Par Marie Line Mouriesse- Boulogne,
Anthropologue et professeur d’histoire.
Sous l’impulsion de Monsieur Charles Chammas (Élu PPM) ayant considéré que vos propos étaient je le cite : d’«une logique cartésienne et rationnelle», m’invitant à vous répondre – comme un défi- à votre papier intitulé : « Une mobilisation contre la vie chère, une radicalité conservatrice pour une dépendance accrue de la Martinique.»
1- La politique du ventre
Concernant l’utilisation de l’expression « la politique du ventre ». Ce serait nécessaire de mettre cette expression dans son contexte scientifique pour démontrer à quel point non seulement l’expression est à la fois mal choisie dans les propos de Monsieur Réno, et extrêmement juste, même si cela a été probablement réalisé de manière involontaire.
Pourquoi est-elle mal choisie ? Elle signifie, dans les propos de monsieur Réno, que ce que le RPPRAC demande c’est de la nourriture bon marché et Monsieur Reno insiste : « ils ont tout centré sur les produits alimentaires, alors que d’autres secteurs sont étalement très chers….. »
Or Jean François Bayard, dont le titre de l’ouvrage était précisément celui-ci « L’Etat en Afrique, la politique du ventre », dénonçait le fait que ceux qui exercent le pouvoir le font dans l’unique but de satisfaire des besoins
personnels. A aucun moment dans l’ouvrage de Bayard, cette expression ne signifie qu’une majorité cherche à obtenir des aliments.
Le RPPRAC n’est pas non plus une minorité qui attend des avantages matériels personnels mais qui réclame que des ajustements structurels permettent que l’ensemble du peuple martiniquais puisse vivre convenablement. En effet, le peuple est actuellement spolié par des profits excessifs (Profits de la CTM avec l’octroi de mer, Profits de la la grande distribution, profits de l’Etat avec la TVA) et ne rien faire correspond à se rendre complice de cet état de fait. Et les Martiniquais payent de surcroît davantage de TVA proportionnellement car la TVA est calculée sur la base
d’un pourcentage. Plus les prix sont élevés, plus cet impôt qu’est la TVA exerce une pression fiscale importante sur les foyers martiniquais. Il y a donc une rupture d’égalité à cause d’une continuité territoriale défaillante.
Il est intéressant d’ailleurs de dire que Jean-François Bayard avait à coeur de monter l’importance d’une politique « par le bas », en mettant en évidence l’importance de l’action sociale populaire pour changer les choses.
Intéressant ici d’évoquer Mr Bayard, car il serait certainement intéressé par le RPPRAC en tant que mouvement qui émane du peuple.
Jean-François Bayard mettait précisément en évidence une politique, forme de corruption qui profitait à une minorité, précisément au détriment du peuple africain. On peut dire que sur ce point la « politique du ventre » est
véritablement un mal qui porte atteinte à l’intérêt général à la Martinique. En ce sens l’expression maladroite est terriblement juste.
Par ailleurs, cette expression pourrait-elle être considérée comme dénotant un certain mépris d’une partie de la bourgeoisie martiniquaise pour les difficultés populaires ?
Il faut mobiliser ici la Pyramide de Maslow. Maslow est un homme qui, rappelons-le, a eu la distinction de l’humaniste de l’année, en 1967. Ce dernier avait mis en évidence une hiérarchie des besoins, en plaçant à la
base des besoins essentiels : les besoins physiologiques (manger, boire….).
Il avait expliqué que lorsque les besoins essentiels n’étaient pas assouvis, les autres besoins ( Besoin d’estime, réalisation de soi etc..), apparaissaient comme secondaires.) Or ces besoins primaires semblent bien évidemment
« secondaires » voire triviaux à des personnes qui n’ont aucun mal à s’alimenter convenablement, qui nourrissent même, si j’ose dire, le mépris pour le peuple, empêtré dans ces « sordides préoccupations ». C’est pour
cette raison que les revendications liées aux « besoins alimentaires » reflètent une certaine lutte des classes.
