La #Guyane est souvent présentée comme le plus grand département français et comme le terrain de jeu de la fusée Ariane. Nous avons voulu prendre le poul de cet éternel eldorado en interrogeant un écologiste au verbe volée de bois vert, Harry #Hodebourg. Ça vaut son pesant d’awara.
Bondamanjak (BMJ) : Harry Hodebourg (Délégué Régional de CAP 21 Le Rassemblement Citoyen Guyane) comment allez-vous ? On ne vous a pas beaucoup entendu dans les médias récemment …
Harry Hodebourg (HH) : Bonjour ! Tout d’abord laissez-moi vous remercier pour cette interview parce qu’on a beaucoup de news de la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion sur #Bondamanjak mais si peu de la #Guyane (Ou té ni sa a di). Je vais super bien, merci. C’est normal que vous ne m’ayez pas entendu car je suis très occupé, je travaille, je travaille.
BMJ : Vous en avez fini avec la politique ?
HH : Beaucoup de personnes m’arrêtent dans la rue et me posent la même question. Permettez-moi de clarifier quelque chose. Je ne suis pas un politicien professionnel et je n’y aspire pas. J’ai une activité professionnelle très prenante et une vie personnelle. D’ailleurs je ne fais de la politique ni par ambition, ni par passion, ni par obsession. A la rigueur, ça me chier d’en faire car ça bouffe mon temps ou en prend sur mes autres activités mais je le fais par devoir citoyen. Je souhaite apporter ma pierre à l’édifice commun. Je pourrais être égoïste et rester dans ma bulle mais je fais le sacrifice de m’exposer. Je ne veux pas être un spectateur passif d’un monde qui s’écroule.
BMJ : Est-ce à dire que vous ne faites pas de la politique « sérieusement » ?
HH : Pas du tout. Je suis engagé mais je n’ai aucune intention de faire carrière dans la politique. Si les citoyens me font l’honneur de m’élire un jour, je travaillerai à fond pendant un mandat puis retournerai avec plaisir à la vie civile. Exercer des mandats politiques pendant 30 ou 40 ans en se servant plus qu’en servant le peuple ne m’intéresse pas. Tous ces profiteurs incapables au terme d’une longue carrière d’améliorer vraiment la vie des gens finissent dans les poubelles de l’Histoire.
BMJ : Pourquoi ne vous a-t-on pas entendu pendant la campagne pour l’élection à la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) ?
HH : Parce que je n’étais pas candidat, tout simplement. Ça vous a échappé ?
BMJ : On vous a beaucoup entendu pendant la pré-campagne, alors pourquoi n’êtes-vous pas allé au bout de votre démarche ?
HH : Parce que cette élection était jouée d’avance ! Alors à quoi bon dépenser de l’énergie, du temps et de l’argent pour un échec programmé, pour être un « jouet sombre au Carnaval des autres » selon Césaire ? Je suis un homme prudent et réfléchi donc j’ai très vite analysé que seules les listes des 2 Dòkò se qualifieraient pour le deuxième tour, alors à quoi bon y aller ? Le résultat m’a donné raison.
BMJ : Pourquoi était-ce joué d’avance selon vous ?
HH : Parce que Rodolphe Alexandre est un as de la com’. Il a réussi en 5 ans à imprimer dans la tête des Guyanais l’image de lui-même comme étant un homme travailleur, déterminé, à l’écoute des problèmes de tous, compétent. A partir de là, l’élection était une formalité pour lui.
BMJ: Vous ne souscrivez pas à cette image ?
HH : Tout le monde a des qualités et des défauts. Nobody is perfect except my mother !
BM : Y a-t-il au moins une personnalité politique guyanaise qui trouve grâce à vos yeux ?
HH : Bien plus qu’une ! Comme je disais, personne n’est parfait mais il y a beaucoup de personnes de qualité dans le paysage politique guyanais.
BM : Vous pensez à des personnes en particulier ?
