Un jour je défendais une femme qui avait été séquestrée et violée durant plusieurs jours par des bandes armées et qui avait réussi à s’échapper et fuir vers la France . Malgré le certificat médical dont la lecture était insoutenable tant il révélait le détail des tortures qu’elle avait subit, la préfecture demandait au tribunal son renvoi en Algérie au motif qu’elle ne prouvait pas qu’elle avait subit ses sévices en Algérie et qu’ils avaient très bien pu lui être infligés en France. Bien qu’ayant réussi à emporter la décision, j’ai gardé en mémoire, le cas de ce professeur d’université qui avait atterri à Marseille et qui avait été renvoyé en Algérie parce qu’à l’époque, les juges estimaient que non seulement, il fallait prouver la réalité des risques encourus mais également prouver que ces dangers venaient de l’Etat algérien. La nouvelle de son assassinat qui a suivi son retour forcé en Algérie a je le pense, contribué à faire évoluer le juge français pour qu’il tienne compte des dangers émanant des groupes armés même lorsqu’ils ne sont pas liés à l’Etat qui ne fait rien pour accorder à ses ressortissants la protection auxquels ils ont droit. Je ne pensais pas qu’arriver en Martinique, j’aurai eu à faire la même expérience d’une condamnation à mort par un juge français…
C-est-à-dire ?
En 2003 j’ai défendu un étranger haïtien opposé au Président Aristide et à son parti Lavalas. Pace qu’il n’avait pas la preuve de l’assassinat de ses parents, de ses frères et des membres de la cellule de son parti, le tribunal va rejeter la demande d’annulation de la procédure de reconduite à la frontière. Et sans faire droit à sa demande d’asile politique, la PAF va le renvoyer en Haïti où quelques temps plus tard, une de ses cousines me fera savoir qu’il a été tué, brûlé avec un pneu de voiture autour du cou et que son corps a été laissé en pleine rue avec interdiction de l’inhumer. Depuis cette date, c’est mon combat.
Depuis, quelle est la situation des étrangers en Martinique ?
En Martinique, il existe plusieurs formes d’immigration. Tantôt il s’agit de trouver ici une meilleure situation économique que dans son pays natal. Même si l’asile politique est reconnu et qu’il n’existe pas d’asile économique. Certains étrangers viennent dans l’île parce qu’ils ont des liens sociaux, familiaux, personnels avec la Martinique. Ils font aussi mentionner le cas de quelques étrangers malades qui viennent bénéficier de soins médicaux qu’ils n’ont pas chez eux, comme une sorte d’asile sanitaire. La plus part des étrangers sont bien intégrés à la société martiniquaise. La plus forte communauté est celle des haïtiens, qui sont très respectueux des lois et généralement très travailleurs. Ces haïtiens dont la force de travail s’expriment dans le bâtiment, l’agriculture et le commerce Ensuite viennent nos voisins immédiats de Sainte-Lucie dont les plus connus sont les travailleurs de la canne à sucre.
Comment sont ils traités par l’administration ?
Tout d’abord pour venir ici, la France exige un visa pour les étrangers quand dans le même temps l’autre pays n’exige pas de visa pour les français…(exemple de la Dominique). La politique des visas menée par la France est une politique discriminatoire qui vise à lutter contre l’immigration des pauvres et des pays pauvres et des pays culturellement non européens.
