JG-US : Ce sont les racines de votre engagement politique ?
JJB : Voilà, ce sont vraiment là les racines de mon engagement politique en France. Il faut dire qu’en arrivant, j’étais déjà militant. J’ai commencé à militer très tôt. J’ai commencé à militer dès l’âge de 15 ans, à Mouldouka, Moule Doubout o ka, ensuite je suis passé à Bijengwa…Mais ce sont des noms qui ne disent plus rien, cela parle aux anciens… C’était le rassemblement de la jeunesse nationaliste guadeloupéenne. Et puis à l’UNEEG, l’Union Nationale des Elèves et Etudiants Guadeloupéens… Toujours dans la mouvance nationaliste.
JG-US : Comment de la mouvance nationaliste guadeloupéenne, vous êtes arrivé à être candidat à des élections en France ?
JJB : En arrivant ici justement, j’entre à la CFDT. La CFDT c’est une culture de la négociation permanente, du compromis. Je me retrouve au bureau départemental, et je suis dans le programme européen EQUAL, contre le racisme en entreprise. Donc je me retrouve à aller avec la CFDT un peu partout : en Angleterre, en Norvège, en Suède. J’ai fait aussi les forums mondiaux, je suis allé au forum social au Brésil. Du coup, il se crée une affinité altermondialiste qui supplante un peu ma sensibilité strictement nationaliste. Cela explique que quelques années plus tard, je milite chez les Verts.
JG-US : Pourquoi les Verts et pas le PS ou le PC ?
JJB : Les Verts c’était le seul parti fédéraliste européen, qui parlait de respect des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, de la charte des langues régionales minoritaires. C’était le seul parti dans lequel je sentais que je pouvais m’exprimer tout en gardant mes spécificités.
JG-US : A-t-il été facile d’obtenir une place sur la liste des municipales ?
JJB : C’est un truc de très très longue haleine. Mon implantation s’est faite progressivement. J’ai d’abord été militant, puis conseiller du quartier Saint-Blaise. C’était une très très bonne école, celle de la démocratie participative, j’y ai fait mes premières armes. Ensuite j’ai été au bureau des Verts du 20e arrondissement durant deux années consécutives. Et puis la troisième année, on m’a dit “propose toi pour être le Secrétaire du groupe”. Et je suis devenu Secrétaire. Il faut savoir que les Verts et le 20e c’était une très très longue histoire. Cela a été pendant très longtemps la plus grosse section des Verts en France. Nous y avons eu nos premiers succès électoraux. C’est l’arrondissement de Denis Baupin (adjoint au Maire de Paris, NDLR). On a fait jusqu’à 18 % dans cet arrondissement. Après avoir été secrétaire, le prolongement naurel ça a été d’être sur la liste aux municipales. J’étais en 5e position…
JG-US : Vous êtes abonné à la 5e place ?
JJB : (rires) non, je savais que ça allait prêter à sourire, mais c’est vraiment un hasard. Cette 5e place, m’a placé en position éligible, et je suis devenu adjoint au maire.
JG-US : Vous êtes aussi 5e sur la liste pour les européennes. En cas de victoire, vous avez des chances de devenir euro-député?
JJB : Il faudra que la liste conduite par Cohn-Bendit fasse un très bon score…
JG-US : C’est pas gagné?
JJB : Moi j’y crois. Je ne vais pas dire que je n’y crois pas. Je pense qu’on est dans un contexte particulier, celui d’une crise sociale et environnementale. Si les habitants de l’Ile-de-France, nos électeurs, comprennent que le seul parti capable d’allier ces deux urgences c’est les Verts, on devrait faire un bon score. Mais vous le savez la logique électorale n’est pas si mathématique que cela. Mais en cas de bon score, oui je suis bien placé pour être député européen… Et puis après on ne préjuge de rien, parce qu’une fois qu’on est député européen, c’est des négociations pour savoir à quelle commission on va participer. Mais bon laissons déjà se faire les élections, ne tirons pas de plans sur la comète…
JG-US : On a parlé de votre attachement à la Guadeloupe. Bien que vous soyez candidat en Ile-de-France, est-ce que selon vous il y a des enjeux spécifiques pour l’outre-mer?