HH : Il y en a beaucoup, franchement … [Il hésite] Je regrette que des personnalités fortes et très compétentes comme José Gaillou, Florencine Edouard, Fabien Canavy, Marc Monthieux, Chantal Berthelot, Marie-Josée Lalsie, Paulin Bruné, Rémy-Louis Budoc, Jean-Marie Taubira et d’autres soient absentes de la CTG. La Guyane a pourtant besoin de toutes ses forces …
BM : Justement, comment va la Guyane aujourd’hui ?
HH : Pour moi, la Guyane est en état de mort clinique sur les plans économique, politique et social. Heureusement qu’il y a la culture et le sport !
BMJ : Développez !
HH : Sur le plan économique, les organisations patronales MEDEF, CGPME, PMI, UTPE, et les syndicats de travailleurs UTG, SUD, FO, CFDT, SE-UNSA, etc. sont unanimes : c’est la cata. Moi-même qui suis chef d’entreprise, je ne vais pas dire le contraire.
En politique c’est pire ! Dans de nombreux conseils municipaux, ils passent plus de temps en bisbilles internes qu’à répondre aux besoins des administrés. Au niveau de la CTG, la feuille de route c’est voyage à Paris toutes les semaines pour demander de l’aide financière. On sait bien que le gouvernement fera un effort mais ne satisfera pas toutes les demandes. Au final, ça va se terminer par un emprunt obligataire que vont payer les générations futures. Les Guyanais ont voté gaiement et bientôt ils passeront amèrement à la caisse.
Côté social, pa menm palé, chômage, délinquance et autres misères …
BMJ: Et le positif ?
HH : Heureusement qu’il y a la culture. Le foisonnement culturel est kiffant dans ce pays : musiciens et chanteurs de grand talent dans tous les styles, plasticiens, compagnies de théâtre, de danse, de conte et en plus désormais la Guyane s’affirme comme une terre de cinéma. Le Bureau d’Accueil des Tournages de la CTG fait un boulot formidable.
Ce pays regorge aussi de talents sportifs : nos Yana Dòkò en football, nos athlètes Marvin, Loïc, Alan, Harrison, Dave, notre futur champion olympique de natation Mehdy, nos champions en basket, judo, taekwondo, escrime et j’en passe !
BMJ: Vous êtes donc optimiste concernant l’avenir de la Guyane ?
HH : Ça dépend des jours ! Quand j’entends par exemple qu’ils recommencent à nous gazer avec leur baygonneuse ou qu’ils sont prêts à sacrifier des milliers d’hectares de forêt guyanaise pour construire un barrage hydroélectrique, je suffoque.
BMJ : Dites-nous-en plus !
HH : Ici l’inconséquence est ordinaire ! Je vais essayer de résumer. Tout le monde ici connaît mon combat de l’année dernière contre le Malathion, cet insecticide neurotoxique interdit par l’Union Européenne avec lequel on a gazé la population guyanaise grâce à une dérogation ministérielle pour lutter contre le moustique vecteur du chikungunya.
A l’époque on nous disait que le recours à cette arme chimique de destruction massive était nécessaire parce que la Deltaméthrine, précédemment utilisée était devenu inefficace à cause des fortes résistances développées par les moustiques. Finalement, l’utilisation du Malathion a été à son tour suspendue lorsque celui-ci a été classé « Cancérogène probable » par l’OMS. Et aujourd’hui, devinez quoi ? Puisque le zika vient à son tour nous pourrir la vie, on nous ressort la Deltaméthrine, celle-là même qui a été jugée inefficace par l’Institut Pasteur, il y a moins d’un an. Et on paye cher pour ces pulvérisations. On marche sur la tête dans ce pays !
Concernant le barrage … Ça fait 15 ans que les syndicats d’EDF Guyane alertent la société sur la nécessité de renforcer, de moderniser et de sécuriser les moyens de productions, de transport et de distribution de l’énergie pour un pays avec une croissance démographique exponentielle.
