Bondamanjak

Le Mal ne se maintient que par la violence

« La seule voie qui s’ouvre à vous le juge, est soit de démissionner et de cesser ainsi de vous associer aux mal si vous considérez que la loi que vous êtes chargé d’administrer est mauvaise et que je suis en réalité innocent, soit de m’infliger la peine la plus sévère si vous croyez que le système et la loi que vous contribuez à appliquer sont bons pour le peuple de ce pays, et que mon activité est par conséquent préjudiciable au bien commun.» Gandhi.

   Ces mots auraient pu s’entendre au tribunal de Fort-de-France, quand Rodrigue Petitot y comparut et reçut une sentence qui en choqua plus d’un. Mais ils firent prononcés cent deux ans plus tôt. Déféré alors à la barre du tribunal colonial britannique le 23 mars 1922, un homme, le Mahatma Gandhi fit cette déclaration : « Le mal ne se maintient que par la violence ». Mais quel Mal et surtout, quelle violence ? Celle d’une jeunesse révoltée ou une plus insidieuse ? Chez nous en tout cas, elle a une origine. 

Les sources du mal.

Depuis qu’elle a découvert le sucre industriel à la fin du premier millénaire, l’Europe est peu à peu devenue totalement addict au reste du monde. Dès lors, à travers les siècles, il lui fallut toujours plus de sucre afin de satisfaire l’addiction d’abord de ses élites noble et bourgeoise, puis du reste de sa population. Ceci entraîna une inflation de la demande et une multiplication de l’exploitation des peuples non européens. De ce fait, sa découverte d’un sucre rare et donc très cher à cette époque là, l’a fit sombrer corps et biens dans une cupidité sans limite. 

C’est par les croisades que l’Europe découvrit le sucre. C’est à cause de lui qu’elle déporta en esclavage les techniciens arabes qui au moyen orient le fabriquaient depuis des siècles. Ce qui est encore moins connu, c’est que ce n’est pas au nouveau monde, mais dans des îles comme Chypre ou Malte que l’Europe expérimenta ses premières exploitations sucrières. Notre malheur, notre Mal actuel a débuté là, par trois événements successifs. Citons premièrement les épidémies de peste du XIVe siècle qui décimèrent ces exploitations, la chute de Constantinople et surtout, les regrettables exploits de Christophe Colomb en 1492. 

C’est donc dans cette séquence historique que les Européens, vont compenser leur manque de bras dans les îles méditerranéennes par la création de bateaux nécessitant moins de personnel, les caravelles. Subitement privés de leurs exploitations sucrières du pourtour de la Mer noire, ils vont alors se rabattre ailleurs. Ainsi débutera la conquête de terres plus éloignés du monde arabe, les Canaries, le Cap-vert… L’Europe fondit alors sur une Afrique bien plus civilisée qu’elle. Elle rabaissa sa population au rang de biens meubles, bien avant d’annoncer sa découverte d’un nouveau monde. L’un dans l’autre, ces phénomènes vont entrainer les traites esclavagistes européennes, le massacre des amérindiens et la déportation de centaines de millions d’Africains. Tout ceci rappelons-le, uniquement pour satisfaire les besoins toujours plus croissants de l’estomac européen. Et l’appétit venant en mangeant, sa quête du sucre ne lui a plus suffit. Elle chercha dès lors à calmer son ventre d’agoulou par toujours plus d’exploitation de ressources alimentaires ou végétales nouvelles (tabac, cacao, café, thé, vanille, pomme de terre, fraise, maïs, manioc, bois précieux, or, argent, pétrole, pierres précieuses…). Il en résulte que l’ensemble du système économique occidental repose sur l’exploitation des richesses étrangères et la duperie juridique permettant de maintenir tout ce système. Une exploitation à ses yeux purement légale. 

Quand l’argent rend fou.

Dès lors, ce ne fut plus une simple addiction mais la folie sans nom. Cet affreux business donna naissance chez nous à une caste de nouveaux riches, dopée par l’argent facile et ne sachant plus quoi inventer pour se distraire. Ainsi, « Historial antillais » dans son tome deux, nous rappelle que dans nos îles, ces nouveaux riches par le sucre, et surtout la sueur de l’africain mis en esclavage, sombrèrent tous et par oisiveté, dans des formes de jeux du cirque qui n’avait rien à envier à ceux de Rome. À croire que l’argent rend fou, on vit le macabre balai de colons partant en mer, avec des groupes d’africains mis en esclavage, les jetant par-dessus bord et s’amusant à qui parviendrait le premier à les abattre au fusil avant que les requins ne s’en approchent et se repaissent des cadavres de ces malheureux. Et que dire de la dépravation de jeunes africaines et parmi elles, des princesses de sang royal dans les bordels qu’il se créaient pour mieux s’adonner à leur barbarie charnelle.

