Pour la Fedom, « le temps est sans doute venu de redéfinir cette relation économique entre la métropole et ses Outre-mer comme d’ailleurs entre l’Europe et ses Régions Ultra Périphériques(…) ». Sur ce dernier point nous serons d’accord avec le patronat. Reste à savoir quelle est la nature de cette relation nouvelle avec la France et l’Europe.
La nature de la crise outre-mer : conséquence de la crise capitaliste ou crise spécifique ?
Le document décrit sans ambages des « économies en souffrance » et pose « les conditions de la reprise ».
Pour la Fedom « la situation dégradée des Outre-mer est la conséquence de trois crises auxquelles se sont ajoutées des crises « spécifiques » ultramarines. Les trois crises sont : « la crise du capitalisme mondialisé qui a éclaté en 2007 », la crise de la zone euro du fait seulement du « surendettement des Etats » et une crise française « liée à l’implosion d’un modèle économique de croissance à crédit exclusivement fondé sur la consommation, financée par les transferts sociaux (33 % du PIB), eux-mêmes financés par la dette publique (86 % du PIB) ». Ainsi la cause de la crise en France et en Europe, selon le patronat, serait l’excès de dépenses sociales et non la financiarisation de l’économie et la pression sur la demande pour augmenter la masse des profits.
S’agissant de la Martinique, la crise de 2009 serait uniquement « sociale » explique la Fedom. Nous faisons l’analyse exactement inverse : la crise en Martinique est d’abord la crise du modèle de développement néo-colonial départemental basé pour l’essentiel sur une consommation importée insufflée par les transferts publics et alimentant en retour les profits des lobbys de l’import-distribution et retournant dans les caisses de l’Etat français. La crise capitaliste est venue aggraver considérablement cette situation.
Avec un faux diagnostic, la médication ne peut être qu’erronée.
Pour la Fedom la Lodeom Sarkozy-Jego « a, dans un premier temps, accentué les conséquences de la crise notamment dans le secteur du BTP en freinant considérablement les projets en matière de logements libres et intermédiaires ». Cela est vrai par contre.
Quelles forces et quelles faiblesses ?
Le document analyse les « forces » et les « faiblesses et handicaps » des Outre-mer. Parmi les faiblesses, outre les sempiternels handicaps liés à la géographie et à « l’étroitesse du marché », le patronat voit « des tensions sociales nées, notamment, de la démographie et d’un chômage des jeunes dû en partie au manque de compétitivité des entreprises ». Cela prépare le terrain pour exiger de nouvelles mesures de défiscalisation et d’exonération de cotisations patronales. La véritable « grève des investissements » des détenteurs de capitaux depuis 2009 (moins 300 millions d’euros par an selon Contacts-Entreprises) ne serait pour rien dans la montée du chômage. Le patronat préfère avancer le prétexte d’une « perte de confiance » due d’abord au débat statutaire, puis à la crise. A noter aussi parmi les faiblesses et handicaps « un accompagnement bancaire défaillant ou mal adapté ». Un (tout) petit coup de griffe aux banques qui réalisent des énormes profits outre-mer sur l’économie de consommation. Le patronat d’outre-mer ne demande pas pour autant la création d’une Banque publique de Développement. Il préfère demander le renforcement des outils financiers existants (FIP), voire d’en créer de nouveaux comme la défiscalisation-exonération des heures supplémentaires (TEPA). Et pour cause. Parmi les « risques qui se précisent » la Fedom signale judicieusement « une moindre prise en compte des spécificités de l’Outre-mer par les pouvoirs publics parfois même en retrait des autorités européennes » et « une politique budgétaire contrainte » (chasse aux niches fiscales). En fait, il s’agit des retombées des politiques d’austérité qui rabotent les avantages fiscaux et de cotisations sociales patronales et que le patronat soutient contradictoirement par ailleurs. Le carburant des transferts publics du système néocolonial-départemental pour alimenter les profits privés peut venir à manquer.
« Reprise » ou nouveau modèle de Développement ?
Quelles sont les conditions de la « reprise », telles que les conçoivent les maitres de l’économie des DOM et COM ? Ce sont : l’amélioration de la compétitivité des entreprises, favoriser et améliorer l’insertion des jeunes et lutter contre la vie chère. A noter que la situation de la crise martiniquaise ne nécessite pas simplement une « reprise » comme dans un grand pays capitaliste développé ou encore un « rattrapage » comme le dit la Fedom, mais un changement de modèle de développement. Les mots cachent souvent des choix politiques et idéologiques, ne l’oublions pas.