Lorsque l’étranger arrive en fin de validité du visa et qu’il demande un titre de séjour, il a toutes les peines du monde à l’obtenir. Alors que les ambassades refusent de délivrer des visas longs séjours et d’enregistrer les procédures de regroupement familial. Ainsi, la loi française et européenne qui protègent la famille et la vie privée sont bafouées quand on voit par exemple qu’une mère brésilienne et ses deux enfants sont dans la détresse parce que le préfet accorde un titre de séjour à l’un des deux enfants et le refuse à la mère et à l’autre enfant, refuse son titre à une jeune Sainte Lucienne de 22 ans arrivée en Martinique à l’âge de 2 ans, à un quinquagénaire Sainte Lucien qui coupe la canne en Martinique depuis 32 ans et qui n’a jamais travaillé ailleurs que dans cette île, à une mère d’enfant français, au motif qu’il ne réside pas avec l’autre parent français, plaçant les concubins dans une situation de précarité telle que certains sont contraints de se marier alors qu’ils auraient préféré vivre en concubinage. Mais la situation la plus tragique est celle des réfugiés haïtiens. Ils arrivent par canot depuis l’île de la Dominique après avoir transité par Saint Domingue, débarqués sur les rivages de la commune du Prêcheur pour 3 ou 400 dollars ils sont accueillis par des habitants hostiles qui les dénoncent immédiatement à la PAF (Police Aux Frontières) où par des profiteurs qui les font travailler sur des chantiers ou des plantations puis les dénoncent aux mêmes policiers, une fois venu le temps de la paye. Durant ce temps ils ont tenté de contacter Haïti pour constituer un dossier d’asile parce que la Préfecture exige un dossier complet avec tous les justificatifs pour simplement délivrer le formulaire et enregistrer la demande d’asile. L’étranger qui se présente à la Préfecture pour demander l’asile est systématiquement renvoyer à une date éloignée de rendez-vous sans que lui soit délivrer aucun document. Et il peut être renvoyé de rendez-vous en rendez-vous durant plusieurs mois. S’il est arrêté entre deux rendez-vous…c’est la reconduite à la frontière.
C’est un véritable parcours du combattant ?
Debout à 2 heures du main pour faire la queue jusqu’à 14h dans des conditions indignes d’accueil. Les agents de la Préfecture de la Martinique, reçoivent les étrangers sans interprètes. L’étranger s’il veut se faire comprendre n’a qu’à être accompagné .
Le demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler. Pourtant il est condamné à faire des jobs pour survivre dans l’illégalité, en attendant pendant des mois la réponse de l’OFPRA (L’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). Un organisme qui centralise et traite les demandes d’asile et dont une antenne a été installé en Guadeloupe à Basse-Terre.
Tous ne sont pas de véritables militants politiques traqués pour leurs idées…car en Haïti, faire de la politique n’a pas le même sens qu’en France aujourd’hui. Porter les couleurs d’un camp, c’est mettre sa vie en péril, critiquer tel ou telle, c’es mettre sa vie en péril, faire partie d’un mouvement chrétien, c’est mettre sa vie en péril, s’organiser en association, se réunir en coopérative professionnelle, autant de droits qui sont pour nous des conquêtes du siècle précédent. Et nous avons seulement oublié que c temps n’est pas si lointain.
Le réfugié, le demandeur d’asile qui a vécu des événements traumatisants arrive souvent dans un état de souffrance et de délabrement psychologique et n’a qu’une envie, oublier ce qu’il a voulu fuir et même le cacher…de peur de trouver en Martinique des relais, des agents de la dictature. Pourtant, il va falloir qu’il prouve qu’il a toutes les raisons de craindre pour sa vie , comme si on pouvait demander à ses bourreaux une attestation ou une promesse de torture ou d’assassinat pour raisons politiques. C’est ce qui explique que presque toutes les demandes d’asiles sont rejetées
Racontez nous une interpellation d’un sans papier…
Très souvent la PAF intervient sur dénonciation anonyme mais aussi sur délit de faciès, en inventant de faux prétextes d’interpellations. Cette illégalité n’ayant rien à voir avec la situation administrative de l’intéressé, l’étranger est placé en garde à vue puis en rétention administrative, lorsqu’il reçoit notification de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. La rétention en Martinique se fait dans un local sans fenêtre, ni lumière du jour et sans téléphone mais avec une cabine à carte. Généralement l’étranger n’a pas de carte téléphonique et n’a pas les moyens d’en acheter. S’il possède un téléphone portable, la batterie l’ayant lâché durant la garde à vue au cours de laquelle il en a été privé, il a été arrêt sans son chargeur. L’étranger se retrouve ainsi coupé du monde. En rétention, il a le droit de formuler un recours auprès du tribunal par télécopie et de faire une demande d’asile en français. Le local de rétention est dépourvu de télécopieur et aucun interprète n’est mis à la disposition de l’étranger dont la demande d’asile ne peut être faite qu’en français.
