Bondamanjak

La réalité du Partenariat Public Privé.

Par Danielle Boriel

Les éléments de langage des élus PPM à la Région Martinique ont changé. Exit « la nouvelle gouvernance » (qui a été diversement appréciée par les électeurs lors des dernières législatives, notamment à Fort-de-France où le président de Région a perdu plus de 7500 voix !). Place à « la modernité de la conception de la gouvernance ». C’est plus sophistiqué, c’est plus abscons, ça peut (peut-être !) faire illusion. Il est vrai que le ridicule n’a jamais tué personne…
Ajouter à cela des répétitions, ressassées : « mensonges », « menteurs » avec qualificatifs : « puants », « scandaleux », « odieux »… et nous voilà au cœur de la modernité de la communication !
« La modernité de la pensée » du président de Région, le conduit à gloser à en perdre le souffle, sur la modernité des outils de gestion tels que le PPP (Partenariat Public Privé).
L’« accord de principe » que lui ont accordé les élus de sa majorité afin de négocier un PPP pour l’achèvement des travaux du TCSP, doit interpeller les contribuables martiniquais et les inviter à prendre la mesure des dangers de ce choix.
Les PPP : des usines à gaz
Créé par une ordonnance de juin 2004 (sous Sarkozy), le PPP est un contrat permettant à des opérateurs privés de concevoir et gérer des équipements publics en échange de loyers versés durant plusieurs dizaines d’année par l’Etat ou une Collectivité Locale.
Ce type de contrat permet à l’Etat ou aux Collectivités Locales à court de trésorerie, de faire réaliser des infrastructures par des fonds privés, en contrepartie de loyers généralement exorbitants, source de gros profits pour le partenaire privé.
En 2004, le Conseil Constitutionnel a durement critiqué le recours à ces partenariats. Philippe Séguin a dénoncé ces projets « qui consistent à aller chercher des tiers financeurs et à bâtir des usines à gaz, en oubliant que celui qui emprunte pour le compte de l’Etat ou de la Collectivité le fait à un coût plus élevé ».
Curiosité juridique de ce type de partenariat, la Région Martinique se porte garante :
– des prêts contractés par le Partenaire auprès des banques, à taux variables,
– des fluctuations des taux d’intérêt.
La mairie de Fort-de-France qui a souscrit des emprunts à taux variables qualifiés de toxiques se trouve grâce au modernisme de son maire de l’époque, actuel président de Région, asphyxiée par le montant des intérêts à rembourser et par son niveau d’endettement…
En plus de cela, la Région se porte garante des loyers qui seront facturés par le « Partenaire ».
La Cour des Comptes, estime qu’un PPP se réalise avec des surcoûts hallucinants à la charge du contribuable et « invite à une réflexion approfondie sur l’intérêt réel de ces formules innovantes ».

Les loyers exorbitants, représentant plusieurs fois le coût initial de l’équipement public, s’ajoutent à la valeur des immobilisations toujours surévaluée et dans tous les cas à des travaux non prévus initialement et surfacturés.
C’est le principe même de ce type de montage qui est mis en cause par la Cour des Comptes, et non seulement les conditions particulières.

Que dire du choix « idéologique » des tenants de « la modernité de la conception de la gouvernance »?
En 2004, les sénateurs socialistes avaient réclamé l’annulation de l’ordonnance créant les PPP, dénonçant une privatisation larvée.
Les PPP de par leur nature “planquent la dette” et la transforment en paiements annuels sur 25, 30 ou 50 ans.
L’étalement des coûts d’investissement sous forme de loyers pendant 30 ans permet de « dissimuler » l’endettement réel du maître d’ouvrage (en la circonstance la Région Martinique qui s’engage à 100%) et de le reporter sur les générations futures.
Ce faisant, la capacité d’emprunt, laissée par l’ancienne mandature d’Alfred Marie-Jeanne, est affecté au financement du fonctionnement !! Les investissements tels que le musée du Père Pinchon, route de Didier, sont à l’arrêt…
Le PPP est un outil permettant aux grandes entreprises privées de faire main basse sur les ressources publiques de la Région, et cela, en conformité avec l’idéologie de l’endettement et de la mauvaise gestion des adeptes de la modernité.
Le bilan financier à terminaison de ces opérations, bien souvent, n’est pas révélé clairement et on n’ose pas imaginer la situation catastrophique que la Martinique aura à affronter après l’épisode « nouvelle modernité de la gouvernance ».
L’amateurisme révélé par la désignation de la Cour Administrative d’Appel de Fort-de-France, (qui n’existe pas !), pour solutionner les contentieux qui inévitablement vont survenir dans ce contrat de PPP, laisse perplexe.
Cour administrative d’Appel de Fort-de-France