Dans le cas de la population martiniquaise, le RPPRAC ne fait que rappeler aux élus, l’échec qui leur incombe : – ne pas permettre au peuple de vivre dignement- et leur responsabilité : -la population doit pouvoir se nourrir sans
attendre l’aumône du secours catholique , ni des banques alimentaires-.
Le RPPRAC semble rappeler aux élus martiniquais et aux membres de la grande distribution, le fait que les prix excessifs, causés par l’excès des taxes locales, et des marges excessives, portent atteinte à la capacité des
personnes modestes à se nourrir et par ailleurs portent préjudice aux autres également en diminuant leur pouvoir d’achat.
Le peuple entier est donc concerné.
2- Un mouvement minoritaire
Loin de croire que le RPPRAC est isolé et minoritaire, les revendications du RPPRAC sont partagées et ils sont soutenues par la population. Monsieur Réno dit : « le RPPRAC constitue une régression historique car il n’est pas
représentatif du peuple ou même de la partie du peuple dont il se réclame . »
Je laisse la responsabilité de cette affirmation à Monsieur Réno. Dans toutes les interviews faites par les médias, toutes les personnes interrogées ont unanimement ont soutenu le mouvement. Ce n’est pas parce que tout le monde n’est pas sur les barricades que le peuple ne soutien pas ce mouvement.
Personnellement je ne suis pas sur les barricades, mais je soutiens le mouvement. Quels chiffres, éléments concrets, sondages vous ont permis d’affirmer que le mouvement est minoritaire ? Et qu’il n’est pas « représentatif
du peuple. » Il est vrai que le RPPRAC ne fait pas partie de ce que l’on appelle la démocratie représentative (les élus), mais dire « qu’il n’est pas représentatif », il faudrait le démontrer. On a au pouvoir un gouvernement
issu de la soi-disant « démocratie représentative » et qui n’est pas représentatif. L’inverse est donc parfois aussi vrai !
Sans compter que le mouvement amorcé par le RPPRAC pourrait être un mouvement politique d’ampleur dans le futur et ces personnes pourraient bien aussi être de futur élus…
3- L’ethnicité du mouvement
Concernant l’ethnicité et le fait que le RPPRAC ait mis l’accent sur le peuple afro-caribéen. Le RRPRAC. est une association qui milite en ce sens.
Libre à chacun de se sentir exclu ou intégré par tel ou tel combat du RPPRAC. Qui a dit que le peuple « afro-caribéen n’existe pas ? Chacun est libre de « faire peuple » ou pas et de s’inventer (ou pas) une ethnicité.
Qu’est-ce qu’une ethnie ? Un groupe ayant une culture commune, une religion, une langue, des traditions. Pour quelle raison ne pourrait-il pas avoir un « peuple afro-caribéen »?
C’est évident que tous les martiniquais devraient se sentir concernés par la vie chère et que par ailleurs d’autres pourraient bien se sentir exclus par cette restriction excluant ainsi tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce groupe. Le choix est discutable pour élargir le mouvement à toute la Martinique en effet.
La vraie question est que cette vision pourrait être considérée comme une forme de racisme larvé. C’est une question à poser au RPPRAC.
Cependant l’ethnicité du combat n’est-elle pas déjà marquée dans ce conflit ?
Qui représente Grande distribution en Martinique ? Est-ce des afro-caribéens ? L’Etat pratique en Martinique une « politique du ventre » dans le sens exact : « manière d’exercer l’autorité avec le souci exclusif de la satisfaction matérielle d’une minorité. » C’est vrai pour le POSEI, c’est vrai pour les prix pratiqués par la Grande distribution, c’est vrai pour toutes les dérogations accordées dans le scandale du chlordécone etc….