JJB : Il y a un enjeu très très important. Excusez-moi si je suis technique. Lorsqu’on a négocié le Traité Européen, on a créé deux catégories de territoires d’outre-mer. On a créé les régions ultrapériphériques européennes, qui sont esentiellement les DOM, pour la France. La France a fait le choix de placer les DOM, qui étaient régis par l’article 73, dans le régime des régions ultrapériphériques européennes. Conséquence, les départements ont été dans l’objectif 1 de l’Union Européenne. Dans l’objectif 1, on retrouve toutes les régions qui sont en retard de développement, dont le PIB n’atteint pas 75% de la moyenne européenne. Il faut savoir qu’on frôle les 75%, actuellement on est à 74,8%, donc on est pas très loin de l’objectif. Il y a une autre catégorie, les pays et territoires d’outre-mer (PTOM). Là, on trouve, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie Française… eux, ils ne sont pas dans l’objectif 1. Donc, ils n’ont pas droit aux fonds structuraux européens. Ces financements européens, selon qu’on est région ultrapériphérique ou PTOM, sont divisé par 4. Or ça finance, les infrastructures, le développement, on peut financer pratiquement tout ce qui concerne les retards de développement avec ça. On a pas su profiter de ces fonds. Quand on voit les possibilités d’infrastructures qu’on pouvait faire avec ces fonds et qu’on a laissé passé cette chance. Avec l’élargissement européen, il y a d’autres pays qui sont dans l’objectif 1, donc le volume à distribuer n’est plus le même, alors que durant des années nous y étions et nous n’avons pas su en tirer profit. C’est toute la problématique de l’outre-mer… Actuellement on est dans une situation où certains territoires manifestent leur désir de plus d’autonomie. Ces territoires sont freinés parce qu’ils ont peur de basculer d’une catégorie de l’Union Européenne à une autre. Saint-Martin, par exemple, se trouve dans une situation où en votant oui au referendum, elle est passée de l’article 73 à l’article 74. Du coup elle est entrain de négocier, pour voir si elle peut rester dans les régions ultrapériphériques européennes pour continuer à bénéficier des aides européennes prioritairement. La Martinique, où le congrès s’est réuni et a pris la décision de changer de statut, a le même type de problème. On va se retrouver dans la même situation si la Guadeloupe ou la Guyane veulent aller par là. Lorsqu’on parle de développement économique endogène, il me semble que c’est un vrai frein à la prise de responsabilité. Ils n’y vont pas, tout simplement parce qu’ils ont peur qu’en ayant moins de fonds, ils se retrouvent avec des difficultés d’administration et de gestion. Donc, il faut faire sauter ce levier. Et où on peut faire sauter ce levier ? D’une part sûrement en modifiant la Constitution, mais de toute façon c’est le Traité Européen qu’il va falloir revoir. Et ce n’est pas qu’une question d’autonomie au sens juridique. Lorsqu’on voit que le gouvernement autonome des Canaries fait partie des régions ultrapériphériques. Les Canaries ont droit à leur gouvernement, à leur hymne national, à leur drapeau… Donc, je ne vois pas pourquoi les régions ultramarines qui souhaiteraient changer de statut ne devraient pas rester dans les régions ultrapéripériques européennes, et bénéficier de la manne financière qui leur permettrait de se développer. Ce combat il faut le mener au niveau européen. Faire la co-officialité des langues sur leur territoire d’élection c’est aussi un combat qui se mène au niveau européen.
JG-US : Ce sont des combats que vous comptez mener ?
JJB : Bien sûr ce sont des combats que je compte mener, que les Verts mènent et que si je suis élu député européen je continuerai à mener. Nous sommes dans ces élections associés à Peuples et territoire autonomes, qui est une organisation qui prône les régions autonomes européennes, basque, catalane, etc… Donc nous sommes vraiment dans cette logique. Et ça revient à la question que vous m’avez posé au départ. Pourquoi j’ai adhéré aux Verts ? Parce que c’est le seul parti avec lequel on peut discuter de ces choses-là. Il y a des choses où mes camarades socialistes et communistes font naturellement un blocage parce que ce n’est pas leur culture. Leur culture c’est la culture jacobine.
JG-US : Et pour nous, “ultramarins de France”, y a-t-il un enjeu spécifique pour les élections européennes ?
JJB : Oui, il y a des enjeux nous concernant. Faire en sorte que la France ratifie la charte des langues régionales minoritaires, c’est un enjeu qui nous concerne. Par exemple, en région Ile-de-France où nous sommes si nombreux, c’est tout un combat pour faire un sorte que certains lycées inscrivent le créole à leur programme, alors que nous représentons un certain nombre de la population. Ce sont des combats que nous devons mener avec les autres minorités au sein de l’Union Européenne pour faire pression sur la France pour qu’elle fasse passer ces dispositions dans le droit législatif français. Cela nous concerne, nous ultramarins qui vivons ici. Et de toute manière nous vivons ici, donc nous avons aussi les préoccupations des autres personnes: des préoccupations environnementales, sociales… Mais tout ça nous met dans une situation où nous devons aller aux éléctions européennes et montrer que ce qui se passe nous intéresse. La quantité de pesticides qu’on met dans les aliments, ça nous intéresse. Surtout quand certains scientifiques hurluberlus osent prétendre que nous avons je ne sais quelle prédisposition au cancer de la prostate et du col de l’uterus pour les femmes. Donc tous ces enjeux qui sont situés au niveau européen nous concernent, aussi bien que les autres personnes vivant en France. Même si nous avons en plus des choses spécifiques.
Propos recueillis par Julie Gestel pour http://urbansapotille.com/