découle est tronquée, fragmentée, saucissonnée !
Alors comment peut-on proposer pour la Martinique, un développement, dans le cadre de l’article 74, avec des compétences parcellaires, un pouvoir limité à l’adaptation des textes et des lois qui continuent à se faire en France ? Comment peut-on, libérer les énergies, la créativité et donner un cadre pour affronter les grands défis de ce monde, les drames sociaux et économiques qui minent nos pays sans se donner les moyens d’une gouvernance globale et la possibilité de maîtriser les principaux leviers économiques ?
Ici même, dans cette assemblée, A. Césaire parlant d’adaptation disait « vous voulez adapter la loi française aux département d’outre mer, autrement dit vous voulez changer le détail alors qu’il convient de changer l’esprit.. C’est là une entreprise absurde, et tout le génie du monde n’y parviendra pas…. »
De plus, le Conseil constitutionnel est sans concession à se sujet. Il précise que « adapter la loi, ce n’est pas en altérer la substance car l’adaptation n’est pas la dérogation ».
C’est pour cela, Madame la Ministre, qu’il faut donner au peuple Martiniquais la main, et du coup vous leur donnerez la plume : la première des libertés c’est la liberté de l’esprit. Il faut alors éviter de nous prédéterminer dans un article étroit et inadapté : l’article 74.
Je crois comprendre que le peuple martiniquais veut avant tout être martiniquais, caribéen et exister dans l’ensemble européen et français dans le respect mutuel et dans la dignité. Cela leur donne autant de devoirs que de droits. C’est pourquoi cette collectivité unique ne peut être qu’un point de départ, un espace de recommencement, un premier espace d’auto-organisation.
J’ai compris que la réforme constitutionnelle de 2003, a ouvert la possibilité de régimes politiques à la carte. Si en 2003, un pas a été franchi par des possibilités de légiférer localement, il nous reste à franchir un pas de plus.
Nous appelons à une transition constructive. C’est pourquoi nous vous interpellons Madame la Ministre solennellement. Le Président de la République a en effet ouvert une perspective le 26 juin 2009 en Martinique en déclarant que « la création d’une collectivité unique serait assortie d’un pouvoir normatif renforcé ». Il a même ajouté qu’après plusieurs années et à l’issue d’une évaluation du fonctionnement de cette collectivité, une seconde étape, vers plus d’autonomie pourrait être engagée.
Quelles initiatives seront envisagées par le Gouvernement sur cette question fondamentale ?
L’outre-mer a jusqu’ici été le moteur de la modernisation de notre constitution ; il est aujourd’hui indispensable que nous parvenions à la constitutionnalisation d’une véritable autonomie comme en Espagne, en Italie et au Portugal.
Au sortir de cette consultation, quelle qu’en sera le résultat, nous serons confrontés à la nécessité d’une beauté nouvelle : celle de transformer cette constitution pour que cette diversité qui fait la richesse de la France puisse se vivre dans la liberté, dans la fraternité et dans l’égalité inaliénable ! Je demande que la représentation nationale se saisisse de cette perspective, et qu’elle nous accompagne dans ce combat commun qui sera le nôtre durant les mois qui viennent.
Je ne peux conclure sans penser aux 200 000 martiniquais qui vivent ici dans l’hexagone et qui seront malgré eux des spectateurs passifs au moment d’un choix décisif pour leur pays.
Nous leur devons du respect. Nous avons besoin d’eux, comme ils ont besoin de nous.