Il est intéressant de noter qu’ il semble que ce mouvement du RPPRAC dérange une partie des martiniquais, à mon avis ceux qui affirment le dogme que faire peser sur le dos de martiniquais l’entretien des collectivités est une étape vers plus d’autonomie….Il s’agit d’un choix politique discutable : faire porter la fiscalité des collectivités sur le petit peuple martiniquais, peu nombreux, vieillissant et appauvri, est-ce réellement une bonne idée politique ?
Est-ce ainsi que l’on entrevoit une « autonomie », en soumettant les Martiniquais à une fiscalité qui flaire des relents féodaux ?
4- Les moyens d’action
Sur le plan des Moyens d’action, il faut rappeler que dans tous les mouvements sociaux se glissent des « casseurs , petits délinquants divers opportunistes profitant de l’occasion pour effectuer leurs méfaits. La critique de la « radicalité pourrait être appliquée à tous les mouvements sociaux qui réussissent (La révolution française, notamment).
La radicalité est souvent proportionnelle à la détermination.
En outre, il faut également souligner ici l’hypocrisie des médias qui ne titrent et mettent au premier plan que lorsqu’il y a des images-choc. La radicalité du mouvement n’est-elle pas précisément ce qui a permis sa visibilité jusqu’à Hong-Kong ?
Par ailleurs dans tout conflit social, ce serait intéressant de se demander quelles sont les groupes en présence et quels sont leurs intérêts. Quel intérêt y-a-t-il à vouloir une classe de fonctionnaires des collectivités payée grâce à
la bienveillance des élus ? Je laisse à chacun le soin de répondre à cette question.
Et enfin, reprocher au peuple martiniquais de s’occuper de sa survie, est-ce vraiment une démarche humaniste ?
Il faut croire que la timidité du monde politique sonne tout de même comme gêne coupable voire pour d’autres une forme de glas.
Ces élus pourraient penser dans leur intimité : qu’ai-je fait pour améliorer la vie de mes compatriotes ?
Leur ai-je permis de vivre mieux et plus dignement ?
Les-ai-je protégé de l’avidité de la Grande distribution ?
Et sur cette question les responsabilités sont multiples.
On reproche parfois au RPPRAC de ne pas avoir signé un texte où la Grande distribution étale ses bonnes intentions sans aucune garantie, texte dont l’imprécision trahit l’aspect purement fictif. N’oublions pas la tirade cynique de Monsieur Charles Pasqua : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient. »
Et pour tous ceux qui douteraient du bien-fondé du mouvement, je rappelle qu’il existe dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, oui celle-là même du 26 août 1789, le droit de résister à l’oppression, et que ce droit est précisément celui qui anime ceux qui luttent contre la vie chère. Le mouvement est largement soutenu par le peuple et légitime.
Pouvoir vivre correctement est le premier pas vers plus de dignité. N’oublions jamais que beaucoup de révolutions ont commencé par des revendications alimentaires et par une remise en question de la fiscalité.
Ne perdons pas de vue que la faim est révélatrice des inégalités sociales, et qu’elle est souvent un catalyseur des révoltes et révolutions.
Enfin, selon moi, vouloir l’autonomie ou l’indépendance ne signifie aucunement opprimer le petit peuple, et ne signifie surtout pas accepter de nouvelles féodalités sous le prétexte de l’indépendance à tout-prix, vis-à-vis
de la métropole.
En ce moment la Martinique n’est pas (encore) indépendante, et le peuple hérite de toutes les contraintes néo-coloniales en lien avec la grande distribution et l’octroi de mer, et de la TVA et hérite de surcroît des croyances (prétendument-indépendantistes, mais en réalité bourgeoises) dirigeant les ressources de l’octroi de mer vers les collectivités en créant un système clientèliste discutable. Le peuple devant trouver les ressources pour répondre aux appétits financiers des uns et des autres et se priver toujours plus du nécessaire d’année en année.
C’est cela qu’il faut, à mon humble avis, changer : remettre l’intérêt du peuple au centre de la politique : effectivement cette fois-ci dans le sens correct, lutter contre la politique du ventre.