Rien n’a été fait, surtout que les politiques n’ont pas mis une pression suffisante sur la société. Désormais le quotidien de milliers de Guyanais c’est coupures à répétition et on craint même un black-out à l’échelle du territoire. Certains lobbys veulent à tout prix imposer la construction d’un deuxième barrage pour répondre à la situation mais c’est une solution suicidaire ! En effet, entre études et travaux, cette histoire va durer 20 ans et nous seront en pénurie électrique bien avant.
Nous écologistes demandons que dans le cadre de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie une décision pour la construction d’une nouvelle centrale thermique hyper-moderne soit vite actée et que parallèlement on mette le paquet sur la recherche des solutions les plus performantes au niveau mondial d’énergie solaire pour une vraie transition énergétique.
Noyer de la forêt pour un barrage c’est 50 ans de rejet de gaz à effet de serre à venir issu de la décomposition végétale.
Sans compter que l’engloutissement de 100 000 hectares de forêt pour ce projet c’est autant de capteurs de dioxyde de carbone qui feront défaut à la Planète. En l’espèce nous aurions plus un barrage idiot-électrique qu’un barrage hydroélectrique. Ils sont fous !
BM : On vous sent remonté …
HH : Dégoûté oui !
BM : Un mot sur les élections de la Collectivité Territoriale de #Martinique (CTM) et de la Région #Guadeloupe ?
HH : Heureux !
BMJ : Plus qu’un mot alors …
HH : Je me réjouis de la victoire de M. Chalus parce que premièrement son prénom est Ary. Ravi aussi de la victoire de Chaben parce que M.B. ma fiancée quand j’étais au CP était sur sa liste.
Plus sérieusement, je suis ravi que les grands peuples guadeloupéens et martiniquais aient osé le changement. Toto et Sergio ont certes fait du bon travail mais le peuple a dit « Zot pa fè asé. Gadé chomaj an péyi-a ! » En Guyane, on s’est contenté de si peu. Pas de lycée à Maripasoula, à Saint-Georges, il en manque un à Saint-Laurent et pourtant nous avons reconduit les fossoyeurs de l’avenir du pays. Quel avenir possible sans éducation ?
Pour l’élection à la CTM, j’ai bien aimé aussi l’union Marie-Jeanne – Monplaisir preuve qu’une union transcendant les idéologies est possible pour l’intérêt supérieur du pays.
Malheureusement en Guyane, certains politiciens bornés se sont enfermés dans une stratégie perdante de non-union.
BMJ : Vous vous intéressez à la politique nationale ?
HH : Bien sûr puisque j’essaie même d’être modestement acteur de la politique guyanaise ! Mais peut-être parlez-vous de la politique « française » …
BMJ : De la politique française si vous préférez. Vous avez un favori pour la présidentielle de 2017 ?
HH : Non.
BMJ: Vraiment ?
HH : Je n’ai pas un favori mais des favorites. Les hommes ont lamentablement échoué en politique dans l’Histoire récente alors je dis place aux femmes ! J’aimerais vraiment voir une femme à la tête de l’Etat français en 2017. Quelqu’un comme Corinne Lepage, une femme intègre, visionnaire et ultra-compétente ou Cécile Duflot une formidable battante, incorruptible. Son départ du gouvernement dès les premiers désaccords de fond en est la preuve. Elle a privilégié son éthique personnelle aux ors de la République. Je pense aussi à NKM qui concilie assez bien un certain libéralisme économique avec une vision sociale et écologique de la société. Bombasse en plus ! Et évidemment, il y a Christiane Taubira, une femme exceptionnelle qui a toutes les qualités pour relever la France, tombée dans un repli pseudo-identitaire mortifère.
BMJ : Taubira vous la citez par chauvinisme ?
HH : Non Monsieur ! C’est vrai que Christiane habite dans la même rue que moi à Cayenne mais je ne vous permets pas de parler de « cho vini-sme ». Pa gen piès rézon pou mo « vini cho » ! Respectons-nous !
BMJ: Y a-t-il des fiottes parmi les politiciens guyanais ?