La question se pose de savoir si de notre cher président de Région maîtrise toutes les armes juridiques, pour empêcher le siphonage des ressources financières des citoyens martiniquais face aux prédateurs que sont les multinationales.
Par contre, ces dernières, dont la vocation est de gagner toujours plus d’argent, sont dotées de compétences juridiques, fiscales et financières pointues.
L’amendement du président de Région concernant les loyers, qui laisse entendre qu’en cas de bénéfice d’exploitation, une participation du partenaire peut être envisagée, est révélateur d’une méconnaissance de ce type de contrat et des stratégies des firmes multinationales. Ces dernières peuvent très facilement dégager des déficits en augmentant simplement leurs charges et frais généraux et savent juridiquement verrouiller, toutes dispositions postérieures défavorables à leurs profits, par des indemnisations colossales.
Avec des défaillances potentielles dans tous les domaines, le PPP génère des litiges, puis des contentieux particulièrement insolubles, d’autant plus, quand les « règles du jeu » sont mal définies…Dans un cas, suite à des malfaçons, la pose de 2 fenêtres a été facturée 27 000€ !!
La garantie des prêts bancaires du Partenaire, met la Région, même en l’absence de livraison des bus et des infrastructures, dans l’obligation de rembourser les emprunts de ce Partenaire. L’argument du gain de temps : accélérer le rythme dans la perspective de 2015…, est contredit par la réalité, compte tenu notamment des démarches amont (évaluations préalables, négociations compétitives…) et tout retard de mise en service, notamment sur contentieux, est doublement coûteux puisque les loyers sont exigibles.
Les fameuses « négociations compétitives » sont une « bouteille à l’encre », permettant d’abriter facilement les ententes et les corruptions …

Les conséquences sociales ne sont jamais chiffrées au moment de la prise de décision. Il y a de fortes chances pour que les transporteurs martiniquais soient exclus de ce partenariat avec le risque de suppressions d’emplois et de difficultés sociales dans ce secteur.

Modernité ou archaïsme?

Après que le rapport de La Cour des Comptes ait mis en lumière l’invention diabolique et sournoise que sont les PPP, chanter leurs louanges, dire que se sont des outils modernes, c’est se placer du point de vue des profiteurs.
Pour la Collectivité Régionale, cette philosophie est archaïque car comment imaginer aujourd’hui, que l’intérêt collectif puisse être livré aux voracités féroces du capitalisme privé ? Car enfin ! L’objectif d’un modèle économique sain est d’enrichir la Collectivité ! L’archaïsme, c’est aussi de refuser de prendre la responsabilité de faire soi-même et en ces temps de disette budgétaire, d’opter pour des choix ruineux pour la Martinique.
Le PPP qui se résume à «Achetez d’abord, pleurez après», contient toutes les caractéristiques récurrentes de la gestion des adeptes de « la modernité de la conception de la gouvernance ».

L’important pour le président de Région est de « montrer à la Martinique que le rythme a changé », quelque soit le prix à payer, avec l’argent de la Région.
Le bling bling, le m’as-tu vu tient lieu de « philosophie politique » aux modernistes.
On est loin d’une véritable Politique qui privilégie dans tous les domaines, de prendre des responsabilités, de préserver en toutes circonstances l’indépendance de la Martinique, en prenant appui sur le savoir faire des martiniquais en ayant constamment le souci de leur donner du travail.
Grâce à notre chère « nouvelle gouvernance », la Martinique est en train d’être vendue à ces Fermiers Généraux que sont les multinationales, qui depuis 2010 (peut être aidées par des « agents d’influence »), ont des rapports privilégiés au sein de la Collectivité Régionale.

Danielle Boriel