Toutes ces difficultés non traitées ont engendré l’expression d’un ras-le bol d’une frange non négligeable de la population. Les organisations syndicales ont été rejointes par tous les groupes qui doivent quotidiennement affronter les difficultés. Retrouver dans un même mouvement : salariés du secteur privé et public, retraités, chefs d’entreprises de TPE, petits agriculteurs, jeunes, c’est bien le signe que le système tel qu’il est dessiné a atteint ses limites. Il a atteint ses limites car les décideurs n’ont pas pris le temps d’écouter et de comprendre ceux qui sont en demande. Ils ont plutôt écouté ceux qui constituent une force et puissance économique. La défiscalisation est un bel exemple. La défiscalisation est certes nécessaire, mais elle devrait être assortie de contreparties sociales obligatoires afin de rétablir un équilibre dans le rapport social.
La demande de transparence exprimée en Guadeloupe et en Martinique traduit fort bien l’opacité dans laquelle nous naviguons. Depuis les mobilisations, nous assistons à un réel « dé tricotage » du système à travers notamment l’architecture des taxes. Nos élus ont-ils failli ? Pourquoi n’ont-ils pas été en mesure de faire un véritable état des lieux de la situation, qu’ils dénonçaient sur « les tréteaux » lorsqu’ils étaient dans l’opposition ?
Cette crise est tout simplement l’expression du « non faire » des décideurs en faveur des plus faibles.
Cette mobilisation rappelle que tout pouvoir a besoin d’être interpellé pour réajuster voire revoir ses pratiques.
Cette mobilisation est également le signe du peu d’intérêt porté par les décideurs aux revendications et dénonciations permanentes des syndicats et autres associations. La question du rôle du syndicat dans la société est posée.
Doit-on arriver à des situations bloquées pour contraindre les décideurs à la négociation ? Dans une société inégalitaire, la négociation et la transaction sont les moyens par excellence pour assurer le partage, la redistribution de la richesse produite par le travail. Pourquoi nos sociétés, Martinique et Guadeloupe, ont-elles si peur de ces outils ?
La négociation et la transaction permettent de réduire les inégalités.
Il est urgent que l’on se dise que la Martinique et la Guadeloupe ne sont pas des sociétés basées sur le consensus, mais sur le compromis de coexistence. Le rapport social est profondément inégal. Il importe alors d’avoir une approche qui s’applique à :
– Comprendre la nature du système des relations sociales,
– Intervenir pour modifier les termes de l’échange si les choix économiques créent des situations sociales problématiques,
– Aller dans les interstices pour démêler les nœuds qui rendent impossible « le mieux vivre ensemble »,
– Agir par l’innovation donc l’action pour créer des légitimités nouvelles,
– Délaisser les schémas de pensée du consensus pour habiter pleinement ceux du compromis de coexistence. Ce dernier acte le principe que les individus ne sont pas égaux et invite dès lors à accepter la contradiction pour faire évoluer le contexte et les situations-problèmes.
Cette crise a sonné l’heure pour appréhender autrement les questions de la société martiniquaise.
La question sociale est majeure. Inversons nos logiques, car la question sociale doit servir de guide aux choix économiques.
La mobilisation sociale démontre tout simplement que c’est le rapport social qui donne vie à l’économie et à l’environnement. Si nous ignorons cela, dans 10 ou 15 ans, la même situation risque de se reproduire.
Je m’aventure sur les voies d’une proposition : le mouvement syndical a besoin d’experts à ses côtés pour étudier et monter correctement des dossiers. Une évolution consisterait à mettre à leur disposition un fond pour leur permettre de contractualiser avec des experts afin de mener des études nécessaires.
Actuellement, la négociation se déroule de manière inégale :
– L’Etat, les collectivités territoriales, les employeurs peuvent avoir à leurs côtés des experts pour formuler des propositions détaillées.
– En face le Collectif du 5 février est démuni, car une organisation syndicale n’a pas les moyens financiers nécessaires pour se payer une expertise.
Pour réduire cette inégalité, et s’appuyer sur les organisations syndicales comme force de propositions, l’acte 1 d’un nouveau rapport social dans la société martiniquaise, consisterait à octroyer au mouvement syndical des moyens financiers. C’est à ce prix que la démocratie sociale sera de qualité.
Danielle LAPORT
Docteur en Sociologie – Sociologue du travail
Universitaire