La difficile  désintoxication de l’Occident.

Aujourd’hui, il ne saurait nous échapper que le Monde est en pleine mutation. L’avènement des Brics et leur plaidoyer pour un monde multi-polaire entraine de fait le sevrage brutal de l’occident. Cette dernière doit réapprendre à se passer de ses vieilles habitudes de gluco-toxicomanie et à rompre avec ses actes de grivèlerie. En un mot, elle doit sortir de l’assistanat. Mais trop habituée a se servir gratuitement dans le verger des autres. Trop habituée à un train de vie de pacha assis sur un trône en or massif pris en Afrique, l’Europe se voit contrainte d’entrer en désintoxication. Une double désintoxication même. Elle doit non seulement apprendre à se passer de ressources illégalement acquises, mais aussi se résoudre à apprendre un simple geste qu’elle a longtemps fait mine d’ignorer. À savoir, payer au vrai prix ce qu’elle veut consommer. Et la France dans tout cela ? Au cours des années à venir, elle va devoir réapprendre à se serrer la ceinture industrielle. Cette surproduction surtaxée via la grande distribution qu’elle ne peut écouler que sur des marchés étrangers l’obligeait à une politique de chasse gardée envers l’Afrique mais aussi de nos territoires. Or, elle peut de moins en moins les écouler sur des marchés étrangers qui petit à petit lui ferment leur portes. Nos marchés font l’objet donc, plus qu’auparavant d’un enjeux crucial. Et l’on découvre alors qui, de nous ou de nos calomniateurs préférés sont les véritables assistés. Ceci doit donc nous aider à comprendre pourquoi l’Etat ne bouge pas sur la question des prix dans ce qu’elle considère comme ses derniers bastions ultramarins. Perdre la confiance de ce secteur entrainerait une catastrophe industrielle terrible, déjà pour toutes ces entreprises françaises restées aux vieux produits des comptoirs coloniaux qui ne s’écoulent majoritairement que dans les îles (morue, beurre sovaco, salaisons, hareng-saur, corned-beef, farine, haricots rouges, lentilles, eau de cologne ploum-ploum…). Voilà pourquoi, pour l’heure, en 2024, l’Occident quoi qu’il dise est encore totalement dépendant des ressources et forces vives du reste du monde. 

L’effondrement annoncé du système économique « béké ».   

C’est donc cette lecture qui doit mieux nous aider à comprendre les enjeux et inquiétudes liés à la lutte engagée par la jeunesse martiniquaise depuis le premier septembre dernier. De fait, en Martinique, le monde de la grande distribution est pris au piège des duperies juridiques du passé. L’indemnisations que leurs ancêtres ont exigé et obtenu en 1848. Les lois anti-vagabondage qui ont transformé les anciens africains mis en esclavage en consommateurs totalement dépendants et outrancièrement exploités par leurs anciens maîtres leur ont laissé de vieilles habitudes. Ce sont elles qui expliquent la profitation qui découle de l’hallucinante opacité de leur principe de fixation des prix. Malheureusement pour ce secteur, ceci leur fit croire que cette manne frauduleusement obtenue était éternelle. Surtout que jamais Paris n’a semblé vouloir mettre le nez dans les petites affaires de ces Messieurs de la Martinique. Or, rien n’est statique en ce bas monde. Dès lors que l’Occident entre en désintoxication, ce système fondé sur la sur-exploitation effrénée de l’argent de consommateurs rendus captifs par leur insularité ne peut survivre. Quoi que feront les acteurs de ce secteur, il a vocation à s’effondrer. En cela, le mouvement initié par le RPPRAC n’est qu’un des signes avant-coureurs de cette chute. Mais contrairement à ce qui est avancé, ce n’est pas le R qui le fera tomber. Il n’est que le bouc émissaire pointé du doigt par les acteurs de ce système. Mais à dire vrai, il n’est que le rejeton de la société socialement inégalitaire qu’ils ont contribué à créer. C’est leur fils engendré non pas créé. Mais c’est par leur entêtement à la non transparence et leur mauvaise anticipation des mutations profondes de la société martiniquaise, qu’ils se fragilisent jour après jour. Et s’ils persistent dans cet entêtement, ceci ira jusqu’à la rupture brutale de la digue économique que depuis des siècles ils s’étaient forgés. Aussi fortunés qu’ils soient actuellement, ils risquent de tout y perdre.