Cependant la Fedom demande, vu « la nature et l’importance des enjeux Outre-mer », des « mesures d’un toute autre ampleur », qu’en France. Et elle demande le respect de l’ « histoire », de la « géographie », des « structures » et des « atouts » de ces pays.
A la manière de Sarkozy, il est proposé de convertir le modèle de croissance actuel qualifié de « à crédit » et de « le réorienter autour de la production, du travail, de l’investissement et de l’innovation ». Il est préconisé des « thérapies de choc » au lieu de « mesures graduelles ». En fait il faudrait s’attaquer aux « surrémunérations » des fonctionnaires. Il est préconisé en outre de « définir une stratégie de long terme » et « mettre en œuvre une politique énergique et de longue durée ». Ce qui, en soi, est une méthode conforme à la nature de la situation de crise structurelle des pays dits d’outre-mer. Encore faut-il savoir pour quoi faire.
Pour la première fois depuis longtemps, le patronat, à sa manière, parle de « l’urgence [qui] va au maintien, voire à la reconstruction d’un appareil productif performant dans la mondialisation ». Jusqu’ici on ne parlait que d’économie de services et de tourisme. On en revient à l’impératif « urgent » de produire des richesses défendu invariablement par les communistes martiniquais d puis les années 1960.
Encore des cadeaux fiscaux
Cependant les propositions de la Fedom ne diffèrent pas de celles du patronat français et tournent autour de l’idée d’abaisser encore plus le coût du capital et du travail pour inciter les capitalistes à investir. Liste non exhaustive : suppression de l’impôt sur les sociétés (IS) et des charges sociales dans la Zone franche d’activités(ZFA), non perception du même IS pour les autres entreprises qui réutiliseraient l’impôt non perçu sur le territoire, augmentation et facilitation des mécanismes d’aide à l’innovation(création d’un crédit d’impôt recherche et innovation spécifique à l’Outre-mer), maintien à long terme de la défiscalisation, confirmation de la défiscalisation sur le logement social, extension de la défiscalisation au logement intermédiaire, extension de la défiscalisation aux activités annexes du tourisme (restauration, activités culturelles et de loisirs), révision de la Convention collective de l’hôtellerie, etc.
Une proposition cependant rejoint une proposition de longue date de notre Parti : l’accès privilégié des PME locales dans les marchés des collectivités publiques. Enfin le bon sens prévaut contre le dogmatisme néo-libéral de la « concurrence libre et non faussée ».
S’agissant de la jeunesse, le patronat est favorable à l’embauche de jeunes de moins de 26 ans « moyennant une exonération exceptionnelle sur cinq ans des charges patronales et sociales ». Et après ? Il est également proposé de mieux accompagner l’action du SMA pour l’insertion dans l’emploi.
Desserrer le carcan européen ?
Concernant la lutte contre la vie chère, manifestement le patronat a tiré des leçons des mouvements sociaux qui ont affecté les différents pays de l’Outre-mer. Rassurez-vous ; il ne propose par de baisser les marges de la grande distribution. Il propose de diminuer les coûts du fret maritime en étendant l’aide « nationale » au fret aux « produits en provenance ou destinés à la même région que le territoire concerné et éviter l’importation systématique de métropole ». C’est-à-dire pour nous faciliter les échanges avec la Caraïbe et les Amériques. Ce qui est aujourd’hui exclut tant pour l’aide française qu’européenne au fret. Cela rejoint une de nos propositions.
Il est également proposé de « favoriser l’émergence de normes régionales » pour l’importation de certains produits. Par exemple, le respect des normes européennes renchérit le coût des carburants importés dans la Caraïbe. Tout cela implique de desserrer le carcan de l’intégration à l’Europe et de changer le statut de région dite « ultrapériphérique ».
Remarquons toutefois que, peu à peu, sous la contrainte des réalités et par pragmatisme obligé, avance l’idée d’une réglementation spécifique aux DOM et COM. Ce qui n’avance pas, c’est l’idée que cette réglementation doit être conçue et décidée sur place. Encore un effort… et on arrivera à la nécessité de l’Autonomie.
Il ne viendrait pas à l’idée de la Fedom que le secteur public (Etat, collectivités) pourrait aussi investir directement dans l’activité et que la propriété des entreprises pourrait être sociale (coopératives, d’Etat, etc). Au lieu d’attendre le bon vouloir des capitalistes pour investir. Pourtant il est clair que tout nouveau modèle de développement doit s’appuyer sur une économie mixte.
Michel Branchi
Economiste (18/04/2012)