Jusqu’ici on parlait de ce genre de chose en off. « Untel, i renmen ( ?)* timoun » mais pas plus. Cela montre le seuil de tolérance que nous avons face à l’abject.
On connaissait au village, ceux qui étaient adeptes du « mwen pa ka nouri chouval pou ba ofisié monté’y« , mais il ne viendrait pas à l’idée de quelqu’un de les dénoncer, c’était des gens respectables ou anonymes…. commerçant, exploitant agricole, et autres…..
J’étais en classe avec une gamine adorable qui d’un coup s’est éteinte, regard fuyant, visage triste. Elle a grandi ainsi. Je ne reconnaissais pas par la suite cette fille, tant elle refusait même le simple regard, (collège, lycée) puisque je la voyais encore.
Les mauvaises langues disaient qu’elle était « sauvage », qu’elle sera bonne sœur.
J’ai appris 40 ans plus tard que son père l’utilisait à son gré depuis son enfance et en avait fait sa seconde femme à la maison. En fait tout le monde dans son quartier, savait. Bien au-delà du cercle familial, les voisins étaient au courant… les frères se sont tous tus.
Je l’ai croisée récemment, depuis la mort de son père. A plus de 60 ans, elle n’est plus la même personne, redevenue enjouée, active, souriante. On dirait de nouveau un regard d’enfant celui de celle que j’avais connue dans les petites classes… Elle m’a parlé en me tenant la main, a souri… j’avais presqu’envie de m’excuser…
Une femme qui n’a pas eu de vie d’enfant, de vie affective, de vie de femme, qui a vécu dans la culpabilisation, dans la souffrance…
Donc, quand des gens se permettent de juger celles qui parlent aujourd’hui, je leur dis d’aller se faire FOUTRE, très sincèrement….
Après, j’ai regardé les gamins ou gamines de ma génération que nous savions être plus ou moins victimes de tels agissements de leur père, comment elles ont évolué…. RARES sont celles qui sont indemnes (suicide, boulimie, comportements divers empreints de bizarrerie, recours excessif au magique, plongée excessive dans la religion)… Après, on comprend en fait que la mère morte jeune ce n’était pas le hasard (suicide ou dépérissement ou congestion…), que le frère qui se coupe des amis et du monde, ce n’est pas le hasard…
Encore une fois, que ceux qui ne savent pas la ferme. Il leur est interdit de juger celles qui parlent….
Même si pour un cas sur mille, ce serait un mensonge, argument à la con que tiennent certains, c’est le risque à prendre pour que les 999 autres puissent parler.
Je ne sais pas si c’est plus commun ici qu’ailleurs, mais c’est bien plus commun qu’on le croit ici. Les « ki manyé ou pa té sav ? », qui s’entendent dans des discussions entre adultes, quand on parle de Mr X ou Y, décédés ou de sa fille (ses filles) « singulière.s » depuis…. je connais dans mon cercle d’amis….
Les « mé wi, papa’y té ka chaché an pwen« … apparaissant comme une excuse envers le père qui était un joueur, mélange de magique et perversité. Le pire : entendre expliquer les difficultés matérielles ou psychiques de victime adulte comme » sé malédiksyon papa’y ki anlèy« , c’est à dire que la victime devrait supporter l’infamie du bourreau… étrangement et abjecte appréciation !
La misère et la promiscuité dans une petite chambre entre grands frères et petites sœurs étaient aussi le terrain « favorable » à des choses abjectes… Je me souviens d’une jeune enseignante d’ alors, qui était à la maison, qui avait raconté à ma mère enseignante plus âgée, ses rapports enfant avec son frère ainé tant elle souffrait, femme, de cela…
Je pense que beaucoup de gens connaissent des cas dans leur entourage et que donc il leur est simplement commode de dire qu’il ne faut pas en parler car cela les gène, cela les ramène à leur propre histoire du village, du quartier, de la famille, à ces rires entre hommes ou femmes envers les filles victimes, l’absence de compassion, d’empathie, à leur égard, uniquement les « Ay, manzel, tet-li pa bon, papa’y (té) ka koupé’y » comme simple commentaire, les bonjours normaux envers les enfoirés, cela nous ramène à nos amis, adultes « ki té ka koupé ti-manmay lékol« , etc…
Cette remise en question leur semble impossible… c’est tout!!
Comme les victimes, on doit simple citoyen apprendre à signaler aussi cela, ce n’est pas de la délation, c’est de la non-assistance à personne en danger…
Hier, je pense avoir perdu un ami d’enfance quand il m’a appelé pour me faire part de son intention de faire une lettre ouverte pour « dénoncer » le fait que « Loulou ne peut pas se défendre, tout le monde a le droit de se défendre…..cette femme est capable de n’importe quoi... »
Désolé, mais je ne peux pas avoir un ami qui pense ainsi, fut-il jusqu’alors l’un de mes tous meilleurs amis !!
Luc Léoture
*comme on aime de la viande.