Tout a changé, rien n’a changé

Le Mal fait au Martiniquais provient donc de cela : La grande distribution, par les erreurs d’une mauvaise sortie de son passé esclavagiste s’est rendue totalement dépendante des revenus perçus par les consommateurs locaux. Et c’est pour entretenir et maintenir cette dépendance qu’elle use de toutes ses relations nationales. Elle contraint les consommateurs, pris pour des dealers d’un argent rare à produire, à lui fournir sa dose quotidienne d’euros. Il s’en suit que la violence subie par le Martiniquais depuis plus de 380 ans perdure, mais sous des formes nouvelles. C’est alors que ce dernier découvre qu’il est toujours un esclave, un pion économique prisonnier d’un système qui n’a fait que muter et surtout pas disparaître. Le dicton africain le dit : « le chien ne change jamais sa façon de s’asseoir ». Les anciennes habitations d’alors sont de fait devenues de grandes galeries commerciales aux enseignes prestigieuses. Mais au final, le sort du consommateur martiniquais y est le même. Tout comme ses ancêtres, il doit inlassablement travailler puis courir en porter le fruit à ces nouveaux maîtres de plantations commerciales. Il n’a toujours pas le choix de protester. Il sait quel prix cela lui demandera de payer. Or, loin de privilégier la paix sociale, la violence exercée à la moindre manifestation par les forces de l’ordre concoure de fait à maintenir le Mal systémique fait au Martiniquais. Et ce n’est que pour entretenir ce Mal, c’est-à-dire, ce système d’addiction, que les agents de la force publique, les magistrats, les médias et autres élus sont sommés de se mobiliser dans un seul élan. Et ce n’est que par cela, par ce pouvoir de violence que se maintient cette profitation. D’autant plus que du coté de la population, ils peuvent toujours compter sur le Collectif des Cobayes Consentants. Ceux-là dont la mémoire est totalement anesthésiée par la peur, ne se souviennent plus trop pourquoi leurs ancêtres avaient dû braver le danger le 22 mai 1848. Il ont perdu tout sens de lutte. Ils ne savent plus combien d’habitations durent brûler avant que les chaînes de la servitude tombent. Manipulables à souhait, ils abondent toujours dans le sens du vent le plus violent. Ils se retournent donc systématiquement contre toute personne qui tente de les délivrer du Mal. Désormais addicts eux-mêmes aux ors d’un monde en déclin il ne s’aperçoivent même plus qu’ils encouragent le maintient de ces malheurs qu’ils déplorent chaque jour. Soyez sûrs qu’ils feront tout pour que les sois disant fauteurs de trouble soient incarcérés et punis. Mais les mêmes préfèreront fermer les yeux de bon cœur sur ce mal infligé aux Martiniquais depuis plus de 380 ans au nom de la satisfaction des mêmes.   

Malheur au peuple qui emprisonne sa jeunesse.

Ainsi il est donc bon de se demander qui des deux parties sont les vrais fauteurs de trouble. Est-ce cet ancien dealer de drogue repenti qui mobilise ponctuellement au delà du déjà vu et que certains tentent de diaboliser sans succès, ou alors ceux qui sous couvert de prôner le retour à l’ordre public soutirent un Mal séculier par leur silence ? Il serait bon de nous souvenir que l’Histoire ne se fait que par les actions que nous posons. Ce n’est jamais un long fleuve tranquille au bord duquel nous sommes assis à attendre qu’elles se réalisent d’elles mêmes. Ainsi, la fin du Mal que tous subissent en Martinique demande le sursaut de tous. Lequel ? Gandhi l’a dit, la seule façon de ne pas encourager le Mal, c’est de démissionner et rompre tout contact avec lui. Mais qui de l’Etat, des juges, des forces de l’ordre, de certains médias, de certains élus ou de nous mêmes qui semblons nous satisfaire de la sentence prononcée contre la jeunesse martiniquaise osera vraiment suivre ces recommandations ? S’il s’avère que le système que notre passivité complice protège est juste, alors que la justice soit implacable avec le RPPRAC. Mais si tout martiniquais qui fait ses courses, tout jeune qui tente d’entreprendre et voit ses espoirs sabotés par les mêmes détenteurs du pouvoir économique peut démontrer que ce système est la vraie cause du mal qui freine la Martinique et pousse la jeunesse dans la rue, pourquoi continuer à le soutenir ? Laisser croire à la manipulation par des forces étrangères ou encore à l’installation de gangs n’y changera rien. Cela ne relève que du procès en sorcellerie. C’est piétiner la capacité de la jeunesse martiniquaise à prendre résolument le destin de son pays en main. C’est surtout refuser de reconnaître qu’elle se montre bien plus efficace  que ces devanciers détracteurs. Ainsi, leur action actuelle vient télescoper la propension à l’inaction ou à l’encouragement du Mal de ceux-là. Laisser calomnier et emprisonner cette jeunesse-là n’est donc pas le meilleur signe envoyé à ceux qui aujourd’hui entrent en pré-adolescence, les yeux pleins de rêves d’un avenir meilleur que certains se préparent déjà a briser. Souvenons nous simplement que toute révolution emprunte deux voies. Celle tout d’abord de soldats zélés d’un système qui découvrant à quel point il ruse avec ses propres principes pour leur ôter tout espoir d’avenir finissent par se révolter. Ce fut le cas de Gandhi. Ou encore, celle de jeunes qui pour avoir été mis au ban du même type de système et questionnant les raisons de leur incarcération embrassent des causes qu’on ne leur imaginait pas.

