Bondamanjak

« Il est urgent de construire l’avenir des Outre-mer »

Ce long malaise témoigne d’un sentiment d’inachevé lié à la loi du 19 mars 1946 qui contenait, aux yeux de ceux qui la défendaient, de grandes promesses. Aimé Césaire remarquait que « jamais loi n’avait été plus populaire » pour signaler aussitôt que, tôt ou tard, surgirait le problème de l’identité. La relation entre l’Etat et les Outre-mer a toujours buté sur cette question : quel lien construire entre la République et des territoires géographiquement éloignés, aux héritages complexes issus de l’esclavage et du statut colonial, aux histoires et cultures singulières, mais qui ne rejettent pas la citoyenneté républicaine.

Au-delà des réponses immédiates à des préoccupations légitimes, l’urgence est d’apporter des réponses concertées aux défis structurels auxquels les Outre-mer sont confrontés dans la diversité de leurs singularités. Les disparités entre revenus augmentent, les prix des matières premières, des denrées alimentaires mettent à mal les budgets des familles, la mondialisation menace des économies fragiles. Les atouts sont cependant là : énergies renouvelables, recherche sur le climat, sur la biodiversité, sur les maladies émergentes…

L’avenir ne peut être encore une fois sacrifié au présent en privilégiant les fausses solutions à court terme (subventions/dérogations/défiscalisations). Le moment est venu de (re)construire un projet territorial, une parole forte — réunionnaise, martiniquaise, guyanaise et guadeloupéenne — susceptible de fonder un véritable vivre ensemble apparu au sein de chacune des sociétés concernées et des dispositions inédites au dialogue affichées par les plus hautes institutions de l’Etat.

Dans cette perspective, il importe sans doute de rappeler quelques évidences. Tout d’abord, celle de la profonde diversité des Outre-mer. Trop longtemps, cette vérité élémentaire a été gommée par l’uniformité trompeuse de politiques inadaptées, sous l’effet de l’ignorance, voire du mépris des décideurs parisiens. Aujourd’hui, il est grand temps d’entendre que ce qui est bon pour La Réunion ne l’est pas forcément pour la Guadeloupe et de comprendre qu’il serait vain de superposer un protocole guyanais sur la réalité martiniquaise. Ensuite, rappelons que nulle instance ne pourrait se substituer à l’expression irremplaçable de la société civile dont il s’agit de libérer la parole et d’entendre les requêtes, malgré les aléas inhérents à ce type d’exercice.

Levons d’emblée quelques malentendus sur les États généraux des Outre-mer. Rien ne serait plus étonnant que — comme par enchantement — les milliers de personnes qui ont rempli les rues de Pointe-à-Pitre à Saint-Denis, de Cayenne à Fort-de-France, se soient précipitées dans les ateliers ouverts dans chacun des quatre territoires. D’une part, l’histoire milite en faveur de la méfiance par rapport aux initiatives venues de Paris. Cette méfiance envers l’Etat, soupçonné d’indifférence ou de mépris, coexiste avec une profonde attente de son action, mais avec un Etat qui joue son rôle avec plus d’humilité et plus de respect. L’Etat doit écouter et entendre et ne pas se défausser.

D’autre part, l’exercice requiert courage et effort, esprit de responsabilité et capacité d’imagination. Les médias nationaux et locaux tentés par la perspective d’un « ratage » qui serait plus « vendeur » qu’un succès doivent cependant comprendre quelles seraient les conséquences d’une impasse. Une fois passé le temps court, très court de « l’information », renverra-t-on une fois de plus ces populations à leur « périphérie » ?

Enfin, est-il utile de souligner la nécessité d’un nouveau discours de légitimation des Outre-mer au sein de la République ? Au-delà de ses causes immédiates, ce que la crise récente a également révélé avec force, ce qui presse avant tout, du petit artisan au fonctionnaire, du demandeur d’emploi à l’étudiant, du chef d’entreprise à l’agriculteur, c’est bien d’éradiquer ce sentiment diffus, mais tenace, culpabilisant à l’envi, de coûter plus à l’Etat qu’on ne lui rapporte, d’être toléré, mais pas véritablement reconnu par la France, de se sentir comme une étrangeté installée en son for intérieur.

Sortir de la crise, c’est aussi renverser cette perspective séculaire, en montrant, au contraire, comment les Outre-mer sont de véritables laboratoires de la diversité culturelle et confessionnelle, mais surtout les berceaux d’idées et de créations.

Fred Constant est professeur de sciences politiques au Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe.

Daniel Maximin est poète, romancier, ex-directeur régional des Affaires culturelles en Guadeloupe.

Françoise Vergès est politologue, auteur de “La Mémoire enchaînée, question sur l’esclavage” (Albin Michel, 2006) »

 

Source :  http://www.temoignages.re/il-est-urgent-de-construire-l,37348.html