Bondamanjak

Le devoir particulier de la France envers Haïti

En 1972 encore, la France ergotait sur des sommes dérisoires qu’elle exigea avant de signer un prétendu traité de coopération. En 2004, un grand admirateur de Napoléon, devenu ministre des Affaires étrangères, a fini d’enfoncer Haïti dans le marasme en y soutenant un coup d’État qui a occasionné, hélas, par ses conséquences, autant de morts qu’on risque d’en dénombrer après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Des rapports objectifs l’attestent. Aucun Français n’a eu le courage de se dresser contre cette révoltante injustice ni de dénoncer l’enlèvement d’un président démocratiquement élu. Personne n’a osé protester contre ce coup d’État qui n’avait d’autre but que d’empêcher Haïti de célébrer le bicentenaire de son indépendance. Personne excepté moi. Il est des circonstances où la voix discordante d’un seul homme peut sauver l’honneur d’un pays tout entier. L’histoire l’a démontré. L’histoire peut le démontrer encore.

Au moment où le tremblement de terre a frappé Port-au-Prince, les pays qui se vantent de constituer la communauté internationale (dont les Africains et leurs descendants seraient implicitement exclus) s’apprêtaient à organiser des élections prétendument démocratiques, en interdisant au principal parti  haïtien d’y prendre part, quitte à obtenir un résultat acceptable avec deux pour cent de participation au scrutin.

Le chef de ce parti éliminé par le monde dit civilisé, en exil forcé depuis six ans, protégé des assassins par l’Union africaine et la Caricom, n’aurait pas le droit de rentrer chez lui parce qu’il dérangerait le jeu dont quelques anciens pays esclavagistes auraient fixé les règles ?

Certes, le passé est le passé. En tant que français qui n’a pas dédaigné de porter les armes pour son pays (ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui me critiquent)  je ne cherche pas à humilier ma patrie. Mais certains trous de mémoire ne sont-ils pas plus humiliants encore que certains repentirs ?

J’observe que les chefs d’État de la République française se sont rendus dans tous les pays du monde. Tous les pays, sauf un : Haïti. Cette absence ne trahirait-elle pas un embarras ? Une gêne obscure ? La France n’a peut être pas de dette à l’égard d’Haïti. Mais n’aurait-elle pas un devoir ?

C’est pourquoi j’appelle le président de la République française, M. Nicolas Sarkozy, d’abord à débloquer, pour cette ancienne colonie, qui n’a pas renoncé à parler notre langue, une somme assez significative pour qu’elle n’ait pas l’air d’une misérable et indigne aumône qui ridiculiserait la France eu égard à l’effort consenti par d’autres nations qui n’ont, elles, rien à se reprocher.

Je l’appelle également à se rendre dès à présent en Haïti pour qu’il soit ainsi le premier chef d’État de la République à accomplir ce geste fort. Au nom de la dignité  de la France, au nom de l’identité nationale dont il veut que nous débattions. Oui, de l’identité nationale, car, sans même tenir compte des dizaines de milliers de Français d’origine haïtienne qui apprécieraient ce signe de solidarité, Haïti, qui fit vivre pendant cent cinquante ans un Français sur huit, fait partie intégrante, comme l’histoire de l’esclavage, de l’identité nationale, aussi sûrement que ma part de refoulé fait partie de moi-même.

J’appelle du même coup le président de la République française à rendre à l’instant ses droits au plus méritant des Haïtiens de France, le général Alexandre Dumas, père du célèbre écrivain, qui s’est sacrifié pour la Révolution et la République et dont on refuse depuis deux cent huit ans, simplement à cause de sa couleur et de son origine, de lui rendre la place qu’il mérite dans le cœur et la mémoire des Français.

Voici que qu’écrivait le fils de ce héros en 1838 : Il serait bon que les Haïtiens apprissent à la vieille Europe, si fière de son antiquité et de sa civilisation, qu’ils n’ont cessé d’être français qu’après avoir fourni leur contingent de gloire à la France.

Claude Ribbe