Ce fut le cas de Malcolm X.. Monsieur Petitot alias le R, Aude Goussard et Gladys Roger semblent quant à eux être un composé des deux. Ancien dealer de drogue, anciennes cadres mises au chômage, le RPPRAC pousse le système dans ses derniers retranchements républicains. Ainsi, son combat égalitaire pour l’alignement des prix sur ceux pratiqués dans l’hexagone est loin de relever d’une naïveté. S’il joue la carte du français républicain zélé ce n’est pas par pure aliénation. Tout comme Gandhi, il entend par là faire la démonstration manifeste que ce système a bout de souffle n’a plus rien à proposer au devenir du pays Martinique. Ce constat fait, une autre séquence pourrait alors s’entamer, celle d’une revendication souverainiste pure et dure contre laquelle peut d’arguments pourront être opposés. Paris aurait donc tort de rester sourd à cette souffrance qu’ils dénoncent. D’autant plus que le ras le bol souverainiste rallie de plus en plus de partisans. 

Quand Paris ne pourra plus répondre.

De ce fait, certains auront beau se draper dans la bannière démocratique républicaine, ils ne pourront empêcher l’effondrement annoncé de tout un système. Pour s’être trop solidement arrimé à l’hexagone, il ne pourra que l’accompagner dans son déclin. Faire mine de ne rien y comprendre et laisser incarcérer la jeunesse encore ouverte au dialogue d’un pays pour cela, ne fera que prolonger le supplice des martiniquais et annoncer des luttes plus rudes. C’est à fermer les yeux sur ce Mal que génération après génération, la Martinique connaît des crises cycliques telle celle de 2009. Elles surviennent par le simple fait que les détenteurs de ces plantations modernes s’accrochent irrémédiablement à leur position économique dominante. C’est cette position autarcique qui condamne la Martinique à revivre le pire. Résolue à ne rien voir changer à son confort matériel, elle pleure, fait des caprices, joue les victimes, manipule au moyen de la carte du racisme, puis, intimide, menace et use de toutes ses relations haut placées. Tout ceci afin de maintenir le Mal en l’état. Mais rappelons-le, les choses sont cycliques. Rien ne peut en ce sens rester figé comme le marbre. Et face à cela, nous laissons incarcérer sans rien dire l’avenir très qualifié mais au chômage du pays. Or, la désintoxication de l’occident de ses vieilles pratiques addictives, aura pour conséquence l’incapacité tôt ou tard du gouvernement à soutenir bec et ongle un système œuvrant à sept mille kilomètres de là. Trop occupée à gérer ses problèmes hexagonaux, elle ne pourra tout embrasser. Elle finira donc par abandonner ce système à son sort. Et là, il n’y aura plus de contingent de CRS pour contenir la colère d’un peuple conscient de sa spoliation accrue. Et plus que tout, il nous faudra tous vivre ensemble. Souhaitons donc tout simplement qu’à cette heure là, ce système d’économie de comptoirs qui par son autisme aura siècle après siècle tout fait pour en arriver à ce point, ne se retrouve alors face à une génération plus radicale, et rendue sourde et aveugle aux même boniments jadis servis à ses devanciers. Celle-là agira sans complaisance aucune afin que cesse ce mal. Souhaitons donc que les négociations, les vraies s’installent dès maintenant. Il y a plus qu’urgence à nous préserver de ce chaos que prépare les postures figées actuelles. Ne soyons plus les propres artisans de notre Mal. Djolo (Jean-Luc Divialle)