HH : Fillotte, ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu ce mot ! Depuis Les Visiteurs 2 ou 3 …
Oui il y a des fillottes, des femmes dont les parents ont fait de la politique avant elles, des « filles de », mais ça ne me gêne pas. Elles ont été élues sur leurs qualités, pas grâce à leur ascendance.
BMJ : Des noms pour nos lecteurs non-Guyanais ?
HH : Marie-Laure Phinéra-Horth, maire de Cayenne, Chantal Berthelot, députée, Juliana Rimane, ex-députée …
BM : Quels sont vos projets politiques à venir ?
HH : Développez l’assise militante de CAP 21 Le Rassemblement Citoyen Guyane pour en faire une force de terrain et de proposition qui compte.
BMJ: Vous êtes sérieux ? On a du mal à vous croire. Ça ne risque pas de rester un micro-parti votre truc ? N’avez-vous pas plutôt l’intention de participer au mercato pour rejoindre un grand parti comme le PSG à l’instar de Gabriel Serville en son temps ou Jean-Marc Aimable il y a peu ? On vous dit aussi proche du MDES et des Républicains guyanais …
HH : Je discute et j’échange avec tout le monde donc il y a certainement des photos de moi avec tel ou tel dans la nature mais j’ai une ligne politique claire. Je suis à CAP 21, un parti écologiste, humaniste qui se bat pour que la société civile prenne toute sa place dans la politique. Donc pas de mercato en vue, je ne vais pas à la soupe comme certains !
BMJ : Vous aviez déclaré à notre confrère Guyaweb en juin dernier que vous prépariez un livre pour septembre et on a rien vu. Simple fanfaronnade ?
HH : En fait, ce livre je l’ai bien écrit et j’ai même obtenu la collaboration d’étudiants guyanais pour un chapitre intitulé « Regards de la jeunesse ». J’ai pris contact avec Paulin Bruné qui est éditeur pour sa publication et lui ai expliqué le sens de ma démarche. Il m’a demandé si j’étais candidat à la CTG et j’ai répondu non. Il m’a alors conseillé de ne pas sortir un livre « programmatique » alors que je ne suis pas candidat, ça n’aurait pas eu de sens. De plus, dans le brouhaha de la campagne, j’aurais été peu audible. Donc j’ai remis la publication de ce livre, enrichi, à plus tard.
En revanche, j’ai participé à la COP 21 en décembre dernier et ce fut une expérience qui a changé ma vie que je compte relater dans un ouvrage dès cette année.
De façon générale, je constate qu’il n’y a quasiment pas de production littéraire du personnel politique guyanais (à part Taubira mais elle appartient à une toute autre catégorie) ce qui est bien le signe d’une certaine indigence intellectuelle.
BMJ : Oups. Dernière question. Vous êtes Guyanais ?
HH : Pour reprendre Damas je dirais que « trois fleuves coulent dans mes veines » et que la Guyane est l’un de ces fleuves. Je n’y suis pas né mais j’y ai vécu la quasi-totalité de ma vie adulte. « Je suis né dans une île amoureuse du vent. Où l’air a des senteurs de sucre et de vanille. » pour citer le poète Daniel Thaly mais aujourd’hui c’est plutôt « où l’air à des odeurs de monoxyde de carbone et de sargasses » selon moi. Donc vive l’air pur amazonien, vive la chaleur de la population guyanaise !
Mon troisième fleuve c’est la Syrie mais je suis très triste de le voir s’assécher à ce point.
BMJ : Une toute dernière question alors ! Pensez-vous que la Guyane véritable hub racial peut être un laboratoire du vivre ensemble ?
HH : « Hub racial » j’adore l’expression ! Oui nous vivons bien ensemble mais j’ai le sentiment que les différentes communautés cohabitent voire coexistent plutôt que s’entremêlent même si la situation évolue vers plus de mixité sociale.
BMJ : Des projets personnels pour cette année ?
HH : Oui, beaucoup de projets personnels mais je pense que vos lecteurs s’en fichent de ma vie personnelle !
BMJ : Merci d’avoir répondu à nos questions Harry Hodebourg !
HH : Grémèsi, mèsi an pil, mèsi an chay !