L’Ordre des avocats organise dans certains barreaux une permanence en droit des étrangers En Martinique, le travail reste à faire et l’organisation à mettre en place nécessite des fonds qui sont prévus dans le budget du ministère de la justice. En France, des associations agrées signent des conventions pour accéder aux centres de rétentions et prodiguer une aide psychologique et matériel aux étrangers en instance de départ forcé. La loi prévoit même une aide au retour. En Martinique…rien. En cas de recours par un avocat, tout se passe très vite l’audience a lieu en 48h ce qui laisse très peu de temps pour préparer la défense de l’étranger sous prétexte de régler rapidement sa situation administrative. On peut parler d’une justice bâclée car la défense, ne peut se concevoir dans des délais aussi brefs. Le jugement est expédié en 20 minutes
Comment expliquez vous cet engouement pour la nationalité française ?
Je ne vais m’intéresser dans ma réponse qu’aux peuples anciennement colonisés par la France. L’expérience des indépendances nous enseignent que ces ex colonies françaises sont encore sous influences françaises …dirigées par des roitelets qui ont fait leurs études en France qui y possèdent un appartement dans Paris intra muros et sur la côte, qui à la moindre grippe viennent se faire soigner à Lariboissière ou à Cochin et qui envoie à leur tour leurs enfants dans un internat catholique. Ces hommes là ne sont pas des chefs d’états indépendants mais des sous préfets aux ordres de l’empire colonial parisien. L’exemple haïtien est le plus frappant. Dans tous les pays du monde, un chef de l’état qui démissionne remet sa démission entre les mains des institutions du pays. En Haïti, c’est Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères français qui est venu la démission du Président Aristide, comme si Chirac pouvait remettre sa démission à Condella Rize. C’est une aberration sur le plan du droit constitutionnel ou international. Par contre ce comportement s’inscrit dans la liste des actes d’administration de la puissance colonial sur sa colonie et pour tout haïtien, venir en France c’est venir dans le pays qui administre son pays. Le raisonnement est le même pour toutes les ex colonies qui forment aujourd’hui le monde merveilleux de la francophonie.
Peut-on évoquer le cas de Muracia Cadet ?
Ce cas est édifiant parce qu’il montre à quel point la police et la préfecture peuvent se mettre hors-la-loi. Tout d’abord, il est important de préciser que Muracia est née d’une mère haïtienne et d’un père martiniquais qui la reconnu avec sa grande sœur alors qu’elle était majeure. Ne pouvant cumuler deux nationalités, elle a opté pour la nationalité française et a reçu un passeport et une carte d’identité. Arrêtée en début 2005, par la PAF, elle sera mise en garde à vue puis libérée mais sans qu lui soit restitués ses papiers dont elle demandera en vain restitution au procureur de la République. En février 2006, alors qu’elle a refait ses papiers, la police va à nouveau l’arrêter, la mettre en garde à vue et lui soustraire ses papiers. Mais cette fois la Préfecture va faire comme si elle n’avait pas de papiers français et était haïtienne. Placée en rétention, je vais la voir et à sa demande, je saisi le tribunal administratif qui doit statuer dans les 48 h…tant que le tribunal n’a pas statuer, la loi prévoit que l’étranger ne doit pas être renvoyer …et pourtant la PAF va mettre à exécution du préfet de la renvoyer en Haïti , pays dont elle n’a plus la nationalité et tout cela malgré la convocation du tribunal pour une audience fixée deux jours plus tard. Pour couvrir cette bavure, curieusement, le tribunal a rejeté la requête de l’absente, mais en appel statuant de nouveau sur le même dossier, la cour administrative de Bordeaux a estimé devoir annuler le jugement et ordonné au préfet de la Martinique de restituer le passeport et la carte d’identité à cette française. Interpellé en radio et en télévision, le préfet Yves Dassonville va montré qu’il a le sens de l’humour ou du cynisme et dire dans un premier temps qu’elle peut venir chercher ses papiers alors qu’elle se trouve en Haïti e ne peut pas venir en Martinique sans papiers. Le préfet va dire qu’elle n’a qu’à demander un visa mais n’étant plus haïtienne mais française elle n’a pas droit à un visa…Sur les antennes de RFO Radio Martinique le préfet promet de restituer les papiers. Le lendemain je me présente dans les locaux de la Préfecture, j’ai attendu 2H30 pour m’entendre dire, qu’on ne me remettait finalement pas les papiers de Muracia cadet. Trois mois après rien n’a été fait. Cette affaire est symptomatique de l’ambiance xénophobe et raciste qui règne autour et contre les personnes d’origines étrangères qui ont choisi la France parce qu’ils l’aiment et ne veulent pas la quitter.