Soixante-trois ans après leur entrée dans la République, la Martinique et la Guadeloupe qui, en 1946, avaient opté pour un régime d’identité législative dans lequel seraient assurées l’égalité et la dignité, se rendent compte que l’une et l’autre de ces deux revendications tardent à devenir réalité.
De plus en plus les deux peuples comprennent qu’il convient préalablement d’arracher plus de responsabilité pour que leurs intérêts soient réellement respectés. L’expérience a en effet apporté autant d’amertume que de satisfaction, à la lumière des chiffres du chômage, des logements insalubres, des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, des faibles perspectives offertes aux jeunes et des privilèges que conservent ceux qui, pour bâtir leur fortune, ont bénéficié d’une certaine collusion avec l’Etat.
Manifestement, le constat d’aujourd’hui met en relief une société d’injustices et des rapports avec l’Etat fondés sur une pratique qui consiste à privilégier des intérêts particuliers et à ignorer tant les attributs des peuples que l’autorité de leurs représentants.
L’expression de la rue a du attendre un mois dans le cas de la Guadeloupe et deux semaines dans celui de la Martinique, pour que l’Etat réagisse et se sente concerné par la réalité antillaise.
Négligence ou dédain, ce sont plus de 20000 martiniquais dans les rues, une organisation sans faille de l’Intersyndicale et une mobilisation constante qui auront décidé le président de la République à proposer des mesures tardives et en deçà des attentes.
Les Martiniquais savent dorénavant que leur qualité de peuple, non reconnue par la République, leur impose un effort supplémentaire pour que le principe d’égalité, pourtant conquis en 1946, s’inscrive dans les textes et les comportements. Il y va de leur dignité, quoiqu’il leur reste à domicilier le maximum de responsabilité pour que cet objectif s’impose à tous.
Les événements de février 2009 consacrent alors une prise de conscience articulée autour de trois revendications majeures qui dépassent évidemment les demandes de baisse des prix et d’augmentation des bas salaires.
Il s’agit en profondeur de rompre avec une société structurellement organisée sur la multiplication des injustices, d’exiger de l’Etat qu’il respecte les Martiniquais et de faire savoir que les représentants élus sont les seuls interlocuteurs désignés du peuple.
La volonté d’imposer une société plus juste dans un cadre différent de celui du capitalisme sauvage et néolibéral trouve son expression dans l’exigence du contrôle par l’Etat, de la fabrication des prix et de celle de salaires dignes d’une démocratie.
La position qui consiste à laisser faire et à tout justifier par les lois du marché et de la concurrence, doit être corrigée en raison des dérives que constitue la présence forte d’oligopoles et de rentes de situation.
Les collectivités territoriales pour leur part peuvent instituer un système de comparaison des prix pratiqués en France continentale et à la Martinique, auquel serait adossée une communication mensuelle faisant apparaître les marges bénéficiaires réalisés sur une liste de produits stratégiques.
S’agissant des rapports Etat/ Martinique, le respect des Martiniquais ne sera absolu, que le jour où la République reconnaîtra en son sein, le peuple Martiniquais.
Immédiatement les populations de la rue, à travers leurs slogans, ont cependant exigé la considération de leur dignité, par l’arrêt des liaisons occultes Etat/békés. La confiscation d’une partie de l’économie d’importation et de l’agriculture d’exportation, facilitée par la propriété de la terre agricole, ne peut permettre de justifier d’être reçu à l’Elysée et de rencontrer prioritairement les représentants de l’Etat, dans le dos des élus Martiniquais.
Si la République est aujourd’hui incapable d’accepter la pluralité de ses peuples, ses représentants ne peuvent s’autoriser à privilégier une caste au motif qu’elle représenterait une partie de l’économie et qu’elle susciterait quelque affinité fondée sur les origines ethniques.
Quant à l’égard auquel ont droit les élus Martiniquais, l’Etat doit se plier aux exigences de la démocratie et reconnaître qu’ils sont les seuls interlocuteurs avec qui il doit composer. Quelle que soit la matière et en particulier celle des institutions, la consultation des élus et des populations demeure la règle impérative. Tous ceux qui s’aventureraient à prendre l’avis de ceux qui ont bâti un réseau d’influence pour préserver leurs seuls intérêts, seraient coupables de crime de lèse-démocratie.
Dans cet ordre d’idées, la Martinique rappelle que l’objectif politique d’aujourd’hui est de saisir l’offre de la République qui propose entre autres la responsabilité inscrite dans le régime législatif de la spécificité.
Les élus seront jugés sur leur capacité à s’intéresser aux grands dossiers relatifs aux attributs du peuple et les populations le seront, quant à leur détermination à entreprendre et à cesser d’être le jouet de la consommation.
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Pierre SUEDILE
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