Par Maurice Laouchez
Les débats actuellement en cours dans les médias sur l’affaire CAHUZAC ne peuvent pas se limiter aux fautes d’un homme.
Ils ne peuvent pas non plus se limiter à la vie politique telle que la façonnent deux partis dits « grands ».
Ils interpellent sur l’importance que chaque citoyen attache à ce qu’aucun détenteur d’une parcelle d’autorité publique ne puisse, en toute impunité, trahir sa mission et la vérité en travestissant les faits, soit par action, soit par omission.
Le secteur public englobe les élus et les salariés de l’Etat, les élus et les salariés des collectivités territoriales, les élus et les salariés du secteur hospitalier.
A la Martinique, les dépenses du secteur public représentent 65% du produit intérieur brut. Pour la France entière, il s’agit de 58%, ce qui reste énorme, 10 points au-dessus des autres pays industrialisés.
C’est dire que ce qui se produit dans le secteur public détermine directement toute l’activité.
Pas seulement l’activité politique, ou économique. Mais aussi l’activité sociale, culturelle, l’ensemble des références auxquelles la population, notamment la jeunesse, peut avoir recours pour déterminer ses propres comportements.
Or, que constate-t-on?
On constate, d’un côté, qu’ un nombre important, majoritaire sans l’ombre d’un doute, des acteurs du service public se comporte de manière parfaitement rigoureuse quant au respect de ses missions et de la vérité, malgré les énormes difficultés actuelles.
On constate, d’un autre côté, à l’inverse, que des élus et des salariés, trop souvent trahissent la vérité et leur mission sans que jamais aucune conséquence n’en résulte pour eux.
QUELQUES EXEMPLES, PARMI D’AUTRES…
Quand une Mairie, un Conseil Général, une Région, une Intercommunalité, une administration d’Etat, un hôpital ne répondent pas à une demande, à un courrier du plus humble citoyen, le pacte démocratique est bafoué. Surtout quand ce qui est demandé est tout simplement légalement ou contractuellement dû. Les petites entreprises de la Martinique peuvent en témoigner.
C’est une forme de mensonge par rapport aux engagements pris, c’est une forme de trahison par rapport aux missions prétendûment assumées.
Ne parlons pas de manquements majeurs tels le droit au travail, proclamé dans la Constitution et dans les accords internationaux, ou le respect des droits de la personne, ou le contrôle des banques.
Autre exemple: dans les tribunaux français, temples théoriques de recherche et d’établissement de la vérité, la loi admet, curieusement, qu’on puisse mentir au Juge pour se disculper. La loi admet, encore plus curieusement, que l’avocat, verbalement ou par écrit, énonce des mensonges pour défendre son client. La pratique trop courante, en violation de la loi cette fois, admet aussi que des Juges puissent prendre des jugements qui ne reposent d’aucune manière ni sur des faits avérés, ni sur l’application de la loi, brisant ainsi définitivement la vie de familles entières et la confiance de la population; sans aucune conséquence sur leur carrière professionnelle.
Rappelons que dans l’affaire Strauss-Kahn, un tribunal américain a pu rejeter la plainte au pénal de Nafissatou Diallo au seul motif qu’elle avait menti sur les conditions de son entrée aux Etats-Unis.
Autre exemple: quand le Conseil Constitutionnel, instance suprême de régulation, constate que les comptes de campagne des présidentielles 1995 de deux candidats de premier rang sont inexacts, il ne dit pas la vérité, qui aurait conduit à annuler l’élection et à décider l’inéligibilité des deux intéressés pendant un an.
Dernier exemple: l’endettement d’un certain nombre de pays, dont la France, aurait-il atteint les proportions que nous connaissons, et qui portent gravement atteinte à la souveraineté des pays concernés, si, au cours des quarante dernières années, les dirigeants publics, dont c’est la responsabilité, avaient dit la vérité aux électeurs?
Pour ne pas refuser certains avantages à telle ou telle catégorie d’électeurs, ou ne pas augmenter les impôts, l’endettement a servi de moyen de conservation ou de conquête du pouvoir, de ses délices et de ses ivresses.
Les théoriciens de la science politique ont depuis longtemps souligné que la démocratie, pour survivre, exige d’être servie par des personnes vertueuses.
Le dossier CAHUZAC, qui vient juste d’être ouvert, ne fait qu’illustrer les stupéfiantes distances prises, depuis longtemps, avec la vérité et avec les lois, par certains de ceux-là mêmes qui sont en charge de les faire respecter, voire de fabriquer et de voter ces lois.
Ce dossier doit donc être mis en perspective.
Si le citoyen continue à ne pas intégrer dans ses décisions, notamment d’électeur, des faits devenus aveuglants, il lui restera à s’en prendre à lui-même le jour où le trésor que représente la démocratie lui sera enlevé, par un biais ou un autre.
L’histoire, y compris celle de la France, est truffée de retours en arrière, toujours inattendus, mais toujours douloureux pour le plus grand nombre.