Faire des Collectivités d’Outre-Mer des laboratoires du développement durable, telle est la volonté exprimée par les Ministres successifs et ce, tout gouvernement confondu. Christian Estrosi, l’actuel Secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, n’a pas échappé à la règle. Lors de sa récente visite en Martinique, il s’est lancé dans un discours vantant la très grande richesse de la biodiversité de la Martinique. Mais, cette annonce faite à Bellefontaine, à grand renfort médiatique, contraste singulièrement avec la réalité que nous vivons localement.
La biodiversité a fait l’objet d’une Convention-cadre en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre de Rio, signée puis ratifiée par la France le 1er juillet 1994. Elle illustre bien le fossé qui existe entre effets d’annonces médiatiques et actions concrètes sur le terrain. Car, en dépit du discours du Ministre, au même moment, à moins de dix kilomètres, se perpétrait un véritable saccage de la rivière du Carbet, une des plus riches de l’île du point de vue de la biodiversité. Interpellé par un Collectif des « Oubliés du Quartier Pitons » sur la construction d’un batardeau et d’un pont au bon mitan de la rivière, j’ai personnellement signalé au Ministre les manquements graves de ses services, notamment de la DIREN, dans cette affaire : non respect du biotope, aucune étude d’impact, bétonnage du fond de cette rivière torrentielle et mise en danger de la vie des usagers. A cela il faudrait ajouter l’absence d’information du public quant à la nature des travaux, à son coût et au bureau d’étude retenu par le maître d’ouvrage. Un mépris insupportable vis-à-vis des riverains, des agriculteurs qui y tirent le produit de leur labeur mais aussi des contribuables que nous sommes. Enfin, une atteinte quasi-irréversible à l’environnement en pleine effervescence médiatique sur le fameux Grenelle de l’Environnement.
Le ministre Estrosi est parti et les problèmes demeurent ! Malgré la rediffusion par RFO du JT où il s’engageait à faire arrêter de tels travaux, malgré un barrage du Collectif et des engagements du maître d’ouvrage, ses services déconcentrés ont, après quelques réunions bidons, laissé faire. Car, par leur négligence manifeste, ils avaient déjà contribué à la destruction de ce site exceptionnel entraînant une défiguration des lieux que même l’ouragan DEAN n’avait pu occasionné.
Quelle crédibilité accordée alors à la DIREN, à autres services de l’Etat, au Sous-préfet de Saint-Pierre et à tous ces discours que l’on nous tient sur la biodiversité quand, au nez et à la barbe de tous, ils laissent un maître d’ouvrage saccager durablement notre écosystème insulaire ? Avec cet exemple de la rivière des Pitons, nous nous sommes éloignés considérablement des principes de la Charte de l’Environnement, ce texte à valeur constitutionnelle consacrant les Droits de l'homme et de la Société dans son Environnement !
La biodiversité est-elle menacée en Martinique ?
La biodiversité est une préoccupation commune à toute l’humanité mais nous n’en sommes pas toujours conscients. Prenons l’exemple de la disparition de notre littoral des burgaux, de l’oursin blanc, de la langouste, du lambi où des écrevisses, jadis très abondants dans la rivière du Carbet. Nous en sommes conscients parce que culturellement nous sommes attachés à certaines traditions culinaires. Ces disparitions, qui se sont produites à une vitesse vertigineuse, ne sont que les stigmates de nos modes de consommation et d’une exploitation non rationnelle des ressources marines. Elles devraient nous interpeller beaucoup plus car elles accompagnent une tendance générale de disparitions de certaines espèces animales ou végétales toutes plus ou moins liées à la destruction des massifs coralliens ou de la mangrove, à une déforestation excessive et à l’impact de la pollution de nos ressources naturelles. Plus de 56 espèces d’arbres sont en danger d’extinction, plusieurs espèces de mammifères se sont éteintes et certains oiseaux, tortues marines, mammifères marins, chauves-souris et reptiles terrestres sont menacés de disparition.
Ce constat est la conséquence directe d’une forte pression démographique sur un petit territoire insulaire comme le nôtre et ce d’autant plus que les réponses apportées en terme d’aménagement du territoire, de protection de l’environnement et de ses ressources, de l’occupation de l’espace naturel à des fins économiques ou urbanistiques demeurent insuffisantes. C’est à ce niveau aussi que l’écologie urbaine pourrait trouver toute sa pertinence.
Que pouvons-nous faire ?
Sensibiliser davantage nos concitoyens sur la préservation de la biodiversité. Mais, la sensibilisation ne doit pas être un trompe l’œil politique comme pour se donner bonne conscience notamment lors d’une visite ministérielle aux Antilles ! Elle n’a de sens que si la volonté politique exprimée par ces Ministres de la République est respectée localement. Reste à résoudre l’épineuse question du financement. L’Etat et les Collectivités doivent mettre les moyens pour l’inscrire dans une dynamique de développement durable à partir d’actions concrètes (protection réelle des espaces remarquables, préservation effective des espèces menacées, gestion plus rationnelle de nos rivières, mangroves et forêts, préservation et mise en valeur de la faune et de la flore, lutte contre les pollutions agricoles et industrielles), d’évaluations régulières de ces actions et surtout d’une mise en cohérence des différentes politiques menées en faveur de la protection de la biodiversité.
Cette approche ne peut donc faire l’impasse sur l’éducation des enfants, la formation des enseignants et la recherche scientifique appliquée, autant de secteurs où la Martinique tarde à s’investir pleinement mais qui pourraient ouvrir de réelles perspectives en terme d’emplois pour les jeunes étudiants antillo-guyanais.
Louis BOUTRIN