On négligera le fait trop souvent méconnu du profane, qu’en science, la contradiction est le pain de la recherche… On doit à la vérité de dire, surtout, que dans les années 70-80, l’agriculture à dominante intensive et productiviste, si elle commence à être discutées par certains chercheurs, demeure la règle dans la pratique du développement agricole ; et la lutte biologique ne fait pas le poids face à la lutte chimique contre les parasites. Les chercheurs écologistes comme Alain Kermarrec sont alors considérés par beaucoup de leurs pairs non écologistes comme représentatifs d’une secte inoffensive de baba-cools. Ce n’est donc pas simplement une hiérarchie obtuse et complice du grand capital latifundiste qui va ignorer ces données, « scientifiquement incorrectes » pour l’establishment de la technoscience de l’époque. Ces données demeurent « invisibles », « inintelligibles » dans le contexte culturel dominant des recherches d’alors. Il y a un quasi-anachronisme à juger aujourd’hui avec les sensibilités socialement construites par les avatars de la technoscience (sang contaminé 1983, vache folle 1985 etc…), des comportements du début des années 80.
Cela dit, revenons à cet essentiel que de ce réquisitoire enflammé et un peu brouillon il pourrait bien ressortir cette « Commission d’enquête parlementaire » plus contraignante que la Mission d’information parlementaire de 2005 et que des pouvoirs publics français soucieux de transparence devraient bien aux antillais et à la République.
Parmi les ouvrages en bibliographie on trouve « La société du risque » de Patrick Peretti-Watel, mais c’est peut-être une lecture trop rapide qui me laisse ignorer le parti qu’en ont tiré nos auteurs. Peretti-Watel présente la matrice d’analyse proposée par Mary Douglas pour caractériser les interventions dans la réponse à une crise sociale. Quatre comportements les symbolisent : (1) celui du pouvoir politique policier et règlementaire, (2) celui des entrepreneurs, axés sur le profit et ayant la maîtrise des données techniques plus l’accès au politique, (3) celui de la masse des « exclus », victimes mais non acteurs, et enfin (4) un comportement de militants, souvent associatifs, peu nombreux, qui contestent pouvoirs publics et entrepreneurs. Les chercheurs seraient ici à cheval sur le (1) et le (2). A l’évidence, nos auteurs sont du « dernier carré ».
Avec les observateurs les plus pertinents des relations entre la technoscience et la société, tels que Dominique Pestre (Science, argent et politique, INRA, 2003), nous inclinons à croire que, désormais, de tels « activistes », au delà de leurs excès structurels, jouent un rôle positif dans l’évolution contemporaine de la recherche scientifique, au moins dans sa composante sociale, quitte à ce que ces excès soient pondérés par le débat démocratique.
Lucien Dégras
Lucien Dégras, est agronome, généticien et ethnobotaniste d’origine martiniquaise, a été co-fondateur du centre INRA des Antilles et de la Guyane
Article à paraître dans le numéro 15 de KAZ A SYANS, bulletin du Centre de culture scientifique, technique et industrielle de la Guadeloupe ARCHIPEL DES SCIENCES.